Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, permettez-moi de faire quelques observations d’ordre militaire avant que le Premier ministre ne réponde plus globalement aux orateurs.
Je remercie les intervenants de leurs déclarations de soutien à la prolongation de l’opération Chammal et aux forces qui y sont engagées. Elles y seront très sensibles. Participent actuellement à cette opération 4 000 militaires, en incluant les effectifs du porte-avions et des bateaux qui l’accompagnent, les forces aériennes et les éléments de formation basés en Irak.
S’agissant des opérations internationales liées à Daech, on distinguera quatre éléments de stratégie.
Premièrement, il faut frapper Daech au coeur pour permettre la reconquête des territoires et pour éviter que l’organisation ne développe son attractivité. C’est ce que nous faisons depuis plus d’un an en Irak, où cette stratégie commence à produire des résultats significatifs, empêchant la progression de Daech vers Bagdad et vers Erbil et permettant aujourd’hui le début de la reconquête de territoires.
Deuxièmement, il faut priver Daech de ses ressources et de ses bases, y compris économiques et logistiques. Cela implique des frappes systémiques. Notre action en Irak va en ce sens. J’observe également que les États-Unis ont modifié leurs règles d’engagement et que les actions sont beaucoup plus organisées et efficaces désormais, singulièrement depuis le mois dernier.
Troisièmement, nous devons empêcher Daech de gagner du terrain autour des régions qu’il contrôle déjà au Proche-Orient. Plus précisément, il faut l’empêcher de pénétrer et de prendre des positions en Jordanie, au Liban et en Turquie. Je partage l’idée qu’il faut avoir avec la Turquie un dialogue très clair sur sa position à cet égard.
Enfin, nous devons contenir la dispersion de la menace et cloisonner davantage les théâtres, en empêchant l’extension du groupe qui se profile déjà au Maghreb – en Libye et en Tunisie – et en Afrique subsaharienne – tout à l’heure, le Nigeria et Boko Haram ont été cités.
Ces quatre axes forment une seule stratégie, la stratégie de la France. Aucun d’entre eux ne doit être sous-estimé. S’il existe, au centre, une action militaire, il faut que l’action préventive et l’action diplomatique permettent de réaliser un ensemble cohérent. C’est ce que fait le Gouvernement, conformément aux orientations exposées par le Président de la République devant le Congrès.
En deuxième lieu, je voudrais évoquer l’état de légitime défense, en particulier pour répondre à M. Candelier.
Jusqu’au 13 novembre, la légitime défense invoquée par la France était à titre principal la légitime défense collective. Elle reposait en effet sur la demande d’assistance formulée par les autorités irakiennes auprès de la communauté internationale pour que celle-ci aide l’Irak à se défendre contre l’agression armée de Daech agissant sur le territoire syrien.
Des considérations de sécurité nationale et la menace exceptionnelle que faisait peser Daech sur notre propre pays avaient fortement influé sur la décision de répondre positivement à la demande d’assistance irakienne. Mais, le 13 novembre, cette menace s’est malheureusement concrétisée. La France a subi une agression armée fomentée et organisée par Daech. La légitime défense individuelle est donc venue compléter la légitime défense collective sur laquelle nous nous fondions. La légitimité de l’intervention militaire en Syrie et en Irak vient par ailleurs d’être confortée par la résolution 2249 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l’unanimité.
J’en viens à mon troisième point concernant les opérations militaires. Nous avons en ce moment trente-huit chasseurs dans la zone. Nous poursuivrons, dans la période qui va venir, les bombardements et les frappes à partir de la Méditerranée orientale. Puis le porte-avions rejoindra le golfe Persique afin d’y poursuivre les frappes. Simultanément, les forces aériennes stationnées dans les bases terrestres d’al-Dhafra et d’al-Safawi continueront leurs opérations.
L’action collective que nous voulons engager, renforcée hier à Washington par l’ouverture dont les États-Unis ont fait preuve en faveur d’une coopération beaucoup plus significative en termes de renseignement militaire, recueille au niveau européen un assentiment exceptionnel. Chacun de nos vingt-sept partenaires a décidé d’apporter un soutien à la France, soit de façon directe sur le théâtre syrien, soit de façon indirecte mais en lien avec nos opérations au Levant ou sur d’autres théâtres où les forces françaises sont engagées. Nous pourrons ainsi à terme alléger cet engagement et réorienter nos forces au mieux de nos possibilités.
Cette action collective de l’Europe, que la France a enclenchée en se fondant sur l’article 42, alinéa 7, du traité de Lisbonne, constitue une nouvelle marquante, puisque l’Europe se sent totalement concernée par l’action militaire que nous devons engager.
Pour conclure, je rappellerai deux impératifs.
Premièrement, pour constituer la grande coalition, nous devons nous assurer que tous nos partenaires partagent les mêmes objectifs politiques. Les références à la Russie sont intéressantes mais, si nous sommes intervenus en Syrie, c’est d’abord parce que Daech, bloqué contre Bagdad et contre Erbil a tourné son offensive vers la Syrie. Nous avons pris la décision de frapper parce que c’est aussi à partir de la Syrie que s’organisaient les attentats contre la France. La Russie n’était alors pas présente. Aujourd’hui, sa déclaration sur la nécessité impérieuse de frapper Daech constitue un narratif intéressant qui nous permettra sans doute d’avoir demain un objectif commun. Mais cet objectif n’a pas encore de traduction concrète. Convenez qu’il est difficile de passer un accord d’objectif commun avec un pays qui déclare attaquer Daech mais dont 10 % seulement des frappes visent cette organisation, le reste étant uniquement dirigé contre les insurgés qui protestent contre la dictature de Bachar al-Assad. On ne peut pas tenir plusieurs discours en même temps