Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 25 novembre 2015 à 15h00
Société a bas carbone prise en compte de l'outre-mer dans les négociations de la cop 21 — Présentation commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Madame la présidente, madame la ministre de l’écologie, monsieur le président de la commission du développement durable, mes chers collègues, en premier lieu, je tiens à saluer le Gouvernement pour avoir maintenu la COP 21 malgré les drames que nous venons de vivre. Ce n’était pas évident, mais ce choix me semble une réponse au terrorisme, une de nos ripostes supplémentaires au-delà des enjeux climatiques. Dans un tel contexte, nous ne devons ni faillir, ni faiblir.

Notre débat témoigne de l’implication des parlementaires sur les questions relatives à la lutte contre les dérèglements climatiques et à la décarbonisation de notre économie. Et il témoigne surtout de l’implication du président Jean-Paul Chanteguet, que je remercie encore une fois car le groupe RRDP salue son initiative. Il salue aussi celle du Président de la République et du Gouvernement, s’inscrivant dans une volonté de réussite de la COP 21 pour qu’elle aboutisse, madame la ministre, à un accord efficace et contraignant afin de limiter la hausse des températures à deux degrés et que celle-ci n’atteigne pas un seuil irréversible.

Les six premières pages de la proposition de résolution pour « accéder, au-delà de la COP 21, à une société bas carbone » sont un inventaire des conventions, accords et travaux majeurs effectués sur ces questions à tous les échelons par les meilleurs experts. Ensuite, la proposition expose de multiples considérants sur les menaces provoquées par le réchauffement et sur les méthodes pour les prévenir ou les limiter. Enfin, la troisième partie précise les actions pratiques souhaitables et le cap à suivre à chaque niveau d’action pour la décarbonisation de notre modèle économique et énergétique.

Cette proposition est un bon exemple des possibilités données aux parlementaires pour lancer des idées. Sans cette initiative, sans cette réflexion complémentaire à la politique du Gouvernement, notre Assemblée aurait accompagné la COP 21 avec un rôle minoré.

Dans cette perspective, je propose, monsieur le président Chanteguet, que la commission du développement durable s’inscrive sur le long terme, dans une démarche de suivi des décisions de la COP 21, et rapidement dans la préparation de la COP 22. En effet, les COP se suivent mais manquent de continuité politique, et notre Assemblée peut contribuer à combler ce manque. Nous sommes appelés aujourd’hui à fixer un cadre des orientations et des priorités à suivre pour la COP 21 et au-delà, avec des objectifs, des calendriers et des moyens.

Les mutations en cours sont sans précédent pour l’humanité par leur ampleur et par leur vitesse, par la nécessité de conduire le changement notre modèle économique et énergétique, de nos modes de consommation et de production. Notre mix énergétique va devoir évoluer avec le remplacement progressif des combustibles fossiles comme le pétrole, le charbon ou le gaz, par les énergies renouvelables, ainsi que l’a dit mon collègue Denis Baupin. Nous quittons un monde bercé par l’illusion de la profusion des ressources naturelles et des matières premières comme l’eau et les forêts, bercé par l’illusion d’un air sans CO2, celle d’un climat stable, d’une biodiversité en permanence renouvelable, bercé par l’illusion de terres agricoles fertiles en abondance, laissant croire à une production et une urbanisation illimitée. Pendant un siècle et demi, nous avons constaté un progrès considérable dans notre qualité de vie en termes de science, de médecine, de technologie et d’industrie, et, en dépit des lanceurs d’alertes, nous avons été aveugles devant l’amenuisement irrémédiable des ressources naturelles. Il aura fallu attendre les alertes répétées du GIEC, émanation de l’ONU, pour se rendre compte de l’état de la situation et, plus grave encore, que le scénario pour l’avenir est des plus pessimistes.

Cette proposition de résolution a toute sa part dans cet ensemble de documents demandant la refondation du modèle de croissance. Sinon, les conséquences seront plus dures que le changement exigé, qu’il s’agisse de la crise alimentaire, de l’étalement urbain, des nouvelles migrations climatiques avec des millions d’hommes et de femmes que nous ne pourrons plus renvoyer chez eux car ils n’auront plus de chez eux, désormais sous les eaux ou transformé en désert, ou encore qu’il s’agisse du problème des ressources en eau, des émeutes de la faim, de l’état des mers, des océans, des fleuves et des rivières partout dans le monde, y compris en France.

On a tendance à minorer les conséquences du réchauffement climatique sur l’eau. Je tiens à saluer la force de l’intervention de Maina Sage sur les problématiques des littoraux et plus largement des îles. Inondations, sécheresses, tempêtes : les dérèglements du cycle de l’eau menacent notre capacité à assurer les besoins fondamentaux que sont boire, se nourrir, se loger, se soigner. Ces dérèglements menacent aussi la biodiversité, les récifs, les écosystèmes aquatiques, et la stabilité des pays en causant des conflits, des guerres, des phénomènes migratoires, des épidémies.

Le changement climatique, c’est le changement aquatique : 90 % des catastrophes naturelles sont liées à l’eau. Tout se tient. Le paramètre de l’eau doit avoir plus de place dans la COP 21, dans la prochaine COP 22 au Maroc et dans les suivantes, au même titre que l’énergie. Nos collègues élus dans des territoires littoraux ou ultramarins ne peuvent qu’en témoigner.

Les négationnistes ont longtemps voulu opposer l’écologie à l’économie, le progrès social ou la puissance industrielle à une indispensable évolution environnementale. Mais la mutation est si vaste et touche simultanément un si grand nombre de sujets qu’elle ne peut s’opérer que par la mise en mouvement de tous les acteurs, y compris et d’abord localement dans nos territoires. Pour ne donner qu’un seul exemple, madame la ministre, je salue les actions menées au sein des territoires à énergie positive grâce au Gouvernement, et nous en voyons les premiers effets. Ainsi, un calendrier d’actions a été établi dans mon territoire comme dans de nombreux autres, en parallèle à la COP21.

Bien sûr, il y a le niveau local, mais aussi le niveau international. Ces conférences montrent une ligne de partage avec une vision binaire du monde entre les pays industrialisés d’une part, et les pays en développement – parmi lesquels on trouve aussi des pays émergents – et les pays les moins avancés d’autre part. Le grand enjeu, c’est de faire bouger cette ligne de partage héritée du protocole de Kyoto et de la convention-cadre de l’ONU de 1992. On parle de climat depuis longtemps, mais en attendant un accord efficace, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère.

Le GIEC a montré dans son cinquième rapport que la cause majeure du réchauffement est liée, personne ne peut plus en douter, aux activités humaines. Il a aussi montré que limiter le réchauffement à deux degrés signifie émettre en dessous du seuil de 400 gigatonnes de CO2 dans les prochaines années.

Or nous émettons 50 gigatonnes par an. Au rythme actuel, pour limiter le réchauffement à 2 degrés, il nous reste moins de dix ans pour devenir globalement neutre en carbone.

Le monde a changé : le premier émetteur au monde, ce ne sont plus les États-Unis, qui totalisent 17 % du total des émissions, mais la Chine, avec 25 % des émissions.

Pendant la COP 21, il faudra sortir de ce cadre bipolaire qui n’a plus sa pertinence pour les questions climatiques et énergétiques. Le principe d’une responsabilité commune mais différenciée est acté mais il reste à savoir comment opérer cette différenciation. Les pays émergents émettent aujourd’hui beaucoup, mais nous disent qu’ils sont arrivés très tard, et qu’en termes de stock d’émissions, ils sont très loin derrière les pays dits industrialisés. Ces pays vivent les contraintes comme une sorte d’interdit à se développer.

Quant aux économistes, ils évoquent ce sujet sous l’angle des externalités : chacun a intérêt à ce que les autres pays fassent l’effort puisque tous en bénéficieront. Le coût de l’effort est privé ; le bénéfice, commun. C’est la position optimale du passager clandestin, où aucun État n’a intérêt à faire l’effort en premier.

La France et l’Europe ne peuvent plus sacrifier leur compétitivité et voir leurs industries se délocaliser quand des réponses connues, fondées, existent au niveau mondial. La proposition de résolution les détaille. Mais une décision au niveau supranational est nécessaire pour sortir du jeu du passager clandestin. C’est le problème de la gouvernance mondiale de l’écologie, qui a été abordé ce matin.

Nous devons rééquilibrer la gouvernance pour qu’une force publique impose des contraintes et mette en place des incitations vertueuses. Comment faire en sorte que le prix de l’énergie reflète davantage l’empreinte écologique suscitée par l’utilisation de cette énergie ? Sous quelle forme fixer ce prix ? Une taxation poserait des enjeux de redistribution complexes.

Comme cela a été rappelé, sans accord contraignant, une autre solution permettrait d’éviter l’impasse du passager clandestin : la taxe aux frontières, qui consiste à instaurer un prix du carbone dans une zone, sans conséquence sur la compétitivité de la zone et sans être obligé de faire évoluer ce prix au même rythme dans toutes les zones. C’est une piste pour harmoniser des trajectoires et des stratégies différentes de réduction des émissions.

S’agissant des instruments économiques pour penser la tarification du carbone, la difficulté réside dans la gestion des effets distributifs et des effets de compétitivité. Au centre des négociations, il faut mettre la question de la valeur que nous accordons au climat : quel niveau de tarification choisir pour le CO2 ? Sur quels mécanismes fonder la redistribution entre les pays ?

Le système de Kyoto reposait sur des droits historiques, avec un bonus aux pays ayant accumulé un stock de CO2. Il est toutefois impossible d’élargir cette structure de tarification au monde entier. Nous devons penser une formule distributive adéquate, comportant des dispositifs gagnant-gagnant – une formule que vous aimez bien, madame la ministre –, où les vertueux sont récompensés.

Pour que le succès soit au rendez-vous de la COP 21, manier la carotte plutôt que le bâton, solution envisagée par les négociateurs, serait d’élargir la négociation à la prise en compte de formes de récompenses, de compensations, comme des quotas d’importations et d’exportations sur d’autres types de marchandises. Cela permettrait à des pays vertueux de progresser dans leur croissance car davantage de marchés leur seraient ouverts. Il s’agit donc là d’une forme d’incitation positive.

La tâche est immense. Madame la ministre. Si vous pouvez compter sur nous pour décliner les solutions localement, nous comptons sur votre volonté et votre habileté pour que la COP 21 soit féconde, en dépit du contexte de violence et de terreur. Comme l’écrit Alexandre Dumas, né à Villers-Cotterêts, « la nature sait calmer les plus vives douleurs ». L’enjeu de sa préservation doit rassembler les bonnes volontés et ouvrir des perspectives plus heureuses pour notre planète à travers l’emploi et l’égalité entre tous.

Les députés du groupe RRDP voteront sans réserve la proposition de résolution du président Jean-Paul Chanteguet.

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