« La francophonie, c’est l’usage de la langue française comme instrument de symbiose, par delà nos propres langues nationales ou régionales, pour le renforcement de notre coopération culturelle et technique, malgré nos différentes civilisations », disait Léopold Sédar Senghor. La France a une longue histoire avec l’Afrique, une histoire au cours de laquelle se sont noués des liens très particuliers. Au lieu d’être niés, ceux-ci doivent au contraire guider notre politique d’aide au développement pour accompagner les civilisations francophones dans leur marche vers le progrès.
C’est pourquoi la baisse de la participation française à l’aide au développement n’est pas un bon signe envoyé à nos partenaires africains. Cette baisse s’accompagne d’un décalage avec les objectifs géographiques que notre pays s’est fixés le 31 juillet 2013. Parmi les seize pays pauvres prioritaires, seuls quatre apparaissaient en 2013 dans les vingt premiers récipiendaires de l’aide bilatérale et un seul dans les dix premiers. Dans le même temps, des pays émergents tels que la Chine et le Brésil figuraient respectivement aux quatrième et sixième positions. Quant à la Turquie, elle bénéficiait la même année d’un versement de 45 millions d’euros pour des travaux de prolongement d’une ligne de métro à Istanbul.
Pourtant, le nombre d’Africains vivant dans l’extrême pauvreté est passé de 289,7 millions à 413,8 millions en vingt ans. D’ici à 2020, 41 % des pays les moins avancés seront des États d’Afrique francophone. Sachant qu’environ 9 % des émigrés africains choisissent la France, le choc démographique africain pourrait doubler les flux migratoires d’ici à 2050. Il est plus que jamais pressant d’optimiser notre politique d’aide au développement et de la rendre plus efficace.
Pour cela, la France doit retrouver une parole claire et distincte que le labyrinthe du multilatéralisme rend confuse. En effet, 65 % des crédits du programme « Solidarité à l’égard des pays en développement » sont alloués à l’action européenne et multilatérale. Cela a pour conséquences la dilution de l’effort de notre pays et la perte de nos marges de manoeuvre au détriment de nos priorités géographiques et sectorielles. Ce sont souvent de grandes causes médiatiques internationales qui vampirisent cette déperdition. Or, une meilleure adaptation de l’aide sanitaire aux causes de mortalité contribuerait à la nécessaire transition démographique de l’Afrique.
Mon propos est non pas d’abandonner l’universalité de l’aide au développement, qui octroie à la France une certaine influence dans les institutions internationales, mais d’appeler à recentrer l’aide française sur le canal bilatéral afin de bénéficier de plus de marges de manoeuvre. L’outil bilatéral, gage de souveraineté, permet de rendre visible l’effort français aux yeux des récipiendaires africains et d’honorer leur confiance dans un partenariat d’égal à égal.
À l’heure des restrictions budgétaires, nous devrions réfléchir à concentrer l’action de l’AFD sur les pays francophones. En effet, la langue française constitue notre vecteur d’influence culturelle et nous confère un statut international à part entière. Pourtant, nous amenuisons constamment notre soutien à l’éducation de base : celle-ci a diminué de près de 60 % entre 2008 et 2013. Pendant ce temps, les États-Unis financent massivement l’éducation de base des pays francophones. Par exemple, en 2011, au Sénégal, la France a consacré 600 000 dollars à l’éducation de base contre 20,7 millions de dollars pour les États-Unis. Plus inquiétant, on assiste à l’essor d’un soft power wahhabite qui se substitue à l’enseignement public de plusieurs États francophones aux structures affaiblies. La main basse des islamistes sur l’éducation constitue un terreau sur lequel prospère notamment Boko Haram, le clone africain de l’État islamique. Les risques de déstabilisation d’une Afrique multiconfessionnelle sont donc immenses, notamment pour les 24 % de chrétiens africains.
L’Afrique francophone, grâce à sa jeunesse, a tout pour sortir de la pauvreté : avec une moyenne de 5 % de croissance par an, le continent enregistre le deuxième taux de croissance économique, derrière l’Asie. Néanmoins, un rapport d’Hubert Védrine souligne la baisse de la part de marché de nos entreprises de 10 % à moins de 5 % entre 2000 et 2011. Ce décrochage profite non seulement aux États-Unis, mais également aux pays émergents tels que le Brésil et surtout la Chine.
Les Chinois font aujourd’hui jeu égal avec notre pays dans la zone francophone.