Intervention de Béatrice Santais

Réunion du 24 novembre 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBéatrice Santais, rapporteure pour avis :

Notre commission est saisie pour avis sur l'article 11 du projet de loi de finances rectificative pour 2015 (PLFR) dont l'objet principal est la réforme de la contribution au service public de l'électricité (CSPE). Cet article dépasse toutefois assez largement le cadre de la seule réforme de la CSPE, pour aborder plusieurs aspects de la fiscalité des énergies.

Il conduit ainsi à augmenter la part carbone des taxes intérieures de consommation d'énergie, et à porter le prix de la tonne de carbone à 30,50 euros en 2017, soit une hausse de 8,50 euros par rapport à 2016. Cela devrait nous permettre d'atteindre les objectifs, fixés par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, de porter le prix de la tonne de carbone à 56 euros en 2020 puis à 100 euros en 2030. L'incitation au déploiement des énergies renouvelables en sera ainsi grandement renforcée.

Ce même article prolonge, par ailleurs, à l'année 2017 la trajectoire de rapprochement de la fiscalité du gazole et de l'essence en augmentant la première de 1 centime par litre et en diminuant la seconde d'autant. Cette évolution paraît, elle aussi, en mesure de contribuer à la lutte contre la pollution atmosphérique, liée notamment aux particules fines.

Plus fondamentalement, l'article 11 du PLFR instaure une profonde réforme de la CSPE, attendue et souhaitée depuis longtemps par les acteurs de la filière, que nous avons rencontrés dans le cadre de l'élaboration du rapport pour avis sur le projet de loi de finances pour 2016. Il agit sur plusieurs aspects de cette contribution pour la rendre plus efficace et accroître le contrôle du Parlement.

Rappelons brièvement ce qu'est la CSPE. Il s'agit d'une contribution prélevée sur les factures d'électricité des particuliers et des professionnels de façon proportionnelle au nombre de kilowattheures consommés. Elle représente environ 10 à 13 % de la facture d'électricité, pour un montant total de plus de 6 milliards d'euros en 2015. Elle permet de financer, d'une part, le soutien aux énergies renouvelables, d'autre part, les obligations de service public qui incombent aux fournisseurs d'électricité, par exemple les surcoûts de production en zones non interconnectées au réseau métropolitain, les tarifs sociaux ou encore le Médiateur de l'énergie.

Jusqu'en 2015, le montant de la CSPE était fixé par le Gouvernement, sans consultation du Parlement, sur proposition de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Cette commission, après avoir évalué les charges supportées par les opérateurs électriques pour remplir leurs missions de service public, déterminait le montant de la taxe de façon à assurer la couverture de ces champs à moyen terme. La loi de finances pour 2011 avait prévu que si les pouvoirs publics ne publiaient pas d'arrêté au 31 décembre, le taux de la CSPE était automatiquement relevé au 1er janvier suivant, selon un montant proposé par la CRE ne pouvant excéder une hausse de 3 euros par mégawattheure. En fait, c'est cette dernière possibilité qui a été utilisée en 2013, 2014 et 2015, l'augmentation systématique de 3 euros aboutissant à porter le montant de la CSPE à 19,50 euros le mégawattheure en 2015.

Ce système faisait l'objet de multiples critiques et la réforme était devenue nécessaire. D'une part, le dispositif était juridiquement instable et ne permettait pas au Parlement de jouer son rôle de supervision de la politique publique de l'électricité. Le financement des charges de service public pour la fourniture de l'électricité était, en effet, assuré par un dispositif extrabudgétaire passant par la Caisse des dépôts et consignations. À aucun moment, la CSPE ne transitait par le budget. Dès lors, non seulement la fixation du montant de la CSPE paraissait peu transparente et ne laissait pas de place au contrôle du Parlement, mais celui-ci n'avait pas davantage de visibilité sur les dépenses que cette taxe contribuait à financer. Outre le manque de transparence, la fragilité juridique du dispositif était propice à de nombreux contentieux, liés notamment à la compatibilité du régime d'exonérations avec le droit européen.

D'autre part, le fonctionnement de la CSPE était à la fois inéquitable et inefficace. Inéquitable, dans la mesure où seuls les consommateurs d'électricité en étaient redevables et contribuaient aux dépenses de service public mais aussi de développement des énergies renouvelables. Il apparaissait donc nécessaire que toutes les énergies, et notamment les plus carbonées, contribuent à la prise en charge financière de la transition énergétique, de manière à ne plus faire peser sur les seuls consommateurs d'électricité une charge disproportionnée. Inefficace, car le montant de la CSPE ne suffisait plus à couvrir les charges de soutien aux énergies renouvelables, dont les frais ont considérablement augmenté ces dernières années, notamment en raison du développement des systèmes photovoltaïques et éoliens. Le déficit de compensation par l'État auquel étaient, en conséquence, confrontés les fournisseurs d'électricité portait lourdement préjudice à leur trésorerie.

La conjugaison du contexte politique, avec les engagements pris dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, et de la diminution du coût des énergies fossiles a fait apparaître le moment comme particulièrement opportun pour mener à bien la réforme de la CSPE. Les modalités retenues par le PLFR semblent très satisfaisantes.

Premièrement, cette réforme clarifie le dispositif juridique et rehausse le rôle du Parlement. L'article 11 du projet propose ainsi de faire basculer la CSPE sur la taxe intérieure sur les consommations finales d'électricité (TICFE), pour en faire une accise à part entière, c'est-à-dire une contribution indirecte sur la consommation. Ainsi, la contribution transitera-t-elle par le budget et le Parlement y gagnera-t-il un véritable droit de regard en ayant désormais la possibilité de débattre et de voter le financement du service public de l'électricité via le taux de la CSPE. La CRE aurait toujours pour mission d'évaluer les charges résultant des obligations de service public pour proposer une évolution du montant de la taxe, mais le ferait plus tôt dans l'année, en compatibilité avec le calendrier budgétaire parlementaire. Qui plus est, l'adossement sur la TICFE permettra de renforcer la sécurité juridique du dispositif puisque le cadre juridique des accises est clair et la jurisprudence bien établie.

La nouvelle taxe créée s'inscrit dans la continuité de la CSPE, dont elle garde d'ailleurs le nom. Elle étendra ainsi la TICFE à toutes les puissances souscrites et non aux seules puissances supérieures à 25 kilovoltampères, comme c'est le cas actuellement. Le montant de la taxe créée est porté à 22,50 euros – 19,50 euros de CSPE actuelle, plus 2,50 euros d'évolution automatique et 0,50 euro au titre de l'ancienne TICFE. J'appelle votre attention sur le fait que la stabilisation du montant de la CSPE à 22,50 euros en 2017 est un point essentiel sur lequel le Parlement devra être particulièrement attentif. Il y va de la cohérence de la réforme.

Deuxièmement, en contrepartie de la stabilisation de la CSPE, le financement des charges croissantes du service public de l'énergie sera assuré, à partir de 2017, par un élargissement progressif de l'assiette de financement aux énergies fossiles. Les énergies les plus carbonées seront ainsi mises à contribution pour couvrir l'augmentation des charges de service public, comme cela a été demandé à plusieurs reprises lors des auditions que nous avons conduites. Il semble en effet logique et indispensable que le coût des charges de service public soit supporté par l'ensemble des consommateurs d'énergie et non par les seuls consommateurs d'électricité, d'autant que cette énergie n'est pas la plus carbonée. En pratique, la part carbone de chacune des taxes intérieures sur la consommation des énergies fossiles – produits pétroliers, gaz ou charbon – sera augmentée. Ce changement d'assiette permettra d'assurer de façon pérenne le financement des charges du service public de l'énergie, sans pour autant faire peser de charges excessives sur le consommateur dans un contexte de forte diminution du prix des énergies fossiles – carburant comme gaz de chauffage.

Troisièmement, la réforme permet de sécuriser et de simplifier le régime dont bénéficient les industries électro-intensives ou hyper-électro-intensives. En fonction de leur consommation, celles-ci acquitteront des montants compris entre 0,50 euro et 7 euros par mégawattheure, contre 22,50 euros pour le montant normal. Ces tarifs réduits préservent donc la compétitivité de ces industries qui bénéficiaient auparavant du mécanisme de plafonnement à 5 % de la CSPE, mécanisme qui ne peut pas être appliqué à la taxe nouvellement créée. Le nouveau régime a été notifié à la Commission européenne et les tarifs réduits entreront en vigueur lorsque celle-ci se sera prononcée.

Enfin, au-delà du seul article 11 mais en lien avec la réforme de la CSPE, le projet de loi de finances rectificative introduit aussi une budgétisation de l'ensemble de la politique publique de l'énergie. Désormais, les dépenses relatives au service public de l'énergie figureront au budget de deux manières distinctes.

D'une part, un programme « Service public de l'énergie » est créé au sein de la mission « Écologie, développement et mobilités durables ». Ce programme, alimenté par des recettes du budget général, financera les mesures du service public de l'énergie relatives à la solidarité avec les zones non interconnectées au réseau métropolitain, à la protection des consommateurs en situation de précarité énergétique, au soutien à la cogénération, à la compensation carbone, aux frais de support et au Médiateur de l'énergie, comme c'était le cas auparavant.

D'autre part, un compte d'affectation spéciale pour la transition énergétique est créé. La CSPE sera une recette essentielle de ce compte, dont les dépenses seront constituées par les mesures prises dans le cadre de la transition énergétique : le soutien aux énergies renouvelables, le soutien à l'effacement de consommation électrique ou encore le désendettement des opérateurs supportant des charges de service public de l'électricité. La politique publique de l'électricité gagne ainsi en lisibilité et en transparence dans ses dépenses, sur lesquelles le Parlement sera désormais amené à se prononcer chaque année. Il serait, d'ailleurs, peut-être souhaitable d'aller plus loin dans la clarification budgétaire et de scinder en deux la mission « Écologie, développement et mobilité durables », afin de distinguer les programmes relatifs aux transports de ceux relatifs à l'écologie et au service public de l'énergie.

En définitive, la réforme de la CSPE telle que proposée par l'article 11 du PLFR paraît très satisfaisante. Le rôle du Parlement est revalorisé, tant au regard du contrôle de la recette CSPE que de la visibilité sur l'ensemble des dépenses de cette politique publique essentielle. Le cadre juridique est clarifié et sécurisé pour assurer la plus grande efficacité au dispositif en matière de soutien au développement des énergies renouvelables, de lutte contre la précarité énergétique ou de meilleure péréquation tarifaire. Les industries électro-intensives et hyper-électro-intensives, qui assurent le dynamisme économique de nos territoires, sont bien prises en compte, dans le respect du droit européen. Enfin, la stabilisation du montant de la CSPE en 2017 et l'élargissement de l'assiette de la contribution à cet horizon sont un signe positif pour la participation équitable et conjointe de tous les consommateurs d'énergie à la réussite de la transition énergétique. C'est pourquoi j'émets un avis favorable à l'adoption de l'article 11 du PLFR.

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