Intervention de Bernard Accoyer

Séance en hémicycle du 24 novembre 2015 à 15h00
Modernisation du système de santé — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

Madame la ministre, mes chers collègues, le 13 novembre, une série d’attentats coordonnés a semé l’horreur absolue, faisant 130 morts et 300 blessés, dont trois sont décédés depuis. L’émotion et l’effroi ont submergé les Français.

Un hommage leur sera rendu, dans quatre jours, aux Invalides, auquel la nation tout entière s’associera. C’est dans ce contexte tragique que le Gouvernement a voulu maintenir à l’ordre du jour la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la santé. Pourtant, ce projet suscite l’opposition quasi-unanime des professionnels, en particulier des professionnels de santé libéraux.

Cet entêtement est d’autant plus incompréhensible que le 13 novembre, les professionnels de santé étaient en grève pour protester contre la mesure la plus emblématique du projet de loi : le tiers payant généralisé. Mais à l’instant même où ils ont appris, avec tous les Français, l’horreur de ces attentats, ils se sont naturellement mobilisés pour apporter leur secours et leurs compétences aux si nombreuses victimes.

L’examen du texte a d’abord été remis du 16 au 17 novembre, en raison du Congrès du Parlement, puis au 19, et enfin à ce mardi 24 novembre, son examen devant être extrêmement décousu puisqu’il se poursuivra aujourd’hui, demain soir et vendredi. Madame la ministre, votre intransigeance a eu raison des hésitations du Gouvernement. Les justifications que vous avez tout à l’heure avancées ici, dans l’hémicycle, ne nous ont pas convaincus. Et cette intransigeance, ce refus du dialogue vise des professionnels qui vous ont tendu la main en acceptant de venir à la conférence de santé en février si vous acceptiez de remettre cette lecture à 2016.

Les circonstances nationales comme le calendrier dans lequel va se tenir cette discussion ne peuvent permettre un travail législatif normal, ni sur le fond, ni sur la forme.

Madame la ministre, une telle situation ne s’est jamais produite. Alors comment espérer que ce projet de loi puisse servir utilement tout ce qui concerne la santé des Français et notre système de soins ? Le temps indispensable à un dialogue retrouvé avec les professionnels aurait pu tout changer. Vous l’avez refusé, et cette attitude aura, nul ne peut en douter, de lourdes conséquences.

Dans ces conditions, la motion de rejet préalable que j’ai l’honneur de soutenir se limitera à dénoncer les graves erreurs que contient ce texte et à regretter que, paradoxalement, il méconnaisse les grands défis sanitaires auxquels nos compatriotes et notre pays sont confrontés.

Le projet de loi, que le Sénat avait modifié profondément, en l’améliorant autant que faire se peut, est revenu à la version gouvernementale initiale, avec les amendements des rapporteurs que la majorité a acceptés sans broncher en commission.

Le texte peut être résumé à un saut vers l’étatisation pour notre système de santé et à des surtranspositions de directives européennes. Il comporte aussi d’autres mesures erratiques mais, surtout, il passe à côté de tout objectif sanitaire, tranchant ainsi avec une loi de santé digne de ce nom.

Le saut vers l’étatisation, qui changera profondément le système de soins auquel les Français sont attachés, s’opère d’abord avec la création à l’article 12 bis des communautés professionnelles territoriales de santé. Avec ce dispositif, les agences régionales de santé et la coercition remettent en cause les fondements de ce qui représente l’avenir, c’est-à-dire la liberté d’installation et la liberté de choix.

La transposition aux centres de santé, établissements dans lesquels les professionnels sont salariés, des dispositions applicables aux conventions négociées avec les professionnels de santé libéraux, à l’article 17, transgresse les bases du système de soins ambulatoires.

Mais c’est sur l’article 18 que la contestation est la plus forte car la généralisation du tiers payant pour les consultations de ville, mesure emblématique et de parti pris, est injustifiée, la dispense de toute avance de frais existant déjà pour les populations démunies.

Ce tiers payant généralisé est refusé catégoriquement par les médecins, toutes sensibilités confondues. Ce refus est un véritable signal de détresse, appelant à mesurer ce que sont devenues les conditions d’exercice, humainement, physiquement, psychologiquement, financièrement, alors que le nombre de médecins victimes d’épuisement et même de suicide atteint un niveau jusqu’à présent inconnu.

Madame la ministre, vous devez prendre en compte les raisons de ce refus et repousser à plus tard, après la négociation, la mise en oeuvre du tiers payant généralisé, d’autant que, ajoutant encore à la déresponsabilisation, elle contribuera au dérapage des dépenses.

À l’article 26, le service public hospitalier s’en prend à l’hospitalisation privée qui, pourtant, assure la liberté de choix, mais assure aussi, à moindre coût, 54 % des interventions chirurgicales, dont près de 66 % de la chirurgie ambulatoire.

En excluant de ce service les établissements dans lesquels s’appliquent les dispositions de la convention concernant le secteur 2, vous condamnez à terme nombre d’établissements privés qui ne peuvent fonctionner sans l’activité chirurgicale, qui, elle-même, ne peut fonctionner qu’avec la soupape que représente, avec tact et mesure, l’existence du secteur 2, qui compense partiellement l’absence quasi totale d’actualisation tarifaire depuis des décennies.

Quand l’hospitalisation publique sera devenue monopolistique, c’en sera fini de la liberté de choix pour les malades, tandis que la qualité des soins et le coût, affranchis de la concurrence, deviendront des problèmes en même temps que s’installeront les files d’attente.

À l’article 27, les groupements hospitaliers de territoire n’affirment pas suffisamment clairement la place des établissements privés. À l’article 27 ter, la Cour des comptes n’a rien à faire dans le contrôle d’entreprises privées déjà soumises à la certification de leurs comptes, ce dont sont exonérés d’ailleurs les hôpitaux publics. Enfin, au chapitre de l’étatisation, l’habilitation donnée au Gouvernement, à l’article 42, pour réformer les agences sanitaires par ordonnance, interdira au Parlement tout regard sur ce pan devenu essentiel du système de soins.

Ce projet de loi non seulement étatise le système de soins, mais surtranspose dans notre droit plusieurs directives européennes, contrairement aux engagements du Premier ministre. Ainsi en est-il du paquet de cigarette neutre, qui va bien au-delà de la directive européenne, ouvrant grande la porte aux contrefaçons et à la contrebande.

Il en est de même pour l’information nutritionnelle, pour laquelle le texte va dépasser de loin les dispositions européennes, ce qui ne manquera pas de mettre en difficulté les entreprises françaises d’agroalimentaire alors même que le Gouvernement a affirmé qu’il ne modifierait plus sans cesse les règles et les prélèvements pesant sur la compétitivité des entreprises. Quant à la surtransposition jusqu’à l’absurde, votée à l’Assemblée nationale, de la directive sur l’interdiction du bisphénol A dans les jouets et amusettes, elle n’a été supprimée que grâce à la sagesse et au réalisme du Sénat.

Enfin, une série de mesures hétéroclites s’ajoutent à l’étatisation et à la surtransposition. Elles vont de l’ouverture incertaine des données de l’assurance maladie obligatoire à l’ouverture des salles de shoot. Ces salles de shoot, qui vont à l’encontre de la politique de lutte contre les drogues conduite avec succès jusqu’à présent, viennent compléter un texte qui s’apparente plus à un mauvais et dangereux projet de loi portant diverses mesures d’ordre sanitaire et social qu’à une loi de santé.

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