Intervention de Marisol Touraine

Séance en hémicycle du 24 novembre 2015 à 15h00
Modernisation du système de santé — Présentation

Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mesdames et messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les députés, nous entamons aujourd’hui l’examen en nouvelle lecture du projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Nous avons débattu hier du projet de loi de financement de la sécurité sociale : il existe bien évidemment une cohérence entre ces deux textes. Et de la même manière que je ne pouvais parler hier de notre protection sociale sans évoquer les attentats du 13 novembre dernier, je voudrais, au moment où s’ouvre le débat sur notre système de santé, commencer par évoquer les victimes de la tragédie terroriste. Certaines luttent encore pour leur vie, d’autres vont rester hospitalisées longtemps encore ; comme je l’ai dit tout à l’heure, elles sont encore 161 dans les hôpitaux parisiens, dont 26 en réanimation.

Mes pensées et mon soutien vont aussi aux personnels hospitaliers du SAMU, de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, des hôpitaux des armées et des établissements de santé de la petite couronne parisienne. Je veux saluer à nouveau leur engagement, leur mobilisation et leur très grand professionnalisme, et répéter, comme j’ai eu l’occasion de le leur dire à eux, qu’ils sont à proprement parler « héroïques », en délivrant une médecine d’excellence dans des circonstances exceptionnellement difficiles.

Je pense aussi à ceux, très nombreux, qui sont venus spontanément dans les hôpitaux pour proposer leur aide : les agents hospitaliers de repos, les anciens étudiants des services concernés, mais aussi les professionnels des autres établissements ou services, les personnels des établissements privés et les médecins libéraux. Beaucoup auraient voulu travailler ce soir-là et ils étaient si nombreux que tous n’ont pu le faire. Je veux aussi remercier les Français qui, par centaines, sont venus donner leur sang après la tragédie que nous avons vécue.

Notre pays est en deuil et nous avons, toutes et tous, le coeur et l’esprit emplis des visages de ces femmes et de ces hommes qui ont perdu la vie.

À la suite des annonces faites par le Président de la République, nous avons pris la décision de reporter d’une semaine l’examen du texte sur la santé. Il vient maintenant en discussion, et c’est une manière de répondre à ceux qui veulent fragiliser notre démocratie et nos institutions. Je souhaite que le débat qui s’engage soit l’occasion d’exprimer à nouveau notre confiance collective envers nos professionnels et notre système de santé.

Je saluais tout à l’heure l’excellence du service public hospitalier face aux événements du 13 novembre. Il a montré le meilleur de lui-même, et c’est une fierté pour nous tous. Cela montre combien il est décisif d’oeuvrer à sa pleine reconnaissance. C’est ce que je propose dans le projet de loi de modernisation de notre système de santé, sans ostracisme, sans intention d’opposer, mais avec la volonté déterminée de restaurer et de soutenir ce pilier de notre système de santé. Et je regrette que, lorsque l’on défend et que l’on porte haut les couleurs de l’hôpital public, certains y voient un facteur d’affaiblissement des autres secteurs de notre système de santé, car c’est en unissant les forces du service public hospitalier et de la médecine ambulatoire que nous saurons, ensemble, répondre aux défis de l’avenir.

Soutenir notre système de santé, le moderniser, c’est ce qu’attendent les Français et c’est ce à quoi s’attache ce texte.

C’est un texte pour l’égalité, pour améliorer l’accès de tous à des soins de qualité. C’est un texte contre l’immobilisme et la résignation : rester immobile reviendrait à condamner notre modèle social à la disparition et notre promesse républicaine à l’érosion. C’est un texte qui vise à offrir à chacun les mêmes droits, les mêmes chances, pour vivre le plus longtemps possible en bonne santé. C’est un texte qui s’inscrit dans la cohérence de l’action menée pour lutter contre les inégalités de santé.

Ces inégalités, je les ai combattues en facilitant l’accès aux soins pour celles et ceux qui connaissent des difficultés financières et renoncent trop souvent à consulter. Mesdames et messieurs les députés, derrière les déclarations de principe, il y a des faits. Et les résultats sont là : après plus de dix ans de hausse, ce qui reste à la charge des Français en matière de santé diminue régulièrement depuis 2012.

Ces inégalités, je les combats aussi dans les territoires. Tel est le sens du pacte territoire-santé, lancé dès 2012, qui vise à inciter les jeunes professionnels – les moins jeunes aussi, mais surtout les jeunes – à s’installer dans les territoires qui manquent de médecins. Ces mesures seront amplifiées et prolongées en partant du terrain, ce qui est bien dans l’esprit du texte que je vous propose. J’avais prévu d’annoncer cette deuxième version du pacte le lundi 16 novembre, mais les événements m’ont amenée à en reporter la présentation.

Une dynamique est lancée. Sur le terrain, la donne est en train de changer, et cela nous oblige à accélérer la modernisation de notre système de santé. Avec ce texte, nous innovons, pour mieux prévenir, pour mieux soigner en proximité et pour renforcer les droits des patients.

Je ne reviendrai pas en détail sur les mesures qu’il contient : vous les connaissez, car vous les avez déjà toutes examinées en première lecture. Je n’introduirai aucune mesure nouvelle à la faveur de la présente discussion. Mais je tiens à rappeler le sens, la ligne directrice de ce texte.

D’abord, ce projet de loi fait de la prévention le socle de notre système de santé. Nous proposons des mesures concrètes pour la prévention dès le plus jeune âge : parcours éducatif de santé de la maternelle au lycée, interdiction de fumer en voiture en présence d’un mineur, généralisation du paquet de cigarettes neutre, création d’un délit d’incitation à la consommation excessive d’alcool, meilleur dépistage des infections sexuellement transmissibles, mise en place d’un étiquetage nutritionnel clair et lisible des aliments… Autant de mesures concrètes, et aussi attendues, pour permettre à notre jeunesse de protéger sa santé.

Cette politique de prévention est innovante et cohérente, et concerne tous les publics. Je pense à l’ouverture des salles de consommation à moindre risque, de façon expérimentale, pour accompagner les toxicomanes les plus marginalisés vers le sevrage et protéger les riverains, ou encore à l’amélioration des dépistages et au renforcement de la prévention des risques, y compris en prison.

Le deuxième volet du projet de loi s’attache au développement d’une médecine de proximité autour du médecin traitant. Nous nous attaquons ici à toutes les barrières, qu’elles soient financières ou géographiques, qui freinent ou empêchent l’accès aux soins. Nous facilitons concrètement l’accès aux soins avec la généralisation du tiers payant, soutenue massivement par nos concitoyens, comme l’a montré un récent sondage. C’est aussi le sens de la lettre de liaison qui sera désormais transmise par l’hôpital au médecin traitant, ou encore du numéro d’appel national unique pour joindre un médecin de garde en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux.

Avec ces mesures, nous passons d’une organisation hospitalo-centrée à un système qui fait du médecin généraliste le centre de gravité de la prise en charge du patient. Nous engageons concrètement le virage ambulatoire, conforté financièrement depuis trois ans dans les lois de financement de la sécurité sociale.

Enfin, le troisième volet de ce projet de loi renforce les droits des patients et assigne un objectif clé à notre système de santé : l’innovation, avec le renforcement du rôle des associations d’usagers grâce à leur présence dans toutes les agences sanitaires nationales, la création de l’action de groupe en santé, et le droit à l’oubli pour les anciens malades du cancer.

Le droit à l’oubli sera une avancée majeure : c’est une perspective d’espoir pour les anciens malades. C’est pour cela que j’ai décidé de donner un avis favorable à l’amendement de la rapporteure qui conforte la rédaction issue du Sénat, en ouvrant le droit à l’oubli au bout de cinq ans à ceux qui ont été malades avant 18 ans et au bout de dix ans pour les autres.

Nous innovons également avec la mise à disposition des données anonymisées de l’assurance maladie aux chercheurs, aux start-up et aux lanceurs d’alerte. Enfin, nous renforçons la transparence entre les professionnels de santé et les acteurs industriels en rendant publics l’ensemble des conventions d’expertise, les avantages en nature et leurs montants.

Depuis près d’un an maintenant, le texte a évolué pour investir des champs nouveaux et pour répondre à de légitimes inquiétudes. Le travail parlementaire a été déterminant : je vous en remercie tous, et au premier chef les différents rapporteurs.

La première lecture par votre assemblée a permis d’avancer dans deux directions. D’abord, votre travail a permis de répondre aux inquiétudes exprimées par des médecins libéraux en rendant le texte plus précis au sujet, entre autres, de la place des agences régionales de santé et des modalités d’organisation par les médecins eux-mêmes des soins de premier recours. Le projet de loi reconnaît en outre les équipes de soins de proximité pour faire face aux défis du vieillissement et de l’augmentation des maladies chroniques. Concernant le tiers payant, la discussion a permis d’inscrire dans la loi la garantie d’une mise en oeuvre progressive et simple, et a introduit des garanties de paiement. Je ne doute pas que nous reviendrons sur ces éléments à l’occasion de l’examen de l’article 18.

Votre travail a également permis d’ouvrir des champs nouveaux : je pense à la santé environnementale, avec une meilleure information donnée au public en matière de pollution de l’air, ou aux droits des femmes, avec le renforcement de l’accès à l’interruption volontaire de grossesse – IVG. Ces mesures pour renforcer l’accès à l’IVG ont d’ailleurs été votées conformes par le Sénat, qui a également approuvé le principe des salles de consommation à moindre risque. Mais l’examen du texte par le Sénat a aussi profondément affaibli sa cohérence globale, car des dispositions centrales ont été supprimées. Votre commission des affaires sociales a rétabli ces mesures, au premier rang desquelles le tiers payant et le paquet de cigarettes neutre, et je tiens à l’en remercier.

Vos débats ont par ailleurs été l’occasion de revenir sur les inquiétudes des médecins libéraux. Je tiens à le dire ici, à cette tribune : je suis sensible à ce que disent ces professionnels de leurs conditions de travail et des évolutions en cours, dues aux nouvelles technologies, à la pression des patients ou au sentiment de manque de reconnaissance sociale. Les inquiétudes qui s’expriment parmi les professionnels libéraux et que certains, ici ou ailleurs, veulent interpréter comme une opposition aux professionnels publics ; ces inquiétudes expriment une transformation profonde de l’exercice médical, dans un environnement en plein bouleversement, en raison, notamment mais pas exclusivement, des évolutions démographiques, de l’urbanisation de notre territoire et du rôle croissant d’internet, qui conduit certains patients à exiger un certain nombre de choses de leur professionnel de santé.

Contrairement à ce que j’ai entendu dire, ce projet de loi ne comporte aucune mesure d’étatisation : il fait au contraire confiance aux médecins de terrain. Il ne remet nullement en cause l’indépendance des professionnels. Je veux au contraire dire à quel point je suis personnellement attachée à ce principe d’indépendance, qui doit être réel, reconnu et pleinement affirmé. Depuis que je suis ministre des affaires sociales et de la santé, d’ailleurs, la part des complémentaires santé a diminué par rapport à celle de l’assurance maladie obligatoire.

Certains s’inquiètent du rôle qui pourrait, à l’avenir, être dévolu aux assurances complémentaires. Mais ce n’est pas le sens de ce projet de loi ; ce n’est pas le sens des actions que nous menons depuis trois ans ; ce n’est pas ce que montrent les résultats enregistrés depuis trois ans. J’y insiste : non seulement la part des dépenses de santé laissée à la charge des patients eux-mêmes a diminué, mais dans la part prise en charge, ce qui relève de l’assurance maladie a augmenté par rapport à ce qui relève des assurances complémentaires.

Le débat sur la place et le rôle des assurances complémentaires est pour moi essentiel, parce que je crois de toutes mes forces au caractère irremplaçable de l’assurance maladie obligatoire, qui est la seule à être solidaire. Je comprends bien les craintes de déclassement, de dévalorisation de la médecine libérale. C’est de cela que nous devons parler, sereinement, avec les professionnels de santé. Mais imaginer que ces inquiétudes pourraient disparaître simplement parce que l’on supprimerait une mesure emblématique de ce texte, en l’espèce le tiers payant, c’est se tromper sur l’évolution attendue de notre système de santé, et c’est aussi se tromper dans le « diagnostic », si je puis dire, du malaise actuel.

Je fixerai prochainement les grandes orientations de la négociation de la nouvelle convention médicale. Avant de rédiger ces orientations et de les adresser à l’assurance maladie obligatoire, je rencontrerai les organisations syndicales pour faire le point avec elles. Cette convention abordera de nombreux sujets, mais il est bien clair, dans mon esprit, que le statu quo tarifaire n’est pas envisageable.

Mesdames et messieurs les députés, le travail parlementaire a permis d’avancer et de lever des malentendus. Il a aussi montré combien il y a urgence à agir pour moderniser notre système de santé, pour répondre aux attentes des Français.

Un récent rapport de l’OCDE a montré que la France est le pays où les performances du système de santé français sont les meilleures : nos concitoyens vivent longtemps, en bonne santé, et se soignent avec un reste à charge deux fois moins important que la moyenne des pays de l’OCDE. C’est cette excellence, cette spécificité, qu’il nous appartient de garantir durablement.

Mais ce rapport montre aussi que la France est confrontée, plus que d’autres pays, à des inégalités de santé, dues à la faiblesse historique de la prévention, à la consommation excessive de tabac et d’alcool, et à une organisation trop centrée sur l’hôpital et insuffisamment tournée vers la ville. Répondre à ces enjeux, protéger notre modèle social en l’adaptant aux défis de ce siècle, garantir à nos concitoyens une protection et un accès à des soins de qualité, c’est toute l’ambition de ce texte.

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