Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 18 novembre 2015 à 8h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense. :

En ce qui concerne la Russie, Monsieur Nauche, seuls les faits – même s'ils sont aujourd'hui sinistres – doivent parler. À la suite de l'attentat, commandité par Daech, dont a été victime l'avion russe, ce pays a paru se livrer à une longue interrogation. Hier, des missiles de croisière russes ont frappé Daech à Raqqa. Il s'agit peut-être d'une nouvelle posture militaire ; en effet, contrairement à certains propos, nos services de renseignement – notamment la direction du renseignement militaire (DRM) – montraient très bien que depuis le début de l'intervention russe, 80 % des frappes étaient orientées contre les insurgés qui se battaient contre Bachar el-Assad, l'espace territorial occupé par l'armée terroriste restant, pour sa part, relativement préservé. Ce n'est plus le cas désormais. Pour le reste, la discussion aura lieu au plus haut niveau dans les jours qui viennent. Pour l'instant, nous échangeons les informations sur le positionnement de nos deux groupes navals et aéronavals pour éviter toute complication ou interférence.

Pour ce qui est de la posture statique ou dynamique des militaires engagés dans l'opération Sentinelle, nous sommes conscients de la situation. Après les attentats de janvier, nous avons dû adopter des postures statiques afin de protéger des sites sensibles et particulièrement visés. Désormais, il s'agit d'allier le statique au dynamique. Les forces nouvelles de la défense qui viennent d'arriver hier seront donc davantage orientées vers la patrouille, la présence et la mobilité ; mais, dans certains cas, le stationnement fixe reste nécessaire. La posture mobile est d'ores et déjà active dans plusieurs arrondissements parisiens.

Madame Fourneyron, Daech dispose actuellement de quelque trente-cinq ou quarante mille combattants, parmi lesquels entre dix et quinze mille – vraisemblablement treize mille – combattants étrangers : Français, Tchétchènes, Tunisiens, Saoudiens… Ce chiffre est énorme. La vocation de ces recrues n'est manifestement pas que d'assurer la sécurité de l'État islamique en constitution, mais aussi de former des acteurs visant à provoquer des attentats. Daech a opéré contre la France – on le sait douloureusement –, mais également contre la Russie, l'Égypte, la Turquie, la Tunisie et le Liban. Il a failli opérer contre la Belgique. Face à cet adversaire immonde, il est nécessaire de créer une grande coalition. Selon nos estimations, il y a aujourd'hui en Syrie environ dix mille insurgés « verts », auxquels on peut fournir de l'armement en toute sécurité ; ils se concentrent essentiellement dans la région d'Alep et au sud du pays. Jabhat al-Nosra représente entre quinze et vingt mille combattants. À côté, il y a une masse d'insurgés – quelque soixante-dix mille – groupés en katibas réparties sur le territoire, qui se parlent entre eux, dont quelques-uns sont radicalisés, mais qui peuvent demain servir d'éléments de reconstitution d'une force. Cette masse peut un jour être utile, mais pour l'instant nous constatons la division de ces groupes, ce qui rend diffcile la discussion.

En Libye, après avoir pris Syrte, Daech tente de progresser vers le sud, grâce au ralliement de certaines tribus prises dans le conflit entre Tobrouk et Tripoli, mais aussi grâce à la présence de combattants étrangers – notamment Tunisiens – venus de Syrie. Leur nombre est aujourd'hui relativement limité ; on ne compte pas de Français dans leurs rangs. Au-delà de ce que la communauté internationale fait en Syrie, il est extrêmement important que le processus politique en Libye progresse très rapidement. Sa lenteur – que le remplacement de M. Bernardino Leon par M. Martin Kobler au poste d'émissaire de l'ONU ne fait qu'accentuer – me préoccupe depuis longtemps. C'est le sujet important de demain.

Comment s'appliquera l'article 42-7 ? Pour chaque pays, je regarde ce qu'il peut nous apporter, en fonction de ses moyens et de ses contraintes juridiques et politiques. Ainsi, l'Allemagne pourrait nous aider à alléger certains de nos engagements vis-à-vis des missions de l'ONU. La Slovaquie ne pourra pas faire un effort de cette ampleur, mais apportera une aide en matière de logistique ou de transport tactique. C'est une avancée considérable, et vu la solennité avec laquelle tous les ministres se sont exprimés hier – beaucoup l'ont d'ailleurs fait en français, en signe de solidarité –, je pense que les promesses seront honorées. Après, il faudra en tirer les conclusions qui s'imposeront, mais pour l'instant, j'attends les engagements concrets.

Monsieur Habib, dans le cadre de notre combat contre Daech, il nous faut établir une stratégie globale. L'envoi des forces aériennes françaises en est une composante importante, mais il est clair que cette stratégie doit intégrer une présence au sol. Cependant, il ne s'agit pas automatiquement d'une présence au sol française. Le bon chemin est celui que nous empruntons en Irak : ce sont les forces locales qui reconquièrent leur patrie avec l'appui aérien de la coalition, qui détruit les bastions essentiels de Daech et fournit une aide en matière de formation et de renseignement. Les combats au sol sont déjà une réalité : les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) se sont battus pour préserver Kobané et sont maintenant à l'offensive. C'est dans cette stratégie globale qu'il faut appréhender l'indispensable intervention au sol, qui pourra d'ailleurs impliquer des acteurs autres que ceux aujourd'hui présents sur le territoire syrien. Des pays voisins peuvent ainsi y contribuer dans le cadre d'une approche commune internationale.

Pour ce qui est de votre deuxième question, la Russie n'est en effet pas l'Iran. La présence iranienne est réelle en Syrie ; il est délicat d'avancer des chiffres car il faudrait mesurer la part du Hezbollah et celle des autres combattants. Nous n'avons pas encore traité ce problème. La situation nécessitera une solution politique, et nous avons toujours dit que l'Iran devait au final être présent à la table des négociations. Mais aujourd'hui, c'est le changement de la posture russe qui constitue l'élément nouveau. La position de ce pays évoluera, j'espère, au fur et à mesure des contacts, notamment à l'occasion de la rencontre entre le président Hollande et le président Poutine.

Monsieur Vitel, nous avons déjà reporté l'IPER du Charles de Gaulle aux dates que vous avez indiquées. On verra plus tard s'il faut ou non, et si l'on peut prolonger ce report. Le groupe aéronaval part ce matin et sera en posture sur zone en Méditerranée orientale dans quelques jours ; ensuite, il ira dans le Golfe où il restera jusqu'au mois de mars 2016. Il s'agit donc d'une présence particulièrement longue. L'idée de construire un deuxième porte-avions n'est pas à l'ordre du jour, concentrons-nous sur l'effort présent, il sera toujours temps de voir la suite le moment venu. Notre collaboration future avec les Britanniques peut également apporter des solutions dans ce domaine.

Enfin, avec la Turquie, nous avons pour l'instant des relations de coopération militaire classique, assez développées puisque ce pays est membre de l'Alliance. Nous collaborons notamment de manière étroite dans le domaine des renseignements ; mais à ce jour, nous n'avons pas de coordination militaire. Je ne peux pas en parler aujourd'hui, mais la question de la position turque se posera très prochainement, en rapport avec l'évolution des combats en Syrie.

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