Intervention de élie Cohen

Réunion du 10 novembre 2015 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

élie Cohen, économiste :

Je ne crois même pas que nous ayons fait le choix des services car si cela avait été le cas, nous aurions considéré le tourisme, par exemple, comme un formidable atout et nous aurions considérablement investi dans le secteur – ce que nous n'avons pas fait non plus.

Ma question est beaucoup plus vaste : pourquoi cette indifférence à l'égard de toute la sphère productive ? Bien sûr, au coeur de l'économie productive, il y a l'industrie mais pas seulement ; on aurait ainsi pu s'intéresser aux services exportables. Je m'explique d'autant moins cette attitude qu'on relève un sentiment de fierté nationale à chaque fois qu'un grand projet aboutit : je ne connais pas de politique qui ne soit très sensible aux performances d'Airbus, d'Ariane… Pourquoi donc ce qui vaut pour ces derniers vaudrait-il si peu pour l'automobile, la machine-outil, l'électronique grand public – qui a totalement disparu –, pour les nouveaux biens électroniques… ? Je fais partie de ceux qui considèrent qu'on ne peut pas se passer d'une activité industrielle au sens manufacturier du terme.

La nouvelle industrie, c'est du manufacturier, des technologies, de l'intelligence et des services incorporés. Or il reste très important de maîtriser la brique manufacturière. Le plus bel exemple qui me vient à l'esprit est celui du véhicule électrique aux États-Unis. Le gouvernement américain a largement subventionné le développement de toutes les technologies de stockage – comme les batteries – et, lorsqu'il a fallu industrialiser, plus personne n'en était capable, alors que le véhicule électrique est un dispositif d'optimisation énergétique et d'optimisation numérique. Aussi, si vous n'êtes plus en mesure de fabriquer les composants, vous n'êtes plus capables de les comprendre.

Cela me conduit à un second exemple, celui des produits d'électronique grand public comme le téléphone portable. Le coût de fabrication de ces petits engins, produits essentiellement en Chine, est très faible. J'ai découvert avec surprise que, comme Apple ne produisait plus rien aux États-Unis, le groupe avait inventé un dispositif pour maintenir le contact entre ses laboratoires, ses technologues et les fabricants, si bien que des équipes de chercheurs, de techniciens et de méthodologues d'Apple sont en permanence dans des avions entre la Californie et la Chine pour être sur la chaîne de production. Jonathan Ive, le grand designer de ces produits, considère en effet que c'est en étant sur les chaînes de production qu'il est capable de voir où l'on peut gagner le demi-millimètre qui permettra au produit d'être encore plus fin, plus « smart » que ceux qu'il avait déjà conçus. Il n'est sans doute pas possible de réaliser l'intégralité de la production de masse dans les pays développés, mais cette articulation du manufacturing et de la conception me semble irremplaçable.

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