Intervention de élie Cohen

Réunion du 10 novembre 2015 à 16h30
Mission d'information sur l'offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale

élie Cohen, économiste :

Ma réponse à vos questions, Monsieur Baupin, sera assez simple : dans l'état actuel de la technologie du moteur diesel, on est conduit à arbitrer entre le NOx et le CO2. La raison toute simple pour laquelle Volkswagen a fraudé, c'est que le groupe n'était pas capable de présenter un véhicule avec un moteur satisfaisant les nouvelles conditions environnementales définies par les États-Unis, cela malgré ses efforts, malgré la mobilisation de ses équipes et malgré l'existence d'une technologie intermédiaire qui permettait de régler le problème du NOx mais qui aggravait les émissions de CO2. Il n'était donc pas possible de présenter sur le marché américain des véhicules intermédiaires avec le niveau de réglementation exigé, d'où la nécessité soit de renoncer purement et simplement au diesel, soit d'admettre qu'on ne sait pas fabriquer de véhicule moyen et haut de gamme répondant aux normes et qu'il faut donc de se replier sur des véhicules d'entrée de gamme à capacité beaucoup plus limitée.

Je me situe ici dans le cadre d'une économie dans laquelle les opérateurs industriels cherchent à répondre à une demande en fonction des contraintes réglementaires et des contraintes technologiques. On peut penser que l'urgence climatique est telle qu'il ne s'agit pas de la bonne méthode et qu'une rupture paradigmatique s'impose. Seulement, jamais un industriel n'en prendra le chemin par lui-même ; il faudra donc que l'autorité politique prenne des décisions et encadre cette évolution.

En ce qui concerne le régulateur européen, encore une fois, nous savons dans le détail – car la Commission européenne est transparente – quels sont les pays qui ont milité pour un relâchement des conditions et quels sont ceux qui ont au contraire exigé qu'on applique strictement les règlements. La France, l'Allemagne et l'Espagne ont été les trois pays qui ont le plus défendu la tolérance du viol des normes et l'allongement de la période probatoire tandis que les Pays-Bas y étaient très hostiles. Et, comme par hasard, les pays les plus favorables à la tolérance du non-respect des règles sont des pays fortement producteurs ou qui aspirent à le devenir. Ainsi, un grand projet d'usine est prévu en Espagne qui va massivement fabriquer, pour Volkswagen, des véhicules diesel ; or ce projet est subventionné par le gouvernement qui, logiquement, ne souhaitait pas qu'on applique les normes dans leur intégralité.

Faut-il donc instaurer un régulateur indépendant, monsieur Baupin ? J'y suis très favorable. J'ai beaucoup écrit sur la capture des régulateurs et je me suis fait agonir d'injures, notamment par des responsables politiques qui m'ont reproché ce qu'ils considéraient comme ma défiance vis-à-vis des autorités politiques au point de vouloir multiplier les autorités indépendantes. Ferais-je donc si peu confiance au sens du bien public des responsables politiques ? J'ai plaidé il y a très longtemps pour l'existence d'autorités indépendantes dans des secteurs comme les télécommunications, l'électricité et même en matière de cadrage macroéconomique et budgétaire. On est d'ailleurs quelque peu allé dans ce sens depuis lors, avec la création du Haut conseil des finances publiques notamment.

En ce qui concerne ce dont il est ici question, il s'agit de savoir si nous décidons de bloquer dès à présent le développement du diesel ou le développement même de véhicules diesel parce que les fabricants automobiles ne sont pas capables de satisfaire les normes, ou bien, comme l'a décidé la Commission européenne, de savoir si nous relâchons la vigilance sur le respect des normes pour une durée déterminée. C'est un choix et vous voyez bien qu'une autorité indépendante aurait sans doute décidé que, puisque les normes n'étaient pas respectées, il convenait d'arrêter – ce qui n'en laisserait pas moins entier le problème automobile tel qu'on l'a évoqué.

J'en viens au dialogue actionnarial entre l'État et les entreprises PSA et Renault. Ma réponse sera simple et brutale. L'État a perdu la compétence nécessaire pour dialoguer avec les entreprises. Savez-vous comment on procède quand Bercy veut discuter avec Renault ? On fait appel à un banquier d'affaires. L'État n'a plus d'expertise et y a renoncé depuis longtemps. Même Arnaud Montebourg, qui s'est beaucoup agité, quand il a eu besoin d'une contre-expertise sur Florange, a eu recours à un banquier d'affaires. Quand j'étais jeune chercheur, je m'intéressais à la « fabrication » de la politique industrielle et j'allais visiter la direction des industries électroniques et de l'informatique (DIELI), la direction des industries métallurgiques, mécaniques et électriques (DIMME)… où je rencontrais des experts sectoriels qui avaient acquis leur compétence sur une longue période ; or aujourd'hui il n'y en a plus du tout. L'une des raisons pour lesquelles l'État n'a pas ce dialogue éclairé avec les industries et même avec celles dont il est actionnaire est donc, je le répète, l'abandon de sa compétence. Et comme les services de Bercy n'ont pas perdu leur arrogance initiale, l'arrogance s'ajoute à l'incompétence. Mais c'est un choix et je ne peux que l'observer.

La réponse à la question de M. Villaumé de savoir s'il n'y a pas contradiction entre l'effondrement de PSA et Renault d'un côté, et la performance de Toyota et Smart de l'autre, est élémentaire. Dans le cas de ces deux dernières, il s'agit d'usines nouvelles, greenfield, d'emblée pensées avec les meilleures technologies, avec la meilleure connaissance des progrès réalisés en matière de gestion de production, d'où un niveau de productivité infiniment supérieur à celui des vieilles usines non optimisées, sous-utilisées… Si bien que même avec des niveaux de salaires et des niveaux de prélèvements sociaux identiques, les coûts unitaires ne sont pas les mêmes et si les usines nouvelles peuvent être très compétitives, ce n'est pas le cas des autres.

En ce qui concerne la voiture à hydrogène, depuis que je donne des conférences sur l'automobile, il se trouve toujours quelqu'un pour me dire c'est que la solution.

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