Intervention de élie Cohen

Réunion du 10 novembre 2015 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

élie Cohen, économiste :

Pour ce qui est de l'effondrement, pourquoi ai-je privilégié les quinze dernières années ? On peut certes toujours remonter plus loin, mais il se trouve qu'en 2002 j'avais réalisé une étude comparée entre Volkswagen et Peugeot. J'expliquais à l'époque que PSA était le champion d'Europe de la rentabilité et, en particulier, que c'était une entreprise plus rentable que Volkswagen dont on évoquait les difficultés. Je me suis demandé ce qui s'était passé entre le début des années 2000 et aujourd'hui.

Le groupe Volkswagen a d'abord fait un effort considérable pour optimiser ses chaînes de production ; il a été le premier à concevoir la modularisation de l'outil de production et l'optimisation de chaque maillon de la chaîne de valeur ; c'est lui qui a inventé la politique de plateforme, qui a optimisé les gammes sur quelques plateformes ; c'est lui qui a été le grand innovateur en matière de technologie de production – si bien qu'il a été imité par la suite.

Ensuite, Volkswagen, l'emportant sur Renault, a racheté Skoda. Le groupe a ensuite commencé sa déclinaison de gammes, ce que les producteurs français n'ont pas su faire puisque, lorsque Renault a acquis Dacia, je me souviens d'avoir bavardé avec le patron de Renault, m'assurant qu'il n'était pas question d'importer des Dacia en France – véhicule rustique selon lui destiné aux pays émergents, première expérience automobile… Or, quelque temps après, on a vu des gens importer, je dirais presque : clandestinement, des Dacia. Quand les dirigeants de Renault s'en sont rendu compte, ils ont commencé à faire venir ces véhicules en France mais en les proposant dans les mêmes concessions que les Renault, provoquant un effet de comparaison, de « cannibalisation » terrible – erreur qui n'a pas été commise par Volkswagen qui a lancé la stratégie de quatre marques déjà mentionnée.

Enfin, les conditions financières n'ont pas été les mêmes : Renault a toujours été très limité alors que Volkswagen a pu, je le répète, beaucoup investir dans la recherche. Le contenu en recherche est trois fois supérieur dans véhicule allemand que dans un véhicule français, une différence qui finit par produire des effets. Or, pour mémoire, parmi les généralistes, en 2000, PSA était considérée comme l'une des plus belles si ce n'est la plus belle entreprise européenne.

J'ai participé aux états généraux de l'automobile qui ont eu des résultats incontestablement positifs. Les mesures prises ont permis que ne disparaissent pas un équipementier comme Valeo, alors en train de s'effondrer, mais également les décolleteurs de la Vallée de l'Arve ou les sous-traitants de premier, deuxième et troisième rangs. Ces mesures ont même permis une certaine consolidation et, dans le cas des décolleteurs de la Vallée de l'Arve, l'activité a redémarré. Malheureusement, de bonnes habitudes prises au coeur de la crise, comme la mutualisation des moyens, l'effort commun de prospection pour définir de nouvelles activités, la conquête de nouveaux marchés, ont été quelque peu abandonnées dès que la situation a commencé de s'améliorer. Notons en outre que les banques ont joué le jeu, à l'époque, accompagnant les initiatives publiques. Aussi avons-nous un certain génie pour le sauvetage des entreprises en difficulté mais sommes-nous moins géniaux dans la prospective.

Je ne sais de quelle manière répondre à votre question sur la part de l'automobile dans l'industrie française. Reste que l'effondrement de l'industrie française est incontestable. Quand on compare, sur les quinze dernières années, la performance industrielle de la France avec celle de tous les pays européens, seuls deux – et qui ne possèdent pas d'industrie automobile – font pire que nous : Chypre et Malte ! C'est l'un des sujets sur lesquels je ne parviens toujours pas à trouver de réponse satisfaisante ; je n'arrive pas à comprendre pourquoi – et je vous retourne la question – pourquoi la classe politique française s'est si peu intéressée à l'industrie française au cours des quinze dernières années ? Je suis un vieil industrialiste, j'ai écrit sur le colbertisme ; quand j'étais jeune, j'adorais aller visiter les usines… Je ne comprends pas, je le répète, cette espèce d'indifférence de la classe politique française vis-à-vis de l'industrie alors qu'on pouvait en voir l'effondrement.

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