Intervention de Laurent Grandguillaume

Réunion du 18 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Grandguillaume, rapporteur :

En ce qui concerne la méthode, les parlementaires se plaignent souvent d'être confrontés à un manque de temps et d'expertise lorsqu'ils doivent examiner un texte législatif. Or, en l'occurrence, le CESE et le Conseil d'État ont précisément été consultés, très en amont, sur l'idée même des territoires d'expérimentation et le financement du fonds. Cela a permis de corriger les éléments qui pouvaient aller à l'encontre de telle ou telle réglementation, comme le reversement des bénéfices des entreprises de l'économie sociale et solidaire participant à l'expérimentation, au fonds national prévu par la rédaction initiale. J'ai déposé des amendements en ce sens.

Ces deux avis nous permettent de nourrir un débat éclairé sur l'ensemble des enjeux ; nous pourrons ainsi nous appuyer sur les propositions faites au sujet des conditions de la réussite afin de faire en sorte qu'elles soient respectées et que, menée à son terme, l'expérimentation connaisse une issue positive.

Isabelle Le Callennec m'a interrogé sur le statut de l'employeur : pourquoi retenir le statut d'entreprise sociale et solidaire ? Le Conseil d'État l'a reconnu : choisir un type particulier d'entreprise répond à l'idée même d'expérimentation puisque, en quelque sorte, nous dérogeons au principe d'égalité. Retenir les entreprises de l'économie sociale et solidaire, qui répondent au critère de l'utilité sociale, garantit – mieux que si nous avions retenu l'ensemble des entreprises – la séparation des secteurs public et privé. Faute de quoi, cela pourrait conduire à apporter des financements publics à des entreprises susceptibles de concourir à des appels d'offres de marchés publics, ce qui relèverait de la concurrence déloyale. À cette fin, nous ne créons pas un nouveau type d'entreprise ; nous recourons à l'existant : le statut de l'économie sociale et solidaire.

Les chômeurs entrant dans le dispositif se verront proposer un contrat à durée indéterminée, rémunéré au minimum à l'embauche au niveau du SMIC. Un de mes amendements, sur proposition du CESE, prévoit que, si l'entreprise se développe et réalise des bénéfices, elle pourra augmenter les salaires en conséquence.

Plusieurs d'entre vous m'ont interrogé sur la gouvernance locale et nationale : le fonds national d'expérimentation aura la forme juridique d'une association de droit privé, gestionnaire des ressources qui lui seront versées principalement par l'État dans un premier temps. Pour cette raison, un commissaire du Gouvernement sera membre du conseil d'administration et, bien évidemment, disposera d'un droit de veto. Cette disposition fait l'objet de l'un de mes amendements.

Dans chacun des dix territoires qui seront choisis et habilités par voie d'arrêté ministériel – l'État participant à ce choix –, des comités locaux seront institués ; ils rassembleront tous les acteurs publics et privés. À cet égard, la contribution des acteurs de l'insertion sera fonction de chaque territoire. Il reviendra au comité local d'associer tout le monde. À l'occasion de mes déplacements et de mes échanges avec les acteurs locaux, que ce soit en territoire urbain, périurbain ou rural, j'ai pu constater que les forces présentes sont différenciées en fonction des caractéristiques et des difficultés propres à chaque bassin d'emploi.

Monsieur Vercamer, le public ciblé – les personnes privées d'emploi depuis plus d'un an, inscrites ou non à Pôle emploi – justifie un accompagnement social adapté à la situation de chacun, en fonction de son parcours. Les problématiques ne sont pas les mêmes à Florange, dans le Cantal ou en Côte-d'Or, dans le monde rural ou le monde périurbain. Aussi, si le texte doit déterminer le cadre général de l'accompagnement et de la formation, ces outils devront être adaptés aux réalités propres de chaque territoire. Il ne faut donc pas imposer un carcan réglementaire de nature à empêcher toute initiative locale. Nous devrons trouver le juste équilibre entre ce que nous souhaitons encadrer et la latitude dont ont besoin les forces locales pour agir et innover sur les plans social et économique.

Comme le souhaite Dominique Orliac, il faut prendre en compte la diversité des territoires. Une loi d'expérimentation bien équilibrée doit à la fois fixer un cadre et laisser les forces vives innover et créer. Nous devons relever avec audace un véritable défi, pour reprendre le mot de M. Perrut, mais ne promettons pas monts et merveilles ! À cet égard, je proposerai de modifier le titre de la proposition de loi, qui est inspiré du projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », expérimenté en 1995 par ATD Quart Monde à Seiches-sur-le-Loir, en Maine-et-Loire. Celui que je vous soumettrai par amendement est plus réaliste. Soyons ambitieux, mais également réalistes. Comme le disait si bien Jaurès, il faut comprendre le réel, et aller à l'idéal.

Si notre proposition de loi, qui fera l'objet d'une procédure accélérée, est promulguée au premier trimestre de l'année 2016, les différents acteurs locaux pourront proposer des projets sérieux, rigoureux et ambitieux pour la rentrée 2016. Dès lors, les crédits nécessaires au lancement des premières expérimentations ne seront pas considérables. En revanche, selon les estimations dont je dispose, un budget d'amorçage important, de plus ou moins 10 millions d'euros, sera nécessaire la première année pleine. Cela dépendra évidemment des territoires choisis par le fonds et le Gouvernement et du nombre de chômeurs concernés. Je préférerais, quant à moi, que soient retenus, plutôt, des territoires ruraux ou périurbains, ou des quartiers très précis, afin de garantir le respect du principe d'étanchéité. Mme la ministre du travail Myriam El Khomri, que j'ai rencontrée récemment, précisera dans l'hémicycle quels moyens seront mobilisés en 2016. Il importe surtout que des montants importants soient prévus ensuite, en loi de finances pour 2017.

N'oublions pas qu'après l'amorçage, se posera la question de la gestion des économies réalisées pour fonctionner à budget constant. Il ne faudrait pas créer d'usine à gaz. Au-delà de la participation du département et de l'État, il importe de pouvoir ouvrir la porte aux organismes publics et à toutes les collectivités – communes, intercommunalités ou métropoles – que cette démarche pourrait intéresser. L'évaluation en cours d'expérimentation devra permettre de prouver que le dispositif fonctionne bien à budget constant. On le voit, c'est innovant et complexe. Il s'agit de parvenir, au plan local, à un modèle économique pertinent, créateur d'emplois et durable. Que se passera-t-il dans cinq ans ? Nul ne saurait décréter à l'avance qu'une entreprise, quelle qu'elle soit, connaîtra un développement fulgurant ou des difficultés, chers collègues !

Quant aux activités susceptibles d'être développées, elles dépendront des territoires. Dans certaines zones rurales, les compétences de chômeurs de longue durée pourraient ainsi être mobilisées dans le cadre de ressourceries ou de recycleries dont les services n'entreraient pas en concurrence avec des activités existantes. C'est la définition même des activités ciblées qui sera très importante. Nous pourrons nous inspirer, à cet égard, des exemples qu'offrent déjà la commune de Prémery ou encore les départements d'Ille-et-Vilaine et des Deux-Sèvres.

Il faudra surtout éviter la concurrence avec des activités existantes ! C'est fondamental. Rien ne serait pire que de créer des effets d'aubaine ou de perturber des dispositifs d'insertion et des activités économiques existants.

Rien n'empêchera de passer convention avec un département, une métropole, une intercommunalité ou une commune. Toutefois, c'est le fonds lui-même qui passera convention avec les territoires ou les entreprises concernés afin d'éviter des dérives ici où là. Un cadrage national est nécessaire, mais il n'empêchera pas les initiatives locales. Les collectivités territoriales volontaires jouiront donc de la plus grande liberté.

Le fonds prendra la forme d'une association, conformément aux préconisations du Conseil d'État. Cela permettra son bon fonctionnement, d'autant que de précédentes expérimentations montrent que cette forme juridique est pertinente.

J'ai déposé des amendements sur la rupture du contrat du travail des bénéficiaires du dispositif. Comment se passera-t-elle ? Le but est de favoriser la pérennité de la structure créée, tout en permettant aux personnes de trouver un autre emploi – leurs éventuelles démarches en vue d'y parvenir ont évidemment plus de chance que lorsqu'elles sont au chômage depuis plusieurs années. Si l'expérimentation ne fonctionne pas, l'entreprise sera-t-elle en mesure d'assumer les conséquences financières de toutes les ruptures de contrat ? Cela doit être prévu.

Si le dispositif déroge au principe d'égalité, la notion d'utilité sociale permet d'éviter toute concurrence avec des activités existantes. Cependant, une entreprise qui existerait déjà, une entreprise classique, pourrait s'engager dans cette expérimentation si elle remplit les critères fixés par la loi relative à l'économie sociale et solidaire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion