En effet. Les négociations nocturnes qui, sans être à proprement parler amusantes, faisaient du moins partie d'un jeu accepté par tous, appartiennent à une liturgie qui ne parle désormais plus du tout et apparaît déconnectée de la réalité. Or cette dimension n'est pas liée au droit applicable. Certains journalistes ont salué comme un artifice de présentation, à même de faire oublier les propositions subséquentes, notre traitement de ces aspects en première partie du rapport. Pourtant, loin de vouloir être habiles, nous entendions par là marquer une priorité, non « faire passer la pilule ». En France, rien ne semble important si ce n'est inscrit dans la loi.
Une autre partie du rapport traite de la réécriture du code du travail. Je ne renierai pas le travail de recodification à droit constant auquel j'ai contribué. Mais je dois dire que, comme membre du Conseil d'État, j'ai aussi travaillé sur la législation des brevets et que j'en ai tiré quelques enseignements. Que le code de la propriété intellectuelle soit complexe n'est pas gênant, car ceux qui ont à s'en occuper sont des spécialistes. Il en va différemment s'il s'agit, comme pour le code du travail, d'un droit d'application dans la vie quotidienne. Ainsi, la distinction n'est pas toujours claire entre ce qui relève du droit impératif ou de la négociation. Il faut établir un partage plus net entre les deux.
Cela n'ira pas sans quelque délai, mais le chômage et la situation économique pressent. Aussi me semble-t-il qu'il convient d'isoler le plus rapidement possible quatre champs : temps de travail, conditions de travail, emploi et salaires. Le Gouvernement voudrait pour chacun d'eux une maquette ciblant mieux ce partage et établissant un calendrier à court terme et à un calendrier à quatre ans.
J'en viens à l'inversion des normes que nous soutiendrions prétendûment, à savoir un primat de l'accord d'entreprise sur la loi. Nous n'avons rien proposé de tel, ni même seulement un tel primat au profit de l'accord de branche. J'ai seulement plaidé en faveur du respect d'une sorte de principe de subsidiarité. Distinguons entre la loi, l'accord de branche et l'accord d'entreprise. La première doit fixer les grands principes. Il peut s'agir d'un sujet très politique : la durée légale du travail doit-elle par exemple en relever ? Le doute est moins grand pour un principe comme l'interdiction de la discrimination. S'agissant des accords de branche, il est évident que la situation diffère entre la branche du conseil et celles des travaux publics ou du commerce de ville. Quant aux accords d'entreprise, il faudrait que de plus en plus de sujets relèvent d'eux, non pour faire plaisir aux entreprises, mais parce que le code du travail ne saurait, comme tombé du ciel, régir toutes les situations dans le détail. Les salariés eux-mêmes ont besoin que soit prise en compte la situation propre à l'entreprise. Je dirais donc qu'il faut que la régulation s'opère au plus près des situations de travail.
Mais il ne s'agit pas de déroger à la loi par un accord d'entreprise. Devenue pour ainsi dire un sujet de guerre de religion, l'inversion des normes véritable signifierait en effet qu'un accord d'entreprise prime la loi. Je n'écrirai jamais rien de tel, car il ne peut y avoir de dérogation à un principe établi démocratiquement. En revanche, il convient de rechercher le bon partage entre les trois différents niveaux de normes, selon qu'il s'agit de traiter un sujet économique, un sujet social ou un sujet politique.