Intervention de Fanny Dombre Coste

Réunion du 17 novembre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFanny Dombre Coste :

Le 12 janvier dernier, le Premier ministre me confiait une mission sur la transmission d'entreprises, dont le premier volet avait trait au droit d'information préalable des salariés, et le second à la transmission elle-même. Souhaitant que ce travail soit collectif et collaboratif, j'ai mené une soixantaine d'auditions et consulté plus d'une centaine de personnes, représentant trente organisations. Je me suis également déplacée en Alsace. Les acteurs que j'ai rencontrés ont ainsi contribué, en exposant leurs difficultés, à proposer des pistes pour fluidifier le marché de la transmission.

Même s'il faut toujours prendre les chiffres avec la plus grande mesure, je commencerai par en rappeler deux significatifs. Le premier concerne l'emploi. Bien transmettre nos entreprises, c'est sauvegarder 750 000 emplois et potentiellement en créer des dizaines de milliers d'autres. Le deuxième chiffre illustre la défaillance du marché de la transmission : sur les 185 000 entreprises susceptibles d'être transmises chaque année, seules 60 000 sont mises sur le marché et 30 000 finalement cédées. Cela concerne essentiellement les TPE et les PME, certains territoires et secteurs étant plus particulièrement touchés, comme l'hôtellerie, la restauration, le commerce, le bâtiment et les transports. Nous avons tous, dans nos circonscriptions, des exemples d'entreprises saines ayant brutalement fermé sans trouver repreneur, ceci entraînant la destruction de nombreux emplois – entre 37 000 et 40 000 chaque année. Ces disparitions ne sont pas seulement le fait d'évolutions technologiques, d'un problème de localisation ou d'une faible valeur économique, mais bien de freins identifiés du marché de la transmission. Faute de cessions suffisamment nombreuses et anticipées, les entreprises vieillissent avec leurs dirigeants, ce alors même qu'à partir de cinquante-cinq ans, on observe une tendance au renforcement des actifs au détriment des investissements.

Les défaillances de ce marché ont des causes multiples : l'éclatement d'acteurs de qualité inégale ; l'inadéquation entre l'offre et la demande, les repreneurs cherchant plutôt des PME, quand les cédants vendent plutôt des TPE ; le problème récurrent du taux de remplacement, c'est-à-dire de l'écart entre revenus d'activité et montant de la retraite ; les obstacles réglementaires, fiscaux, culturels et psychologiques ; le manque d'anticipation et l'accompagnement insuffisant.

Pourtant, la transmission pourrait être une mine d'or pour notre pays. Elle représente un potentiel économique de première importance de deux points de vue. Du point de vue macro-économique, d'une part, car une activité économique dynamique repose sur un marché de la transmission le plus fluide possible. Le vieillissement des dirigeants a un impact direct sur l'investissement productif, et c'est tout l'environnement macroéconomique qui en pâtit. L'enjeu est de taille au vu de la courbe démographique et des perspectives de départ à la retraite : 700 000 entreprises vont être cédées dans les dix ans. Améliorer le marché de la transmission permettrait donc de favoriser l'investissement, d'accroître le nombre d'emplois et de préserver des savoir-faire. Du point de vue de l'aménagement et de l'équilibre entre les territoires, d'autre part. Une corrélation a été établie entre le dynamisme du taux de cession d'un territoire et celui de son tissu économique. Derrière une entreprise, un commerce ou un artisan qui ferme, se profile le risque de la désertification.

Le marché de la transmission d'entreprise relève essentiellement du secteur privé, mais il peut être encouragé et mieux coordonné par l'action publique. Il faut introduire dans ce marché de la confiance et de la visibilité. J'ai donc suggéré que nous lancions une mobilisation en faveur de la transmission-reprise, comme nous avons su le faire avec succès pour la création d'entreprise. J'ai proposé un objectif réaliste : accroître d'au moins 20 % le nombre de transmissions de TPE-PME dans les cinq ans, dont un tiers pourrait être effectué par des jeunes. On sait qu'aujourd'hui, 34 % des jeunes ont envie d'entreprendre et que deux tiers d'entre eux pensent le faire avant trente ans.

Le rapport que j'ai présenté au Premier ministre présente plusieurs recommandations, organisées en six axes : sensibilisation, anticipation, accompagnement, formation, financement et simplification.

Par sensibilisation, j'entends que la transmission devienne un récit positif et que l'acte de transmission soit considéré comme un acte normal de la vie d'une entreprise. Il s'agit de déconnecter la transmission de la retraite, d'en valoriser la dimension entrepreneuriale. Cela passe par des campagnes médiatiques nationales, relayées localement, mais aussi des actions de sensibilisation.

L'anticipation est le facteur essentiel d'une reprise réussie. Il faut cibler le plus en amont possible les dirigeants cédants mais aussi les repreneurs. Pour cela, il y a quelques étapes préalables à franchir. Nous manquons, tout d'abord, de mesures statistiques à l'échelle nationale. Non seulement nous n'avons aucune base de données précise permettant d'avoir un suivi de la transmission des TPE-PME en dessous de dix salariés, mais les chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) n'ont pas non plus suffisamment d'informations. C'est pourquoi j'ai proposé de confier cette mission à l'Observatoire du financement des entreprises. J'ai également proposé de structurer à l'échelle régionale un réseau d'acteurs chargés de conduire des actions de sensibilisation de proximité auprès des dirigeants, en fonction des priorités des territoires. Un tel réseau s'est créé en Alsace, nommé Opérateurs de la création reprise d'entreprises (OCRE), qui s'est donné comme mission de définir et de décliner des stratégies par territoires mais également par filières. Le réseau auquel je pense regroupera des acteurs tels que l'État, les collectivités territoriales, les chambres consulaires, les professionnels du droit et de la comptabilité, tous les acteurs privés et associatifs de l'accompagnement et de la formation, mais également les financeurs et la nouvelle agence France Entrepreneur. Il aura pour mission de définir une stratégie par territoire et par filière et de décliner les orientations définies par le comité de pilotage que j'ai préconisé au niveau national.

L'accompagnement, dans un parcours de reprise et de cession complexe et long, est un élément clé pour éviter bien des déconvenues, de l'amont à l'aval. Compte tenu de la qualité inégale des intermédiaires, j'ai suggéré que, sur chaque territoire, le réseau d'acteurs précité élabore une charte de qualité déterminant un socle minimal de prestations. La visibilité de l'offre devra être améliorée en coordonnant l'information et les nombreuses plateformes qui existent. J'insiste sur la nécessité de renforcer l'accompagnement des jeunes, vivier de repreneurs potentiels, en citant la proposition du service civique entrepreneurial ou encore la mobilisation des pôles étudiants pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat (PEPITE).

La formation est le quatrième axe. Quel que soit le profil des repreneurs – cadre de quarante-cinq ans ou jeune sortant d'une formation initiale –, le besoin de formation est réel. Il est nécessaire de mettre en place une offre à la carte et d'organiser des parcours de formation à la reprise à destination des jeunes, des salariés et des demandeurs d'emploi, candidats à un projet de reprise. Cette offre devra être éligible à la formation professionnelle.

Le financement demeure souvent un frein. Si le risque est plus faible pour une reprise que pour une création, le ticket est plus lourd. Il faut donc favoriser la mise en place d'une offre territorialisée de financement de la reprise, tout en optimisant l'effet des dispositifs nationaux susceptibles de déclencher davantage de transmissions en amont. Je pense à des mesures fiscales, mais aussi à l'amélioration du crédit vendeur ou encore à la réflexion sur la location gérance.

Enfin, la politique de simplification en faveur de l'entrepreneuriat doit être poursuivie en veillant à maîtriser le stock et le flux des réglementations qui pèsent sur les TPE-PME. Je retiendrai deux mesures : la simplification de la vente de fonds de commerce et le changement de régime matrimonial, le divorce étant la première cause de fermeture sèche d'une entreprise aujourd'hui.

Voilà, en quelques mots, la substance de ce rapport et quelques-unes des propositions que j'y ai formulées.

Afin de mettre en oeuvre l'ensemble de ces propositions, j'ai suggéré qu'un comité de pilotage présidé par le ministre de l'économie se réunisse tous les six mois. À ma grande satisfaction, ce comité s'est réuni pour la première fois la semaine dernière à Bercy, en présence d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, de Martine Pinville, secrétaire d'État chargée, notamment, du commerce et de l'artisanat, et de l'ensemble des acteurs concernés, dont l'agence France Entrepreneur, Pôle Emploi et les universités, via les PEPITE. Il est destiné à coordonner l'action publique et privée pour lever les freins à la transmission. Il définira des axes stratégiques et veillera surtout à la cohérence et à la mise en oeuvre coordonnée des actions conduites aux niveaux national et local. Par ailleurs, d'autres mesures figurant dans le rapport vont être déclinées rapidement, les préfets ayant déjà reçu pour consigne de réunir les réseaux précités sur les territoires, et d'autres mesures fiscales seront intégrées dans le projet de loi finances rectificative, parmi lesquelles le crédit vendeur.

Je salue la réactivité du Gouvernement et le consensus obtenu sur cette question, qui nous permettront d'avancer rapidement et efficacement. Je ne peux que m'en réjouir tant est important l'enjeu du maillage de nos territoires par les petites et très petites entreprises, les ETI et PME de plus d'une vingtaine de salariés ne se trouvant pas, elles, sur un marché posant des difficultés majeures.

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