Intervention de Philippe Guettier

Réunion du 17 novembre 2015 à 14h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Philippe Guettier, directeur général du Partenariat français pour l'eau :

Je remercie Jean Launay d'avoir pris l'initiative d'organiser cette audition et vous prie d'excuser M. Brice Lalonde, porte-parole du PFE, qui n'a malheureusement pas pu se joindre à nous cet après-midi.

Le PFE est une plate-forme qui réunit environ 120 acteurs français du secteur de l'eau, publics et privés, actifs à l'échelle internationale. Ceux-ci sont répartis en six collèges : État et établissements publics ; acteurs économiques ; parlementaires et collectivités territoriales ; organisations non gouvernementales (ONG), associations et fondations ; institutions de recherche et de formation ; experts qualifiés dans le secteur de l'eau. Nous intervenons sur les questions relatives au « petit cycle » de l'eau, c'est-à-dire l'eau et l'assainissement pour les villes, mais aussi, de manière croissante depuis trois ans, au « grand cycle » de l'eau, c'est-à-dire l'eau pour l'agriculture et l'eau pour l'énergie. Nous avons un double mandat : d'une part, plaider dans les enceintes internationales, qu'elles soient officielles – nous travaillons avec les Nations unies sur les questions liées au climat – ou plus informelles – nous participons au Forum mondial de l'eau, dont la dernière édition s'est tenue en Corée du Sud ; d'autre part, valoriser collectivement les savoir-faire français en montrant qu'ils sont efficaces en France et à l'étranger.

En septembre dernier, un objectif dédié à l'eau a été adopté dans le cadre du programme de développement pour l'après-2015. C'est un événement très important pour le secteur de l'eau car, jusqu'à ce jour, la communauté internationale avait très peu statué dans ce domaine. Aujourd'hui, plusieurs initiatives sont prises pour doter le secteur de l'eau d'une gouvernance internationale. La France devra veiller à ce qu'elles soient cohérentes, voire en prendre elle-même un certain nombre. C'est essentiel si l'on veut que l'objectif dédié à l'eau que je viens d'évoquer soit mis en oeuvre de manière efficace et suivi dans les différents pays concernés. La France a un grand rôle à jouer en la matière.

J'en viens à la question du climat. L'objectif premier de la COP21 est d'aboutir à un accord pour limiter le réchauffement de la planète à 2 °C par rapport à l'ère préindustrielle. C'est l'enjeu de l'atténuation. Mais il y a un autre enjeu au moins aussi important dans le cadre de la COP21 : celui de l'adaptation. En effet, les gaz à effet de serre qui contribuent au réchauffement de la planète seront très longtemps présents dans l'atmosphère. Et le changement climatique est à l'oeuvre depuis au moins une décennie. Certaines régions et certains pays sont déjà touchés, notamment le Maghreb et le Machrek, mais aussi l'Espagne. Ils doivent donc s'adapter, ce qu'ils ont commencé à faire. Or la question de l'eau est centrale dans la problématique de l'adaptation. Lorsque l'on discute avec les bailleurs de fonds internationaux et les responsables des pays concernés, notamment des pays du Sud, on se rend compte que 80 % des projets d'adaptation concernent l'eau.

Il existe quatre risques liés au changement climatique en ce qui concerne l'eau : les inondations et l'élévation du niveau de la mer, les grandes sécheresses, la dégradation de la qualité de l'eau, la dégradation des écosystèmes. Les grandes sécheresses sont devenues presque récurrentes dans plusieurs endroits du monde, par exemple au Maroc, en Californie ou dans le sud du Brésil, notamment dans l'État de Sao Paulo. La dégradation de la qualité de l'eau tient non seulement à la baisse de la quantité d'eau dans les rivières à certaines périodes de l'année, qui conduit à une plus grande concentration des polluants, mais aussi à une élévation de la température de l'eau, qui peut poser des difficultés notamment pour le refroidissement des centrales thermiques ou nucléaires – ce problème concerne aussi la France. Quant à la dégradation des écosystèmes, véritables « éponges » qui jouent un rôle majeur en matière de dépollution, elle est induite tant par la réduction du débit des rivières que par le réchauffement de l'atmosphère.

L'adaptation doit donc être un volet majeur de la COP21 et des COP suivantes – car, bien évidemment, la COP21 ne permettra pas de régler tous les problèmes liés au changement climatique. La question de l'eau, en particulier, doit trouver sa place dans les négociations internationales sur le climat. La COP22 qui se tiendra à Marrakech en 2016 constituera une étape essentielle à cet égard.

La COP21 repose sur quatre piliers.

Le premier est l'accord lui-même. Celui-ci évoque la problématique de l'adaptation – ce qui constitue une avancée par rapport aux COP précédentes –, mais pas celle de l'eau.

Deuxième pilier : les financements. De nombreuses questions se posent à cet égard : quid des financements pour l'atténuation et pour l'adaptation ? Comment vont-ils se constituer ? Quel en sera le montant ? On évoque le chiffre de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Le secteur de l'eau étant central pour l'adaptation, on peut penser a priori qu'il bénéficiera d'une partie de ces financements, mais encore faut-il s'atteler à cette tâche.

Troisième pilier : les engagements pris par les différents pays en matière d'atténuation, mais aussi – c'est moins connu – d'adaptation. Le PFE a récemment analysé les engagements pris par 150 des 195 pays parties à la convention. Environ 80 % d'entre eux évoquent l'adaptation et, au sein de ces derniers, une proportion analogue mentionne la question de l'eau. Ainsi, l'eau apparaît comme une priorité pour de nombreux pays. Il faut donc apporter des réponses en la matière.

Dernier pilier : l'« agenda des solutions ». Il s'agit d'un élément nouveau dans les COP. À cet égard, nous avons beaucoup de choses à faire valoir puisque, dans le secteur de l'eau, les solutions existent et sont mises en oeuvre à différents endroits dans le monde, mais à une échelle modeste. L'enjeu est donc de faciliter les décisions afin de développer beaucoup plus largement les projets d'adaptation dans le secteur de l'eau, en particulier dans les pays en développement, ce qui suppose des financements adaptés.

Dans certains secteurs, notamment l'agriculture et l'énergie, les acteurs ont été capables de faire passer des messages et de plaider efficacement au niveau international. À l'inverse, jusqu'à récemment, la communauté internationale de l'eau n'avait pas été suffisamment unifiée et solidaire pour imposer la question de l'eau dans les négociations internationales, notamment lors des COP. Si elle a obtenu l'adoption, en septembre dernier, d'un objectif dédié à l'eau dans le cadre du programme de développement pour l'après-2015, c'est que, pour la première fois, ses différentes composantes ont su se rapprocher et travailler ensemble. Elle doit désormais continuer les démarches auprès des Nations unies, des gouvernements et des sociétés civiles pour que, progressivement, la question de l'eau soit prise en compte de manière ambitieuse dans les négociations sur le climat. Nous sommes conscients que ce travail prendra plusieurs années.

Très récemment, une initiative a été prise en ce sens par une quinzaine de grandes organisations du secteur de l'eau, sur la proposition du PFE et de ses membres : le 2 décembre prochain, nous organiserons une journée thématique sur l'eau dans le cadre de la COP21. Il s'agit d'un premier pas, dont l'objectif est de rendre visible la question de l'eau et du climat. Le slogan de cette journée sera : « Climate is water » – « Le climat, c'est l'eau ». Nous ferons passer plusieurs messages communs : l'eau et le climat sont intimement liés ; il faut agir pour que la question de l'eau trouve sa place dans les négociations sur le climat ; des financements sont nécessaires ; il convient de valoriser les solutions existantes ; le bon niveau territorial pour agir est celui du bassin versant. Ce dernier message tient beaucoup à coeur aux acteurs français : en France, la gestion de l'eau est traditionnellement décentralisée au niveau des bassins.

Le matin du 2 décembre, donc, deux grands événements se tiendront en parallèle au Bourget. D'une part, dans la zone bleue réservée aux négociations, qui sera accessible uniquement aux personnes accréditées par les Nations unies, une série d'engagements en faveur de l'eau et du climat seront signés par plusieurs catégories d'acteurs : les organisations de bassins, les villes, les entreprises et les jeunes. Les bassins concernés sont non seulement ceux qui relèvent d'un seul pays, mais aussi les grands bassins transfrontaliers. Ces derniers sont d'ailleurs nombreux dans le monde et constituent un enjeu considérable. Car l'eau peut être un facteur de paix : si nous promouvons la gestion par bassin au niveau international, c'est bien pour faire en sorte que les pays qui partagent un même bassin travaillent ensemble pour régler les questions liées à l'eau.

D'autre part, dans l'espace dédié à la société civile, qui sera plus facilement accessible même si le système de sécurité sera largement renforcé, se déroulera une conférence visant à valoriser, y compris de façon ludique, les solutions des acteurs de l'eau du monde entier, publics et privés, à même de répondre aux défis de l'avenir. Elle sera suivie d'une conférence de presse internationale, à laquelle participeront plusieurs hauts responsables politiques, mais aussi des chefs d'entreprise, des représentants d'ONG, des élus locaux et des scientifiques.

L'après-midi du 2 décembre, des acteurs de l'eau de tous les pays organiseront une myriade d'événements au Grand Palais pour diffuser les messages collectifs que j'ai mentionnés et valoriser, là encore, les solutions dans le secteur de l'eau. Il est en effet nécessaire de sensibiliser le grand public et de faire de la pédagogie en expliquant simplement les relations entre l'eau et le climat, qui demeurent souvent mal comprises, même dans la sphère des décideurs. Les acteurs français de l'eau interviendront sur les trois sites, via le PFE.

La journée du 2 décembre devrait être précédée, le 30 novembre, – j'emploie le conditionnel – d'un panel de chefs d'État et de gouvernement consacré spécifiquement à la question de l'eau et du climat, à laquelle il s'agit de donner une plus grande visibilité politique.

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