Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 17 novembre 2015 à 17h45
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international :

Il s'agit de pays en guerre. Il y a en outre, vous le comprendrez - et je pense que personne ne le contestera - quelques vérifications à effectuer. Chacun comprend de quoi je veux parler : il ne s'agit pas de faire venir des Syriens qui auraient pour objectif de s'en prendre à la France. Les instructions politiques sont d'être ouvert, sans être naïf.

Si vous avez des cas particuliers, vous pouvez me les signaler. Je l'ai dit également à nos consulats et à nos ambassades.

Je n'en ai pas parlé, mais nous avons évidemment pris les dispositions pour renforcer notre personnel et les protections extérieures, et je veux rendre hommage aux personnels du Quai. Dans les attentats, ce sont eux qui ont les contacts avec les familles. Vous imaginez à quel point c'est difficile. C'est un travail très pénible et les fonctionnaires le font de manière formidable, avec tact et efficacité. Je veux leur rendre ici hommage.

S'agissant de la question de la présence au sol, nous n'y sommes vraiment pas favorables pour ce qui nous concerne. Je sais qu'un grand homme disait qu'on parle toujours des leçons de l'Histoire, mais que l'Histoire n'apporte jamais de leçons. Peut-être, mais quand même, les leçons récentes de l'Histoire rappellent qu'une présence au sol se transforme très vite en armée d'occupation et, du même coup, par un rejet de la population. On aboutit donc exactement à l'inverse du but poursuivi. Vous avez tous des exemples à l'esprit.

Il faut toutefois des personnes au sol. Qui sont-ils ? Soit des Syriens, soit des Arabes proches. Il existe - et ce n'est pas négligeable - une armée syrienne libre. Certains groupes armés, ou qui peuvent l'être, ne sont pas des groupes terroristes.

On peut aussi compter sur les Kurdes, qui sont des combattants extrêmement courageux. On trouve aussi d'autres populations, qui sont voisines, mais pas de troupes au sol des pays de l'ouest. Le Président de la République et moi-même considérons que des troupes au sol constitueraient une grave erreur politique.

Enfin, vous évoquez le fait de parler avec tout le monde. Je ne voudrais pas qu'il y ait de confusion dans votre esprit, même si je crains de vous décevoir. Nous n'avons pas changé d'avis sur le fait, au bout du compte, qu'il n'existe pas de Syrie, au sens de Vienne, avec Bachar el-Assad comme perspective. Il est le principal responsable de la mort d'une grande partie de son peuple ! Mettez-vous un instant à la place des Syriens dont la famille a été victime de Bachar el-Assad à qui on va expliquer que c'est lui qui va diriger le pays pour la décennie à venir : c'est inacceptable ! Par souci d'efficacité, il faut un gouvernement d'union. Avec qui le composer ? Je vous le répète depuis longtemps, au point de vous lasser : il faut faire appel à des éléments du régime et de l'opposition dite modérée.

Les éléments du régime ne sont pas nécessairement des anges, mais si nous ne voulons pas assister à un écoulement des institutions et arriver à la situation irakienne, il faudra bien s'entourer. Il faudra également adjoindre des éléments de l'opposition.

Dans la discussion, lorsqu'il s'agira de composer le gouvernement, il y aura bien évidemment des représentants de Bachar el-Assad. Une chose est de discuter, une autre est de dire à quelqu'un qu'il sera, de toute éternité, le dirigeant de son pays.

J'ai entendu un député échanger avec Bachar el-Assad. Vous avez lu la déclaration de ce dernier qui, au-delà de quelques zakouski, dit en gros que la France n'a qu'à s'en prendre à elle-même concernant les actes terroristes. Un député français ne peut l'accepter ! Je ne peux partager cette conception.

Ne confondons pas tout ! Les parlementaires sont libres. La discussion a lieu avec les différentes parties prenantes, mais il faut arriver à la paix en Syrie, à la liberté et à un régime qui permette à chacun de vivre et de coexister. Nous ne croyons pas un instant que l'on puisse y arriver en disant, comme l'Iran, que c'est à Bachar el-Assad de présider aux destinées de son pays. L'opinion fait l'amalgame, et c'est notre rôle, aux uns et aux autres, me semble-t-il, dans une matière aussi compliquée, de dire où nous voulons aller.

Le Président de la République l'a dit avec beaucoup de force hier : il ne faut pas cacher les difficultés, qui sont grandes, ni le fait que les risques continuent à exister. Le Premier ministre insiste souvent sur ce point, d'où les décisions qui sont proposées. Il ne faut pas non plus cacher que les autres pays courent également des risques, mais il convient de tracer la piste.

Il faut accepter de s'adapter, et des modifications peuvent survenir. M. Poutine, jusqu'à hier, frappait à 80 % l'opposition modérée, et envoie aujourd'hui ses bombardiers sur Raqqah. C'est très bien ! Cela prouve que la France n'a pas eu tort d'y envoyer ses propres avions, ni de dire qu'elle était prête à se rapprocher de tous ceux qui désirent travailler dans un sens positif.

Merci à tous. (Applaudissements).

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