J'ai bien entendu que vous n'étiez pas au courant de ce que votre chef avait pu dire au conseil d'administration de Renault. Mais s'il avait prévu d'en faire un sujet majeur, on peut supposer qu'il vous aurait demandé votre avis et de lui faire des propositions. On peut donc émettre l'hypothèse que pour l'instant, la possibilité pour l'État de se servir de son statut d'actionnaire dans les entreprises publiques comme levier pour promouvoir la transition énergétique n'est pas prioritaire. Je m'exprime de façon provocatrice mais cela me préoccupe. Car vous nous dites que si l'on se fixe des objectifs concernant le véhicule consommant « deux litres aux cent kilomètres », vous savez qu'ils ne seront pas tenus. Mais ce n'est pas pour se faire plaisir que l'on s'est fixé cet objectif : c'est parce que le dérèglement climatique n'attendra pas que l'on sache si les constructeurs automobiles, sans jamais rien changer à leur modèle puisqu'ils ne le veulent pas, vont réussir malgré tout à tenir cet objectif. Lorsque nous avons auditionné le professeur Élie Cohen la semaine dernière, il nous a indiqué que nous ne parviendrions pas à respecter à la fois les normes d'émissions de CO2 et de polluants atmosphériques sans rien changer à l'automobile car nous aboutissons aux limites de l'exercice. Cela est particulièrement vrai pour le diesel. L'État étant actionnaire des deux groupes constructeurs, il engage sa responsabilité vis-à-vis des consommateurs dès lors que les ambitions en matière de dérèglement climatique ne sont pas respectées. Il y a une dizaine de jours, Auto Plus a publié une enquête portant sur mille véhicules, démontrant que la consommation réelle des véhicules est 40 % plus élevée que celle annoncée au moment de leur vente, et 60 % plus élevée pour les véhicules Euro 6 de PSA et de Renault. Par conséquent, quand le consommateur achète français parce qu'on lui a dit qu'il est bénéfique d'acheter du made in France qui représente de l'emploi local – et je n'ai évidemment rien contre –, il se trouve client de constructeurs français, dont l'État est actionnaire et qui mentent en vendant leurs véhicules. À la fin de l'année, le consommateur aura dépensé des centaines d'euros de plus que ce qu'il imaginait pour faire les déplacements qu'il avait prévu de faire : telle est la réalité de ce mensonge.
En outre, vous nous avez confirmé lors de la table ronde que nous avons organisée à l'OPECST que la France avait bien soutenu la position issue du comité de fixation des normes d'homologation à l'échelon européen qui autorise l'application d'un facteur de dérogation de 2,1 aux nouvelles normes de pollution, notamment en matière d'oxyde d'azote. Cette fois, il ne s'agit pas de l'État en tant qu'actionnaire mais en tant que régulateur. On peut entendre que les constructeurs automobiles ne souhaitent pas que l'on impose de normes trop rapidement car il faut leur laisser le temps de s'adapter. Mais alors que la Commission européenne avait formulé des propositions plus ambitieuses – et l'on ne peut pas considérer qu'elle soit un organisme anti-automobiles –, les États ont finalement proposé un report dans le temps du niveau d'ambition face à des enjeux de santé publique actuels. Il est vrai que cela relève davantage de la responsabilité du politique mais nous vous interrogeons afin que vous puissiez nous expliquer pourquoi les choses fonctionnent ainsi. Dans quelle mesure les ambitions en matière de dérèglement climatique, de consommation d'énergie, de qualité de l'air et de pouvoir d'achat des Français sont-elles prises en compte dans les lignes politiques de votre direction ?