Intervention de Philippe Gomes

Réunion du 18 novembre 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomes, rapporteur :

Cette proposition de loi organique, que j'ai déposée avec plusieurs collègues le 17 septembre dernier, est l'aboutissement d'un long parcours.

Comme l'ensemble des Outre-mer, la Nouvelle-Calédonie a des difficultés sérieuses avec ce que nous appelons communément « la vie chère ». Celle-ci est due à plusieurs raisons bien connues : l'insularité, l'éloignement, un marché très limité de 250 000 habitants, une énergie chère, des frais bancaires et postaux élevés et, au-delà, une concentration excessive, notamment dans le secteur de la distribution des biens et des services. Ce phénomène structurant de la vie économique de notre île a été relevé par l'Autorité de la concurrence – nationale – dans deux rapports remis en 2012 à la demande du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie.

Afin de combattre ce facteur structurant, le législateur local a adopté en 2013 une « loi antitrust », qui instaure un contrôle très strict des opérations de concentration, tant des opérations de croissance externe par fusion et acquisition, dès lors que le chiffre d'affaires cumulé des entreprises concernées est supérieur à 600 millions de francs Pacifique, que des opérations de croissance interne, dès lors que les nouvelles surfaces commerciales excèdent 300 mètres carrés. Cette loi comporte en outre un dispositif d'injonction structurelle : lorsque des préoccupations de concurrence se font jour dans tel ou tel secteur, l'autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie pourra, après discussion avec l'entreprise concernée, enjoindre à celle-ci de céder des actifs. Le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions, plus strictes que celles qui sont en vigueur au niveau national, avaient leur pertinence eu égard aux spécificités calédoniennes.

Le législateur local a donc accompli son travail. Cependant, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie ne lui permettait pas d'instituer l'autorité administrative indépendante à laquelle il souhaitait confier l'ensemble de ce dispositif. Il a donc sollicité du législateur national une modification de la loi organique statutaire du 19 mars 1999 l'autorisant à créer, de manière générale, des autorités administratives indépendantes, étant entendu que l'objectif était, en l'espèce, de créer une autorité de la concurrence. Cette modification est intervenue en octobre 2013, le consensus politique entre Calédoniens à ce sujet ayant été formalisé lors d'une réunion du Comité des signataires de l'Accord de Nouméa à la fin de l'année 2012, sous la présidence du Premier ministre.

Toutefois, si cette modification de la loi organique permet la création d'une autorité administrative indépendante en droit, elle l'interdit en fait, car elle prévoit un régime d'incompatibilités trop strict. Une autorité virtuelle présenterait certes un intérêt intellectuel ou juridique, mais ne nous permettrait guère d'avancer dans la pratique en Nouvelle-Calédonie ! En séance publique, j'avais appelé l'attention de mes collègues sur le fait que le dispositif n'était pas opérationnel, mais l'amendement que j'avais déposé avait reçu un avis défavorable tant du rapporteur que du Gouvernement.

Je n'avais pas pu franchir le cap de cette « double peine », mais je suis revenu à la charge lorsque l'Assemblée nationale a examiné, en juillet 2015, une autre modification de la loi organique, portant sur la consultation sur l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, qui devra être organisée au plus tard en novembre 2018. Le rapporteur du texte, René Dosière, que je remercie, a alors reconnu que les dispositions en vigueur ne permettaient pas la création d'une autorité administrative indépendante et a soutenu mon amendement, tout en reconnaissant qu'il n'avait pas sa place au sein d'un texte spécifiquement dédié à la question du corps électoral pour la sortie de l'Accord de Nouméa. Quant au Gouvernement, il a dit partager la préoccupation que j'exprimais et s'est engagé à soutenir une proposition de loi organique qui serait déposée en ce sens. Tel est l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui.

L'autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie instaurée par la loi du pays du 24 avril 2014 est composée, je le rappelle, d'un président et de trois membres non permanents. Actuellement, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit que « la fonction de membre d'une autorité administrative indépendante est incompatible avec tout autre emploi public ». C'est ce régime qui nous interdit de nommer les membres non permanents. En effet, ceux-ci n'ont pas vocation à ne percevoir que leurs vacations : à la différence du président qui pourra vivre de ses seules indemnités, ils doivent pouvoir exercer, en parallèle, un emploi rémunéré à plein temps. Pour exercer ces fonctions de membre non permanent, on pense par exemple à des magistrats financiers ou administratifs ou à des professeurs d'université, qui apporteraient ainsi leur expertise à l'autorité de la concurrence.

Une proposition de loi organique ayant le même objet que celle-ci a été déposée au Sénat par Mme Catherine Tasca et plusieurs de ses collègues. Elle a déjà été examinée par la commission des Lois de cette assemblée et sera soumise à sa délibération aujourd'hui même. Ainsi, nous aurons deux textes identiques : l'un devrait être adopté ce soir par le Sénat, l'autre a vocation à l'être par l'Assemblée nationale le 26 novembre prochain dans le cadre de la journée réservée au groupe Union des démocrates et indépendants.

Le congrès de la Nouvelle-Calédonie n'a pas été saisi de la présente proposition de loi organique, mais il l'a été de celle du Sénat. Dans son avis, il a réitéré les arguments que j'ai développés devant notre assemblée en 2013 et cette année, à savoir que le régime d'incompatibilité actuel empêche de nommer les membres non permanents. En outre, il a souhaité que soit instauré un délai de carence d'au moins trois ans pour les personnes ayant exercé un des emplois publics visés par le nouveau régime d'incompatibilité, qu'elles aient atteint ou non l'âge de la retraite. Cette disposition est de nature à garantir encore davantage, si besoin était, l'impartialité et l'indépendance des membres de l'autorité de la concurrence.

J'ai déposé un amendement tendant à récrire la proposition de loi organique. Il s'inspire à la fois des observations que j'avais moi-même formulées, de celles du congrès de la Nouvelle-Calédonie – j'ai repris sa proposition concernant le délai de carence – et de celles de nos collègues sénateurs. En définitive, le dispositif qui vous est proposé est le suivant : conformément à la loi du pays de 2014, le président de l'autorité de la concurrence exercera sa fonction à plein temps, et celle-ci sera incompatible avec tout autre emploi public exercé en Nouvelle-Calédonie ; les membres non permanents pourront exercer un autre emploi public, à condition que celui-ci ne relève pas des institutions, des provinces ou des communes de la Nouvelle-Calédonie, ni de leurs établissements publics ; ils ne devront pas non plus avoir occupé un tel emploi au cours des trois années précédentes.

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