Néanmoins, en matière de prévention, ce texte est parcellaire et aurait dû être renforcé. Depuis le début de ce quinquennat, chaque fois que nous avons proposé d’infléchir notre politique de santé vers une logique de prévention, le Gouvernement a brandi la future loi de santé. Nous y sommes, et force est de constater que ce projet de loi n’a pas mis en lumière les causes fondamentales de notre crise sanitaire et budgétaire : les causes environnementales, au sens large.
Oui, madame la ministre, l’incidence de certaines maladies chroniques est due au vieillissement de la population, aux progrès du dépistage ou aux méfaits des addictions, mais ces causes ne peuvent expliquer à elles seules le boom des maladies chroniques auquel nous sommes confrontés. Ainsi, tandis que le nombre de personnes de plus de 60 ans est passé de 21 % en 2003 à 23 % en 2011, le nombre d’affections de longue durée a progressé quatre fois plus vite au cours de la même période : si l’espérance de vie augmente, l’espérance de vie en bonne santé stagne ou diminue.
On ne peut donc réduire la politique de prévention à la lutte, pourtant nécessaire, contre l’alcoolisme, le tabagisme ou la mauvaise alimentation. Dans plusieurs pays au développement comparable à celui de la France, le taux de maladies chroniques est inférieur de 25 %. Cela montre que la question de l’environnement est essentielle et que nombre de réponses à la crise sanitaire et budgétaire se trouvent dans la santé environnementale.
En outre, en matière de santé, les inégalités environnementales s’ajoutent aux inégalités sociales. Ce sont souvent les mêmes qui ont les métiers les plus pénibles, qui habitent les logements insalubres dans les quartiers les plus pollués et qui sont prisonniers d’une consommation « low cost ». Un chiffre illustre bien l’enjeu : une étude vient de montrer que les perturbateurs endocriniens coûteraient, à eux seuls, 157 milliards d’euros par an au niveau européen – et il ne s’agit là que d’un élément dans l’ensemble des pollutions auxquelles les populations et les générations futures sont et seront exposées.
Forts de ce diagnostic, nous avions déposé une série d’amendements visant à prendre en compte les liens entre santé et environnement, radicalement absents de ce texte. Nous avons ainsi proposé d’introduire le concept d’exposome, désignant l’ensemble des expositions à des facteurs non génétiques qui, tout au long de la vie, déterminent la santé, et vous avez donné un avis favorable à cette mesure.
Vous aviez également approuvé l’interdiction du bisphénol A dans les jouets, mesure de bon sens qui s’inscrivait dans la continuité de la loi qui l’interdisait dans les contenants alimentaires. Il s’agissait malheureusement d’un leurre car, contre la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, contre le vote en commission des affaires européennes d’un rapport sur cette question, dont je suis l’auteur, et contre le consensus scientifique qui reconnaît l’extrême vulnérabilité des jeunes enfants aux perturbateurs endocriniens, même à très faible dose, vous avez cédé aux lobbies de l’industrie du jouet et introduit une notion de seuil de dangerosité qui n’a aucun sens sur le plan scientifique.
Nous constatons avec sidération que, sur ce point, le Gouvernement agit sans tenir compte des recommandations de notre agence d’évaluation du risque sanitaire, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail – ANSES –, qui recommande de « revoir la pertinence de l’utilisation […] de dose journalière tolérable pour des substances pour lesquelles les périodes de vulnérabilité ne sont pas toujours connues ». Nous ne comprenons pas non plus votre mesure visant à assouplir l’interdiction des phtalates dans les dispositifs médicaux par l’introduction de ce même seuil de dangerosité, alors que des substituts existent pour ces produits.
C’est donc en espérant que le Gouvernement prendra enfin la mesure de l’urgence sanitaire causée par les impacts de l’environnement que nous proposons des mesures de gouvernance pour garantir la place de la santé environnementale au coeur de la stratégie nationale de santé, de la stratégie nationale de recherche, et du nouvel institut de veille et de prévention. D’autres amendements porteront sur la formation des professionnels de santé à ces enjeux et aux nouvelles pathologies liées notamment aux sensibilités chimiques et électromagnétiques. Nous souhaitons aussi voir imposer un nouvel étiquetage, qui informe mieux les consommateurs sur les produits toxiques tels que les perturbateurs endocriniens, les polluants volatils, les nanomatériaux ou les additifs alimentaires.
Par ailleurs, nous évoquerons l’accès aux soins des plus démunis. Un rapport de la sénatrice écologiste Aline Archimbaud a montré les inégalités profondes dans l’accès aux soins, qui se sont aggravées ces dernières années. Nous reprendrons plusieurs recommandations de ce rapport salutaire, car l’urgence est certes sanitaire, mais aussi budgétaire. N’oublions pas, madame la ministre, qu’un euro investi dans la lutte contre les inégalités sociales est plus rentable qu’un euro investi dans le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi pour l’industrie pharmaceutique.
Enfin, nos amendements répondront à une troisième préoccupation : désintoxiquer la politique de santé des lobbies industriels. La santé publique, fruit d’une collaboration entre de nombreux acteurs, représente un secteur économique qui doit gagner en transparence et en respect des principes démocratiques. Nous proposerons donc l’extension de l’action de groupe à la santé-environnement, une meilleure représentation des usagers dans les organismes qui fixent le prix du médicament et une gestion du risque environnemental des médicaments.
Nous relaierons les recommandations du groupe de travail parlementaire sur l’ingérence de l’industrie du tabac – vous en avez repris certaines –, qui pourraient compléter vos propositions.
Ce projet de loi, que nous avons voté en première lecture, doit marcher sur deux jambes : l’une curative, l’autre préventive. Mais, au-delà des mots, une véritable prévention ne peut ignorer la santé environnementale. C’est à un changement de paradigme qu’appellent les écologistes. N’oublions pas que la santé des populations est l’indicateur de qualité de notre environnement et que toute dégradation de celui-ci a un impact sur notre santé.
C’est à cette condition que nous retrouverons les marges économiques qui assureront la pérennité de notre système de santé et une société du bien-être. Nous nous tiendrons prêts, tout au long de ces débats, à enrichir le texte de façon constructive et pragmatique.