Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du 18 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel :

Je commencerai par un bref rappel du contexte législatif. Adoptée en 2013, la loi n° 2013-312 dite « Brottes » définit, pour la première fois, un cadre pour les effacements explicites, c'est-à-dire permettant la valorisation de l'énergie effacée sur les marchés de l'énergie. Le principe d'une rémunération des fournisseurs par les opérateurs d'effacement est posé ainsi que celui du versement d'une prime aux opérateurs d'effacement, alimentée, dans un premier temps, par la CSPE au titre de leur contribution aux objectifs de la politique énergétique. La loi de 2013 a été mise en oeuvre et des effacements diffus ont été valorisés sur le marché de l'énergie, même si nous convenons avec vous, monsieur le rapporteur, que cela reste insuffisant.

En janvier 2015, dans le cadre de la commission spéciale pour l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, a été organisée une table ronde sur le sujet. Tous les parlementaires présents et les entreprises du secteur invitées se sont accordés sur la nécessité d'un versement des opérateurs aux fournisseurs, la question étant dès lors de déterminer le mode de calcul d'un tel versement. La loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui a été définitivement adoptée en juillet dernier, modifie la loi Brottes. La prime aux opérateurs est remplacée par un système d'appel d'offres rémunérant les effacements de consommation du candidat retenu, dont les modalités sont fixées par arrêté des ministres en charge de l'énergie et de l'économie. Ce système présente l'avantage, par rapport à celui de la prime, de mieux maîtriser les charges de service public et de piloter le déploiement de la filière en volume. Le rôle des gestionnaires de réseaux dans la mise en oeuvre est clarifié : RTE ne peut pas exercer l'activité d'opérateur d'effacement, car il assure la mise en oeuvre technique des effacements et doit donc demeurer neutre.

Enfin, la loi relative à la transition énergétique définit deux régimes qui ne sont pas cumulables : le régime général, qui permet aux opérateurs de se rémunérer via le système d'appel d'offres, et le régime dérogatoire qui, en cas d'économie d'énergie significative, permet de répartir le paiement fait aux fournisseurs entre l'opérateur d'effacement et le gestionnaire de réseaux. Les coûts supportés par ce dernier sont ensuite couverts par la communauté des fournisseurs dans le cadre d'un règlement appelé « règlement des écarts ».

Quatre mois après l'adoption de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, Monsieur Jégo, vous déposez une proposition de loi – inspirée d'un de vos amendements , que nous avions repoussé, il est vrai, de justesse – qui revient sur certaines de ses dispositions, en particulier sur la répartition du bénéfice. Or un dispositif équilibré a été trouvé, le Gouvernement doit lancer les premiers appels d'offres et en évaluer les résultats. En outre, à ce stade, aucune évaluation nouvelle n'a été réalisée, notamment sur la question importante du report, évaluation dont les résultats peuvent s'avérer très différents selon que l'on modélise les économies d'énergie à quelques heures ou à quelques jours de l'opération d'effacement. On ne peut donc pas partir, sans étude précise, du postulat selon lequel il n'y aurait aucun report dans tout effacement. J'ajoute que l'impact escompté sur les économies d'émission de gaz à effet de serre et les gains pour le consommateur n'ont pas fait non plus l'objet d'évaluations nouvelles. Dans ce contexte et pour toutes ces raisons, vous comprendrez que nous ne puissions pas adopter cette proposition de loi.

Par ailleurs, celle-ci prévoit explicitement que de la somme versée par l'opérateur d'effacement aux fournisseurs seront déduits les gains que ces derniers retirent de l'effacement. Le paiement à la charge des opérateurs risque donc d'être suspendu dans l'attente du calcul, extrêmement complexe, de ces gains. De surcroît, la rationalité économique d'un tel dispositif est discutable puisque ce dernier revient à demander aux fournisseurs de rémunérer les opérateurs d'effacement pour la baisse des prix qu'ils engendrent. En outre, une longue suspension du versement ou un non-versement au fournisseur seraient inconstitutionnels, en vertu d'une décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2013 selon laquelle le versement est nécessaire pour assurer la constitutionnalité du dispositif. Enfin, la proposition de loi prévoit que le gestionnaire public du réseau de transport est l'unique acteur qui verse l'argent aux fournisseurs avant de voir ses coûts couverts selon les modalités existantes. Il joue donc le rôle de caisse : c'est lui qui supporterait l'ensemble des charges, qui pourraient être importantes.

Même si chacun est convaincu que l'effacement est vertueux et qu'il offre des perspectives écologiques et économiques intéressantes, le dispositif s'inscrit aujourd'hui dans une zone d'instabilité. Aussi le sujet mérite-t-il d'être expertisé. Vous comprendrez donc qu'à ce stade, compte tenu de la mission d'information qui a été créée, le groupe socialiste, républicain et citoyen propose la suppression de l'article unique de la proposition de loi.

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