Intervention de Jean-Marie Tetart

Séance en hémicycle du 26 novembre 2015 à 15h00
Mobilisation collective en faveur de l'aide au développement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Marie Tetart :

Je veux féliciter Bertrand Pancher, car ce texte ne relève aucunement de l’opportunisme : je crois qu’il est opportun d’avoir un débat à ce sujet après avoir voté le budget et avant l’ouverture de la COP 21.

Cette résolution nous adresse deux invitations – augmenter massivement l’aide publique au développement et faire de la coopération décentralisée un instrument incontournable de sa mise en oeuvre – que je reçois cinq sur cinq. Notre collègue Dufau a regretté que cette proposition de résolution soit truffée de banalités, issues, notamment, de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, dite « loi Canfin ». Pour ma part, je regrette l’intitulé de cette loi, qui ne contenait aucune programmation ; si tel avait été le cas, peut-être aurions-nous fait preuve d’une plus grande constance dans le vote des crédits de l’aide au développement.

J’avais été agréablement surpris par l’accord unanime de cette assemblée pour augmenter les crédits de l’aide au développement ; peu importe que cet effort ait été accompli à l’initiative du groupe SRC, qui aurait négocié avec le Gouvernement et obtenu que celui-ci corrige sa copie, après avoir fait une grosse erreur de calcul. Ensemble, par la suite, nous avons obtenu un certain nombre d’avancées. Vous avez dit, monsieur Dufau, que l’Assemblée avait voté 150 millions de crédits supplémentaires, mais il ne faudrait pas oublier qu’un certain vendredi, à l’issue de l’examen de la deuxième partie du projet de loi de finances, le secrétaire d’État au budget, juste avant les remerciements, avant que chacun ne s’auto-félicite d’avoir si bien travaillé, a minoré de 162 millions les crédits accordés à l’aide publique au développement. Mieux vaudrait avoir la franchise de le dire à cette tribune, car c’est une régression : l’effort accompli cette année n’est pas aussi élevé qu’espéré. Le sursaut qui avait été obtenu, et qui mettait un terme à la tendance baissière de l’APD française, a ainsi été réduit nuitamment, au moyen de ce que j’ai appelé un « petit hold-up budgétaire ».

C’est une banalité – qui fait écho à d’autres banalités évoquées au cours ce débat – que de dire que la COP21 va conditionner l’avenir de notre monde en atténuant le réchauffement climatique, afin de rendre encore possible la maîtrise de ses conséquences par des mesures d’adaptation. De fait, la COP21 constitue un grand pari, qui ne pourra être gagné que si, le plus rapidement possible, les populations des pays les plus pauvres ont accès à l’ensemble des services de base, qui rendent supportable le présent et leur laisse espérer un avenir.

De fait, comment imaginer, chers collègues, que l’on puisse impliquer ces populations dans des dynamiques d’atténuation du réchauffement climatique, de préservation des ressources naturelles, de développement durable, alors qu’elles n’ont pas accès aujourd’hui aux ressources de base, qu’il s’agisse de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’assainissement, ou même d’un revenu minimal en mesure de les sortir de l’extrême pauvreté ? Cela relève de la mission impossible. La COP21 devra reconnaître ce préalable, et la France devra être au coeur de ce combat.

La France est en guerre contre l’État islamique terroriste. Elle défend ainsi ses libertés, ses valeurs, sa façon de vivre, sa culture, son histoire, son futur. La France est en guerre contre cette organisation terroriste, qui sape aussi les dynamiques de développement dans nombre de pays africains. Elle les sape par une déstabilisation institutionnelle et une insécurité permanente. Elle les sape par son obscurantisme moyenâgeux, refusant l’accès à l’éducation, à la santé, au confort de vie, déniant tout droit aux femmes.

La France doit donc mener cette autre guerre, la guerre du développement, contre la pauvreté, pour l’éducation, l’accès à la santé et aux services de base. Mais notre pays peut-il encore jouer un rôle majeur dans la coalition pour l’aide au développement ? Se donne-t-il encore les moyens de mener cette guerre du développement ? Peut-on la mener sans armes ni munitions ? De fait, on observe des réductions budgétaires inacceptables depuis 2012, notamment sur la partie « dons ». Les dons restent indispensables, comme cela a été rappelé tout à l’heure. Or, ils ne sont pas à la hauteur des enjeux auxquels font face les quatorze pays prioritaires, notamment s’agissant du développement des services sociaux. Le développement de ces services ne sera un succès que s’il est acceptable par les populations, compte tenu de leurs revenus. Dans l’équilibre économique de délivrance de ces services, on peut imaginer tous les partenariats public-privé, toutes les combinaisons prêts-dons : in fine, c’est bien le don qui permettra, à un moment donné, de rendre un service à un coût acceptable par les populations.

Le Président de la République avait annoncé l’objectif de porter l’aide publique au développement à 0,7 % du RNB en 2030. M. Dufau a évoqué ce voeu qui précède ceux que l’on formule en début d’année. Pour ma part, si je préfère naturellement un objectif de 1 % à un objectif de 0,7 % en 2030, ce qui m’intéresse, c’est que ces promesses de moyen terme soient assorties de la fixation de paliers. Le premier d’entre eux pourrait être établi en 2017 ; on pourrait prévoir qu’à cette date, la maison soit aussi propre qu’elle l’était en 2012, c’est-à-dire que l’on conserve au moins le même taux. Le Gouvernement pourrait ainsi s’honorer d’avoir à tout le moins stabilisé le niveau de notre aide publique au développement.

Un autre danger nous guette : la remise en cause permanente des financements innovants ou, du moins, une hésitation maladive à en envisager d’autres. Dans l’impasse budgétaire où se trouve notre pays, qui ne sait plus dégager de marges pour l’aide au développement, nous avons besoin de ces financements innovants, qu’ils s’ajoutent à l’aide budgétaire ou forment un tout avec elle. À l’image du principe pollueur-payeur, nous pourrions instituer le principe perturbateur-réparateur ou destructeur-reconstructeur. Il faut que l’on s’attache, dans un certain nombre de domaines, à développer ces financements innovants. L’adossement de l’AFD à la CDC, dont nous ne connaissons pas encore tous les contours, devra réserver une part importante aux dons.

La situation actuelle est inacceptable mais, s’il faut des armes et des munitions, il faut aussi des troupes. À cet égard, vous avez raison, cher collègue Pancher, de nous inviter à renforcer la coopération décentralisée des ONG. Aujourd’hui, ONG, société civile et collectivités locales forment bien l’armature d’une coopération efficace sur le terrain. En effet, si l’on pense que le développement territorial constitue la clé du développement, on ne peut se passer des collectivités locales françaises. Celles-ci ont en effet beaucoup à transmettre, qu’il s’agisse d’assistance technique, d’échange d’expériences, de formation, appliquées, à chaque fois, à un projet. Cette transmission n’a en effet de sens que si elle est appliquée à un projet s’inscrivant dans le temps. À défaut, ce ne seront que des formations académiques. Les collectivités ont la capacité de se projeter dans la durée et de nouer des coalitions d’acteurs locaux, qui peuvent apporter des compétences complémentaires pour mener un projet, je le répète, dans la durée.

Je ne pense pas que, compte tenu du degré de décentralisation élevé de notre pays, l’État ait encore les moyens d’envoyer des experts et des bureaux d’études coûteux, d’enseigner ou de partager son savoir-faire en matière de gestion locale. Seuls les maires, les présidents de conseils départementaux ou régionaux ont cette possibilité. Vous allez me demander comment faire pour que plus de villes s’engagent. Il me paraît nécessaire de fournir un argumentaire aux collectivités qui peuvent craindre, dans une période de montée des extrêmes, dans un contexte de réduction des dotations de l’État, de s’engager, d’expliquer à leur population les raisons de cet engagement.

Il faut également financer plus massivement les interventions. Aujourd’hui – j’en fais personnellement l’expérience –, on obtient des crédits en répondant à des appels à projet. Ceux-ci sont souvent le signe d’une insuffisance de crédits, que l’on distribue de façon très sélective, sur le fondement de cahiers des charges fort compliqués. Il faudrait que l’AFD et les ministères disposent d’un fonds de coopération décentralisée qui soutiendrait massivement et encadrerait l’action des collectivités locales. Ce n’est qu’à cette condition, me semble-t-il, grâce à des financements sérieux, crédibles, reconnaissables par les organisations internationales, et par le concours de la coopération décentralisée à l’action des ONG, que la France pourrait retrouver un rôle de chef de coalition dans la guerre pour l’aide au développement.

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