Intervention de Guillaume Garot

Réunion du 17 novembre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Garot, rapporteur :

La lutte contre le gaspillage alimentaire est d'abord un enjeu économique. Chacun de nous jette vingt à trente kilos de nourriture chaque année, dont sept kilos encore emballés. Cela correspond à près de 100 euros de pouvoir d'achat perdu par personne. À l'échelle de notre pays, chaque année, ce sont 12 à 20 milliards d'euros gaspillés.

C'est ensuite un enjeu écologique. Dans la perspective de la COP21 qui se tiendra à Paris dans les jours à venir, il n'est pas inutile de le signaler. À l'échelle de la planète, le gaspillage alimentaire est l'équivalent d'un troisième émetteur mondial de gaz à effet de serre, après la Chine et les États-Unis. Si l'on veut lutter contre le réchauffement climatique, il faut aussi lutter contre le gaspillage de ressources que représente le gaspillage alimentaire.

C'est enfin un enjeu éthique. Aujourd'hui, plus de 30 % de la production alimentaire mondiale sont jetés, alors que tant de gens meurent de faim partout dans le monde. Cela est d'autant moins acceptable qu'un véritable défi alimentaire nous attend dans les prochaines décennies. Aujourd'hui, nous sommes sept milliards sur la terre ; en 2050, nous serons neuf milliards. Comment nourrir neuf milliards d'habitants avec les ressources d'une même planète ? En commençant par jeter moins, gaspiller moins ce que nous produisons.

Ces principes font certes consensus, mais comment agir ? Quelle est la responsabilité du législateur ? Tout le monde en parle et les initiatives se sont multipliées depuis quelques années. Mais si l'on observe lucidement la situation, on s'aperçoit que la bonne volonté des uns et des autres sur le terrain, dans les collectivités territoriales, les associations ou les entreprises ne suffit pas à faire reculer radicalement le gaspillage à l'échelle d'un pays comme le nôtre. Cela veut dire qu'il nous faut collectivement inventer une politique, donc une action publique contre le gaspillage.

C'est le sens de la proposition de loi que je vous présente au nom d'un collectif. J'ai, en effet, considéré que l'enjeu concernant le gaspillage alimentaire était si important qu'il devait nous rassembler. Ce texte est cosigné par des députés de la majorité dans sa diversité, mais aussi par des députés de l'opposition qui se sont mobilisés sur cette question. Je salue en particulier M. Jean-Pierre Decool qui, depuis plus d'un an, s'est penché sur le sujet et a proposé des solutions que nous avons reprises dans cette proposition de loi.

Nous ne partons pas de rien. En juillet dernier, dans l'hémicycle, nous avons voté à l'unanimité des dispositions, adoptées par le Sénat, qui marquaient un pas en avant en termes d'action publique contre le gaspillage alimentaire. Certaines sont en vigueur, d'autres ont malheureusement été annulées par le Conseil constitutionnel pour des raisons de procédure. Il nous faut donc remettre l'ouvrage sur le métier. Aujourd'hui, nous reprenons in extenso les dispositions votées à l'unanimité au mois de juillet dans les deux chambres.

La loi votée cet été a permis, conformément à une disposition européenne, de supprimer, pour les denrées non périssables, l'obligation d'inscrire une date limite d'utilisation optimale. Cela concerne les produits comme le sel, le vinaigre ou le sucre.

Une deuxième disposition, votée l'été dernier, modifie les compétences de l'Agence de l'environnement de la maîtrise de l'énergie (ADEME). L'ADEME désormais reconnue comme étant le bras armé du Gouvernement pour coordonner l'action contre le gaspillage, en lien avec le ministère de l'agriculture.

Que nous reste-t-il à traiter dans la proposition de loi pour être cohérents et efficaces dans la lutte contre le gaspillage alimentaire ? Trois principes doivent guider notre action.

Le premier est la responsabilisation des acteurs. Elle doit concerner chaque acteur, du producteur au consommateur. La proposition de loi repose sur l'idée que chacun peut agir contre le gaspillage alimentaire.

Le deuxième principe est l'éducation. Je suis, comme vous, convaincu que l'on ne peut rien faire d'efficace si l'on ne commence pas par éduquer à moins gaspiller. C'est une culture nouvelle qu'il nous faut transmettre, en particulier aux jeunes générations, sachant que celles-ci sont parfois les meilleurs éducateurs de leurs parents. Si nous voulons mieux respecter l'alimentation, il faut enseigner la façon de moins gaspiller. La lutte contre le gaspillage passe par le respect de l'alimentation, donc par le respect du travail de celui qui a produit la nourriture.

Le troisième principe est celui du développement durable. La lutte contre le gaspillage accompagne la naissance d'un nouveau modèle de développement. Lutter contre le gaspillage, c'est apprendre à produire et à consommer autrement, et à inscrire notre modèle de développement dans l'économie circulaire. C'est un puissant moteur d'efficacité et de développement économique. Il faut concevoir autrement notre développement économique, social et territorial.

La présente proposition de loi comporte quatre articles.

L'article 1er établit une hiérarchie des actions à mettre en place contre le gaspillage. Il faut, d'abord, prévenir la production d'invendus, la surproduction. Il faut, ensuite, valoriser l'alimentation produite non distribuée en la dirigeant vers une autre consommation humaine. C'est le sens de la convention qui devra lier chaque grande surface à une ou plusieurs associations de solidarité afin de valoriser l'alimentation, au lieu de la jeter. Cela va de soi, encore faut-il l'inscrire dans la loi.

Être dans l'économie circulaire, c'est aussi envisager qu'une alimentation qui n'est pas utilisée à des fins de consommation humaine puisse l'être pour l'alimentation animale. Une filière peut ainsi voir le jour. Toujours pour éviter les pertes sèches, l'utilisation peut être faite à des fins énergétiques. Je pense, notamment, à la méthanisation, mais il existe d'autres formes de valorisation.

Tel est l'ordre dans lequel on doit organiser ces actions pour lutter contre le gaspillage.

L'article 2 modifie le régime juridique de la responsabilité des producteurs du fait de produits défectueux. Je prendrai l'exemple d'un industriel qui produit des yaourts sous marque de distributeur (MDD) pour une grande enseigne. Selon un rapport de forces malheureusement classique, il arrive que celle-ci lui retourne une palette entière pour deux ou trois pots de yaourts ébréchés. Bien que le reste des yaourts soit parfaitement consommable, l'industriel se retrouve avec la palette sur les bras, car, aujourd'hui, il ne peut pas en faire don. En sécurisant juridiquement le don, la loi doit permettre à l'industriel de donner ces yaourts.

L'article 3 prévoit explicitement que la lutte contre le gaspillage alimentaire fait partie intégrante du parcours scolaire, dans le cadre de l'éducation à l'alimentation, dont je rappelle qu'elle a été inscrite dans la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt.

Enfin, l'article 4 insère la lutte contre le gaspillage alimentaire dans le champ de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Les entreprises engagées dans le développement durable ont aussi un rôle à jouer, car elles sont des partenaires précieux contre le gaspillage. Nous leur donnons, à travers cet article 4, la capacité d'agir pour lever les freins et les verrous qui pourraient exister.

Tel est le sens de l'action que nous voulons collectivement conduire contre le gaspillage alimentaire. Ce texte peut nous rassembler, a fortiori en ce moment. On attend de nous, législateurs, que nous soyons à la hauteur de cette convergence. Le gaspillage ne mérite pas la polémique, mais l'action et la détermination.

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