Intervention de Jean-Denis Combrexelle

Réunion du 18 novembre 2015 à 16h00
Mission d'information relative au paritarisme

Jean-Denis Combrexelle, président de la section sociale du Conseil d'état :

Je répondrai d'abord sur les nouvelles formes de travail et l'ubérisation, même si ma mission portait sur la négociation collective et n'avait pas pour fin de répondre à cette question, d'autant que le rapport Mettling l'aborde déjà.

J'ai souvent entendu que le code du travail avait été construit pendant la révolution industrielle, à l'époque d'une subordination claire de l'employé à l'employeur, et que l'évolution actuelle le condamnait à disparaître. Pourtant, les prestataires d'Uber connaissent bien une situation de dépendance. Un droit ou des droits l'organisent-ils ? J'ai évoqué le sujet avec des collègues espagnols et italiens : leurs lois encadrent cette dépendance. Dans le cadre d'une sorte de troisième voie, celui qui transporte des colis dans ce type de prestation est couvert par des règles relatives au temps de travail ou à la protection sociale. En France, on est soit salarié, soit indépendant. Mais, dans ce dernier cas, le juge peut toujours requalifier la situation en salariat, par exemple pour celui qui exerce des activités de taxi. À terme, une troisième catégorie de travailleur pourrait donc voir le jour, qui apporterait à ces nouveaux indépendants un minimum de protection sociale. Quant à dire, comme on l'entend parfois, que 90 % des salariés finiront par être des indépendants, je ne le crois pas.

Le compte personnel d'activité constitue un sujet politique. La seule certitude est que, lorsque plus de 80 % des embauches prennent la forme non seulement de contrats à durée déterminée, mais de contrats à durée déterminée très courte, un écart se fait jour entre les générations. Si le droit n'est plus lié au contrat de travail, il faut reconstruire le code du travail pour que les périodes interstitielles entre les contrats ne constituent pas autant de vides juridiques. Le compte pénibilité, le compte personnel de formation et le compte épargne temps ont tenté de répondre à cette situation. Mais une évolution est sans doute nécessaire pour qu'un compte unique gère tous ces droits. Toutes les parties prenantes devraient être représentées dans sa gestion.

S'agissant des rapports entre accords collectifs et contrats de travail, je peine à comprendre certaines positions. Le droit du travail est construit sur l'idée que les relations entre le salarié et l'employeur sont marquées par une certaine inégalité qu'il revient à la négociation collective de compenser. La première protection collective est apportée par la loi. Puis sont venus, notamment à partir de 1936, les accords collectifs. Tout reposait sur l'idée que le salarié est mieux protégé par l'accord collectif négocié par le syndicat que par le résultat d'une négociation individuelle avec son employeur.

Au niveau européen, quand il s'est agi de réviser la directive sur le temps de travail, tant Gérard Larcher et Xavier Bertrand que Michel Sapin ont constamment défendu l'idée, en face de la Grande-Bretagne et d'une majorité de pays européens, que la durée maximale de travail ne saurait faire l'objet de dérogations sur la base d'un accord négocié directement entre l'employeur et le salarié. Ils ont soutenu qu'une telle dérogation ne saurait être possible par la négociation individuelle, car elle n'apporte pas la protection que garantissent les accords collectifs. Tous les gouvernements successifs ont ainsi soutenu l'idée que les accords collectifs sont meilleurs que les contrats de travail.

Ce n'est pas toujours, semble-t-il, la position de la Cour de cassation, qui se rallie parfois à la thèse inverse. Je peine à le comprendre. Dans mon rapport, j'ai entendu ne pas faire de ce sujet une pomme de discorde et m'en tenir à une approche pragmatique. Si un accord, que ce soit un PSE, un accord relatif à la mobilité ou un accord de maintien dans l'emploi – il faudrait en définir une liste limitative – permet de conserver et de protéger l'emploi, il doit prévaloir sur le contrat de travail. Mais j'avoue que je dois m'accrocher à ma chaise lorsque j'entends que la protection apportée par le contrat de travail pourrait être meilleure que celle qui est garantie par des accords collectifs. Heureusement que nos partenaires européens ne nous entendent pas quand nous prétendons que le temps de travail pourrait être plus favorablement négocié à l'échelle individuelle.

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