Intervention de Isabelle Le Callennec

Réunion du 18 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Le Callennec :

Cette proposition de loi s'inspire d'une idée portée depuis longtemps par ATD Quart Monde dont chacun sait ici le rôle majeur dans la lutte contre la pauvreté. Monsieur le rapporteur, vous avez travaillé avec les grandes associations sur un texte qui a été examiné par le Conseil économique, social et environnemental, qui l'a approuvé en émettant néanmoins quelques réserves – ce qu'il appelle, vous en parliez, les « conditions de réussite ».

Le texte vise à proposer des emplois, qui seraient aujourd'hui non couverts, à des « personnes durablement privées d'emplois ». Dans l'esprit des responsables d'ATD, les intéressés peuvent être bénéficiaires de l'allocation d'aide au retour à l'emploi (ARE), de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) ou du revenu de solidarité active (RSA), voire d'aucune allocation. Elles peuvent être inscrites ou non à Pôle emploi, être indemnisées ou non. Le CESE a cependant recommandé de ne cibler que les personnes inscrites à Pôle emploi depuis plus d'un an et qui ont épuisé leur droit à indemnisation du chômage – pour mémoire, seulement un tiers des chômeurs de longue durée perçoivent une allocation chômage.

Si elle est adoptée en l'état, la proposition créera une expérimentation pour cinq ans sur une dizaine de territoires volontaires dont certains se sont déjà manifestés.

Le groupe les Républicains est a priori favorable à cette initiative, il se pose cependant quelques questions, sur le type d'emplois proposés, sur le statut des employeurs, sur le financement du dispositif, et sur sa gouvernance.

S'agissant des emplois, ils sont censés être « non couverts » mais ne pas se substituer à des emplois existants. Les responsables d'ATD insistent sur le fait qu'il s'agit d'emplois « supplémentaires », qui ne sont pas proposés aujourd'hui mais qui répondent à un besoin non satisfait d'utilité sociale. Monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous citer des exemples très concrets, étant entendu que les personnes embauchées s'engagent à poursuivre leur recherche d'emploi et à accepter les offres raisonnables ?

Concernant le statut des employeurs, il est question de créer des entreprises ad hoc ou de s'appuyer sur l'existant dès lors que ces entreprises relèvent de l'économie sociale et solidaire. Quel sera le rôle des entreprises d'insertion par l'activité économique, celui des associations ou encore des agences d'intérim spécialisées dans l'insertion ? Comment ne pas concurrencer les emplois existants, notamment les contrats d'accompagnement dans l'emploi (CAE) du secteur non marchand ? De quels financements ces entreprises disposeront-elles ?

Les demandeurs d'emploi signeront un CDI. Le travail à temps partiel sera-t-il possible ? La durée de travail hebdomadaire pourra-t-elle être inférieure à vingt-quatre heures ? D'après les responsables d'ATD, la rémunération de ces emplois « conventionnés » ne pourra être supérieure au SMIC, ce qui semble interpeller le CESE qui insiste également sur la nécessité de continuer à accompagner les personnes et de les faire bénéficier de formations.

S'agissant du financement global, dans le projet initial d'ATD, le fonds « zéro chômeur de longue durée » devait permettre de mobiliser la dépense sociale économisée du fait de l'entrée en emploi des personnes embauchées, autrement dit le montant des allocations chômage et des minima sociaux. Or il semblerait que le transfert effectif de cette « non-dépense sociale » vers le fonds soit inapplicable. On s'orienterait donc vers le simple financement des emplois conventionnés par les collectivités locales volontaires et par une ligne budgétaire classique. Les responsables d'ATD avaient espéré une traduction dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2016 – le redéploiement de moyens dévolus aux contrats aidés aurait permis de financer les cinq cents premiers emplois –, mais le PLF a été voté hier sans ces moyens. Si elle était adoptée, la proposition de loi ne serait donc pas financée.

Enfin, nous nous interrogeons sur la gouvernance du dispositif. Personnellement, je pense qu'il pourra fonctionner à condition que l'initiative soit locale. Les comités locaux des « micro-territoires » piloteront l'expérimentation, identifieront les emplois utiles et recevront les candidats pour identifier leurs motivations et leurs compétences. En revanche, je m'interroge sur le pilotage national et territorial car il est question d'une signature entre l'État, Pôle emploi, et le fonds national de l'aide au logement (FNAL). Pourquoi le FNAL ? Au niveau des territoires, des conventions seraient passées avec les collectivités locales, Pôle emploi, et l'État : il faut prendre garde à la superposition des structures.

Finalement, comme me l'a dit un responsable d'ATD, cette proposition de loi n'est ni de droite ni de gauche ; elle vise à expérimenter une nouvelle approche pour lutter contre le chômage de longue durée qui concerne deux millions et demi de personnes dans notre pays. Le projet initial se voulait innovant ; il ne devait pas s'agir d'un énième dispositif d'emplois aidés pesant sur la dépense publique, mais de la création d'emplois considérés comme utiles, adaptés aux besoins des territoires et dont le coût serait compensé par une économie de dépense sociale. ATD a évalué à 15 000 euros par personne et par an le coût du chômage de longue durée. Les Républicains souscrivent totalement à cet objectif. C'est avec le souci de ne pas en trahir l'esprit que nous examinerons les articles et les amendements. Monsieur le rapporteur, j'ajoute que je regrette que nous ayons travaillé en amont sur votre proposition de loi telle qu'initialement déposée alors que nous découvrons vos amendements, inspirés par le Conseil d'État, qui en proposent une nouvelle rédaction.

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