Intervention de Yves Jégo

Réunion du 18 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYves Jégo, rapporteur :

La présente proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, puisqu'elle reprend un amendement que j'avais déposé sur ce texte et qui avait été rejeté au milieu de la nuit, à une voix près. Il est vrai, madame la présidente, que le sujet est important, mais il est aussi complexe. C'est pourquoi il importe que nous trouvions les voies et moyens pour aboutir à un accord le plus consensuel possible, afin de faire avancer les choses.

Permettez-moi, tout d'abord, de rappeler que l'effacement électrique diffus, qui doit être distingué de l'effacement électrique industriel, consiste pour des opérateurs à effacer, grâce à une série de microcoupures, une partie de la production électrique, en particulier aux moments où celle-ci est la plus coûteuse, c'est-à-dire lors des pics de consommation. Cette pratique, outre qu'elle ne provoque aucune rupture de confort, permet aux consommateurs concernés de réaliser une économie pouvant représenter jusqu'à 10 % de leur facture. Au moment où le coût de l'énergie augmente de manière importante, en particulier pour les 8 millions de foyers français équipés de chauffage électrique, on mesure ce qu'un tel dispositif peut avoir d'avantageux.

Mais son intérêt majeur – et il est important de le souligner à quelques semaines de l'ouverture de la COP21 – est sans doute de permettre aux producteurs d'électricité d'éviter de déclencher, à certaines périodes de l'année, des moyens de production peu économes en CO2, notamment les centrales à charbon. On estime ainsi que, si le marché de l'effacement concernait, non pas 100 000 foyers, comme c'est le cas actuellement, mais 1 million, on pourrait économiser jusqu'à 2 millions de tonnes de CO2 par an. Ces chiffres sont certes sujets à discussion, mais notre mission d'information nous permettra, je l'espère, d'affiner l'analyse. Un tel dispositif a d'autant plus d'intérêt que notre mix énergétique comporte une part croissante d'énergies renouvelables, dont la production aléatoire rend la gestion des stocks de plus en plus en plus complexe. L'effacement électrique diffus constitue donc un outil supplémentaire de bonne gestion du transport et de la distribution de l'électricité.

Cette question a beaucoup mobilisé le Parlement, en particulier notre commission, depuis 2007. De texte en texte, nous progressons, et ma proposition de loi se veut un petit pas de plus, en clarifiant certaines des dispositions existantes. Néanmoins, force est de constater que les progrès accomplis ne sont pas suffisants, puisque le marché de l'effacement électrique diffus ne fonctionne pas. Seulement 100 000 foyers y participent, si bien que les opérateurs d'effacement, qui installent les boîtiers permettant de réaliser les microcoupures, ne peuvent pas développer leurs investissements. Le dernier rapport de Réseau de transport d'électricité (RTE) évalue ainsi le gain total des quinze opérateurs d'effacement à 1 783 euros…

Notre commission, en particulier votre prédécesseur, Madame la présidente, a beaucoup oeuvré pour trouver le bon équilibre en la matière. Là est, en effet, l'enjeu : il s'agit de garantir une juste répartition des coûts et des bénéfices de l'opération d'effacement. Tel est, du reste, l'objet de la proposition de loi.

Le premier gain, je l'ai dit, est réalisé par le consommateur : non seulement le boîtier est installé gratuitement et son confort n'est pas affecté par les microcoupures de courant, mais il consomme moins et sa facture diminue.

Ensuite, l'opérateur d'effacement, qui prend le risque d'investir pour installer ces boîtiers, doit trouver son mode de rémunération. Cet opérateur peut être soit indépendant, soit distributeur d'énergie, soit distributeur et producteur. Il sera d'ailleurs intéressant de tous les entendre dans le cadre de la mission d'information, car on comprend bien qu'un effaceur qui est également producteur et distributeur n'a pas la même vision des choses qu'un opérateur qui n'est qu'effaceur.

Enfin, le distributeur d'énergie, que l'effacement prive d'une partie de son gain, doit bénéficier d'une compensation – et nous sommes là au coeur de la proposition de loi. Actuellement, celui qui efface l'électricité chez le particulier doit, de par la loi, verser au distributeur une somme correspondant à l'énergie qui n'a pas été consommée. Tout cela paraît parfaitement logique, mais le marché est tel qu'il ne permet pas de parvenir à un équilibre entre le versement réalisé par l'opérateur d'effacement et la rémunération que celui-ci tire de la revente de l'énergie effacée.

Notre commission a donc envisagé, un temps, que ce versement soit compensé par une prime issue de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Mais cette solution pouvait favoriser certaines dérives, notamment la constitution de bulles comparables à celles que nous avons connues avec le photovoltaïque. C'est pourquoi il n'est prévu, dans la proposition de loi que je vous soumets, aucun prélèvement d'aucune sorte. Je propose plutôt de prendre en compte un phénomène qui est décrit dans la loi relative à la transition énergétique mais dont on n'a pas défini les bénéficiaires. Je m'explique.

Lorsqu'on efface de l'électricité dans les phases où sa consommation est très importante, on en fait diminuer le prix global puisqu'on évite au producteur de recourir, par exemple, à des centrales à charbon. Dès lors, le distributeur bénéficie d'un gain, puisqu'il achète l'énergie moins chère. C'est l'utilisation de ce gain – que la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte évoque mais dont elle ne détermine pas la destination – qui fait l'objet de la proposition de loi. Nous proposons, en effet, que ce gain, qui pourrait avoisiner 200 millions d'euros par an, soit affecté en partie à la diminution du versement dû par les opérateurs d'effacement. Ainsi, non seulement l'opération pourrait trouver son équilibre, mais les opérateurs d'effacement sauraient où ils vont en matière tarifaire, connaîtraient leur rémunération et pourraient donc investir. Ces investissements sont nécessaires si nous voulons porter le nombre de foyers équipés d'un boîtier de 100 000 à 1 million, sur un total de 8 millions de foyers, car il n'est pas question que le consommateur paie quoi que ce soit.

En tout état de cause, je me réjouis que nous puissions aborder à nouveau le sujet, notamment dans le cadre de la mission d'information. Nous devons bannir toute arrière-pensée en la matière. Si le dispositif ne fonctionne pas, il faut que nous comprenions pourquoi. Ce qui est certain, c'est que les producteurs d'électricité, qui sollicitent souvent les pouvoirs publics pour obtenir une augmentation de leurs tarifs, n'aiment ni produire moins d'électricité, ni que le tarif global diminue du fait d'opérations qui ne seraient pas les leurs. Cette logique économique et industrielle peut, du reste, se comprendre.

Pourtant, la France est actuellement plutôt en pointe dans ce domaine, notamment parce que les entreprises d'effacement y ont développé des savoir-faire technologiques innovants. Nous devons faire en sorte que le dispositif trouve son propre équilibre, sans recourir à des financements publics. S'il permettait de réduire la production de CO2 de quelques milliers, voire de quelques millions de tonnes, il serait tout de même dommage de s'en priver ou de ne pas en accélérer le développement, faute de s'être donné les moyens d'en comprendre tous les mécanismes. C'est pourquoi, encore une fois, je me réjouis de la création de la mission d'information, qui devrait nous permettre, dans un délai bref, de tout mettre à plat et sans doute – car nous n'y échapperons pas – de revenir sur la législation actuelle pour en clarifier certains points.

Je plaide donc en faveur d'une politique des petits pas, mais de petits pas rapides, sans être précipités. Notre réflexion sur le sujet a tout de même débuté en 2007. Si nous nous en tenons à la loi relative à la transition énergétique, le dispositif devrait entrer en vigueur en 2017. Or les phénomènes s'accélèrent et, comme nous le verrons au mois de décembre, nous ne pouvons pas perdre de temps en matière de réduction des émissions de CO2.

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