Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, quelques jours nous séparent de l’ouverture de la COP 21 au Bourget. Eu égard aux enjeux de ce sommet, il était souhaitable que la représentation nationale s’exprime sur ce sujet. Les deux propositions de résolution qui nous sont soumises nous offrent cette occasion. Elles énoncent toutes deux des objectifs, l’une pour accéder à une société à bas carbone, l’autre pour promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP 21.
Je crois utile que nous nous saisissions de ce débat parlementaire pour évaluer où en sont les négociations, qui déterminent la réussite ou l’échec de cette COP. En ce qui concerne les enjeux et l’état des lieux climatiques, tout d’abord, le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental, rendu public en novembre 2014, a élaboré quatre scénarios. Le plus probable, en l’état actuel de l’évolution du réchauffement climatique, est le scénario le plus pessimiste, qui table sur une poursuite des émissions de gaz à effet de serre et une hausse des températures de 5 degrés.
Par conséquent, seul un scénario de réduction des émissions de gaz à effet de serre est en mesure de maintenir l’augmentation de la température sous le seuil de 2 degrés. C’est un défi de taille, qui implique de réduire nos émissions de gaz à effet de serre de 10 % par décennie.
Les engagements annoncés par les États parties prenantes de la COP 21 situent le réchauffement plus près de 3 que de 2 degrés. Les pays du G20, responsables de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se sont réunis, voici dix jours, en Turquie. Ils ont consacré l’essentiel de leur réunion à la lutte contre le terrorisme, ce qui constitue bien évidemment l’urgence du moment. Rien n’est ressorti quant à la COP 21. De surcroît, avant cette réunion à Antalya, le secrétaire d’État américain, John Kerry, s’est fendu d’une déclaration qui a douché les espoirs d’un accord, même si nous n’ignorons pas l’aspect tactique qu’elle a pour l’administration Obama face à une majorité républicaine au Congrès. John Kerry a ainsi déclaré au Financial Time qu’il n’y aurait pas d’objectif de réduction juridiquement contraignant, comme cela avait été le cas dans le protocole de Kyoto. Il faut reconnaître aux États-Unis une belle constance puisqu’après avoir signé le protocole de Kyoto, ils ne l’avaient pas ratifié. Ce que les États-Unis appellent aujourd’hui de leurs voeux, pour le sommet de Paris, c’est une simple déclaration, qui ne servirait à rien et ruinerait toute possibilité de limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2 degrés.
Dans ces conditions, la COP 21 serait à l’image de nombreux sommets qui l’ont précédé : une série de beaux effets d’annonce non suivis d’effets. En réalité, nous butons sur la contradiction entre les impérieuses exigences climatiques, qui nous commandent de réduire nos émissions de gaz à effet de serre, et un mode de production et de développement fondé sur le productivisme, une consommation énergivore et le dumping social, c’est-à-dire la main d’oeuvre à moindre coût.
L’envahissement de toutes les activités humaines par les lois du marché rend périlleux les accords internationaux nécessaires. Pour prendre des engagements communs, il nous faudrait un monde de coopération. Or, nous sommes dans un monde de la compétition et de la concurrence. Pour gagner des parts de marché, il faut les arracher à d’autres. Pour vivre un peu mieux, il faut que d’autres vivent moins bien. Tant que nous ne reconsidérerons pas nos modes de développement et de production, qui n’ont pas seulement consacré le dumping social mais aussi le dumping environnemental, tant que nous ne placerons pas le climat au centre des négociations sur le commerce mondial, nous peinerons à avancer et à trouver des solutions pérennes.
La seconde pierre d’achoppement concerne les pays en développement. Les négociations butent sur l’engagement pris en 2009 à Copenhague par les pays du Nord à fournir aux pays du Sud 100 milliards de dollars à partir de 2020 pour leur permettre de lutter contre le réchauffement climatique et de se développer de manière plus propre. Si cette promesse n’est pas tenue, il y a fort à craindre que les pays du Sud ne signent pas d’accord. Il a déjà fallu qu’ils haussent le ton, avec l’appui des organisations non gouvernementales, pour que le processus du Fonds vert s’amorce. Mais aujourd’hui, les contributions annoncées s’élèvent à environ 10 milliards de dollars.
Les pays du Sud sont confrontés non seulement à la question de leur développement sur un mode propre mais aussi aux conséquences des chocs climatiques, dont le coût s’élèverait à 200 milliards de dollars selon la Banque mondiale.
L’enjeu est énorme, car si nous sommes aujourd’hui confrontés à l’exode de milliers de personnes fuyant la guerre et la barbarie, mesurons que nous pourrions être demain confrontés à un flux de réfugiés climatiques. Alors qu’en 2013, 22 millions de personnes ont dû abandonner leur domicile à cause de désastres météorologiques ou hydrologiques, soit trois fois plus de personnes que celles déplacées à cause d’un conflit, le nombre de réfugiés climatiques dans le monde pourrait atteindre 250 millions de personnes en 2050, selon l’Organisation des Nations unies. C’est dire l’urgence !
Les deux propositions de résolution qui nous sont soumises traitent des questions que je viens d’aborder. Elles tendent à faire en sorte que notre pays s’engage à porter un nouveau modèle de développement à l’échelon national, européen et international, afin de constituer une sorte d’avant-garde sur la voie de la transition.
Pour l’essentiel, je ne peux que partager les propositions avancées par ces textes, en particulier, dans le premier, le passage à une économie décarbonée. Il en va de même pour la proposition de résolution tendant à promouvoir la prise en compte des outre-mer dans les négociations de la COP 21, que les députés ultra-marins du groupe GDR ont cosignée. Ces territoires, par leur situation océanique, sont très directement exposés au dérèglement climatique, aux risques de tempêtes et de cyclones, en n’oubliant pas qu’ils représentent 80 % de la biodiversité française.
J’émettrais toutefois quelques réserves s’agissant de la proposition de résolution pour accéder, au-delà de la COP 21, à une société à bas carbone. Notons tout d’abord l’insistance du texte sur l’adaptation au changement climatique. Nous avons toujours exprimé les plus vives réserves sur cette notion, qui laisse entendre que les scénarios de maîtrise efficaces proposés par le GIEC ne seront pas atteints, que la maîtrise du réchauffement climatique sera insuffisante, et qu’il convient prioritairement d’orienter les investissements vers l’adaptation de nos sociétés ou de celles des pays en développement à ce réchauffement.
Ce texte fait ensuite la part belle aux outils économiques et financiers issus du protocole de Kyoto et devant permettre aux États engagés de réduire leurs émissions. Ces outils, ou « finance carbone », ont avant tout contribué à accélérer les logiques financières et spéculatives du capitalisme mondialisé : les délocalisations d’activités, avec recours aux énergies carbonées et émissions de gaz à effet de serre, vers les pays du Sud ou même en Europe, ont élargi le cercle des pays pollueurs.
Nous avons également des divergences sur les modalités de mobilisation des investissements privés. Le texte évoque ainsi la nécessité de « lever, par des mesures législatives, les obstacles au financement des projets de long terme » ou encore d’encourager les investisseurs institutionnels « à cesser d’investir dans les énergies fossiles ».
II y a énormément de capitaux en circulation sur la planète. Le bon sens serait de capter une partie de cet argent pour l’orienter vers le financement d’infrastructures favorables à la transition écologique. Or ce sont les marchés financiers, donc les investisseurs privés, qui ne veulent pas en entendre parler parce qu’investir sur les marchés financiers rapporte encore 10 % par an. Aucun projet de l’économie réelle, a fortiori pour la transition énergétique, ne rapporte un tel taux annuel. Le politique doit donc mener un véritable bras de fer avec les investisseurs privés sur les marchés financiers, non appliquer de simples mesures incitatives, d’accompagnement ou de soutien.
Pour finir, notons que le texte n’évoque pas un seul instant la pauvreté et l’interdépendance des questions sociales et environnementales.
Sous ces réserves, nous voterons les deux propositions de résolution.