Madame la présidente, mes chers collègues, j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui une proposition de loi cosignée par de nombreux députés du groupe Les Républicains, et dont M. Serge Grouard et moi-même sommes les premiers signataires.
Je suis heureux que l'Assemblée nationale se saisisse, par le biais de cette proposition de loi, d'un problème très concret qui touche des milliers de familles.
Quel est le constat ?
Année après année, les rapports et les témoignages s'accumulent pour dénoncer l'état de vétusté des logements des gendarmes et des membres de l'armée française. Pourtant, année après année, les moyens consacrés aux réhabilitations de ces logements ne cessent de diminuer.
Les missions des gendarmes et des militaires impliquent une disponibilité totale, qui peut se traduire par l'obligation d'être logé en caserne. C'est la raison pour laquelle les ministères de l'intérieur et de la défense disposent du parc immobilier de l'État le plus important. À elle seule, la gendarmerie nationale gère plus de 75 000 logements. Le parc du ministère de la défense est, quant à lui, constitué d'environ 47 000 logements.
La Cour des comptes, dans un rapport public thématique publié en juillet 2011, a dénoncé la « vétusté » de ces logements. Le rapport de notre collègue Daniel Boisserie sur le projet de loi de finances pour 2016 affirme même que la piètre qualité de certaines emprises confine « parfois à l'insalubrité ».
De nombreux témoignages, recueillis au cours des auditions que nous avons réalisées, étayent ce diagnostic. À Versailles, commune dont je suis maire, une part importante des logements du camp militaire de Satory nécessite d'importants travaux d'entretien, voire une rénovation totale pour la caserne Delpal. En janvier dernier, à l'occasion de la question d'actualité que j'ai posée au ministre de l'intérieur sur ce sujet, j'ai reçu des messages poignants de gendarmes des casernes de Chaumont, de Nanterre, de Bagnols-sur-Cèze et du Plessis-Robinson.
Des balcons sont, par exemple, tombés dans les casernes de Melun et de Maisons-Alfort. À Maisons-Alfort, un drame a été évité de peu : le balcon s'est écrasé à quelques mètres de l'épouse d'un gendarme. Dans cette même caserne, l'eau s'infiltrait régulièrement par les fenêtres et par les toits. Ce n'est qu'à la suite de la chute des balcons qu'une rénovation a finalement été décidée. À Nanterre, des appartements sont inondés par le refoulement des toilettes !
Ces conditions de vie inacceptables ne sont pas sans conséquence sur le moral des gendarmes et de leurs familles. Les gendarmes, qui subissent quotidiennement de fortes pressions dans le cadre de leur travail, ne peuvent pas trouver la sérénité dans leur foyer. Dans la mesure où gendarmes et militaires vivent le plus souvent avec leurs familles, ces logements vétustes sont imposés à des civils exerçant d'autres professions et à des enfants.
Quelles sont les causes de cette situation anormale ?
La dégradation continue des conditions de logement des gendarmes et des militaires résulte d'un sous-investissement chronique de l'État dans l'entretien et le renouvellement de son parc immobilier.
Depuis 2008, les crédits budgétaires consacrés aux investissements immobiliers dans la gendarmerie nationale ont baissé de 72 %. Pour faire face aux besoins de maintenance les plus urgents, le Gouvernement a annoncé un plan de réhabilitation immobilier pluriannuel pour la gendarmerie, sur la période 2015-2020. Une enveloppe de 70 millions d'euros d'autorisations d'engagement par an, jusqu'en 2017, a été promise. Hélas, les crédits de paiement sur la même période diminuent fortement et vont même atteindre un point historiquement bas, à 58 millions d'euros, en 2016. Ce décalage entre les autorisations d'engagement et les crédits de paiement constitue un risque majeur, celui d'un « mur » de crédits à franchir au moment de la mise en paiement des chantiers – phénomène bien connu dans le domaine culturel pour les crédits du patrimoine. Comme le montrent les chiffres fournis par nos collègues sénateurs Alain Gournac et Michel Boutant lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2015, aucun crédit de maintenance courante n'a été accordé aux casernes depuis 2012. Dans ce contexte, on peut douter que les projets promis soient effectivement réalisés dans un délai raisonnable, d'autant que les opérations de partenariat public privé conclues par l'État depuis 2010 prévoient un doublement des charges annuelles de remboursement à partir de 2018.
En réponse à une question écrite de notre collègue Laurent Grandguillaume, publiée en avril 2013, le Gouvernement a indiqué que, selon les standards professionnels, le maintien à niveau de ce parc nécessitait un besoin évalué annuellement à 300 millions d'euros. Ainsi, les 70 millions d'euros annuels du plan de réhabilitation ne suffisent pas à couvrir les besoins de maintenance courante.
La situation dans l'armée est similaire. En effet, 20 millions d'euros par an seulement sont programmés pour la rénovation des logements familiaux. Ces crédits ne permettent qu'une remise à niveau minimale des résidences les plus vétustes, alors que certains grands ensembles de logements mériteraient une rénovation lourde. Malheureusement, un certain nombre de réhabilitations sont reportées, faute de financement. Selon le ministère de la défense, neuf grandes résidences, représentant plus de 800 logements en Île-de-France et 550 en région, auraient besoin d'une rénovation importante, pour un montant total estimé à 77 millions d'euros.
La proposition de loi que je vous présente aujourd'hui permet d'étudier toutes les voies de financement possibles pour la rénovation de ces logements.
Une telle mobilisation relève, d'abord, de la solidarité nationale. Depuis les événements de janvier 2015, et encore plus aujourd'hui, la France tout entière exprime sa reconnaissance aux forces de l'ordre. Celles-ci attendent des gestes concrets, et non de simples paroles.
Une telle mobilisation relève, ensuite, de l'équité. Les gendarmes et les militaires comprennent en effet de moins en moins que des sommes gigantesques soient consacrées à la construction et à la rénovation de logements, alors que toute dépense supplémentaire de cette nature leur est refusée. Les logements des gendarmes et des militaires semblent être la seule catégorie de logements à être exclue de l'écosystème des aides publiques en faveur de la construction, de la réhabilitation et de la rénovation énergétique.
Un nouveau plan d'action incluant l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), dont je salue le président ici présent, est donc nécessaire. Cette agence, spécialisée dans la réhabilitation de grands ensembles de logements, pourrait intervenir de deux façons : d'une part, dans le cadre du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) pour les casernes situées à proximité d'un quartier de la politique de la ville ; d'autre part, en appui d'un plan plus large financé par le programme d'investissements d'avenir de deuxième génération (PIA 2).
L'action de l'ANRU est très positive. Elle peut toutefois être vécue, et à juste titre, comme une injustice par les gendarmes et les militaires dont les logements ne bénéficient pas des mêmes efforts de réhabilitation. Dans certains cas, comme à Melun ou à Rennes, les opérations de rénovation urbaine menées par l'ANRU se déroulent à proximité immédiate des casernes. Alors que celles-ci sont dans le même état de vétusté que les logements sociaux bénéficiant de la rénovation de l'ANRU, aucun crédit ne leur est consacré.
C'est la raison pour laquelle je vous présenterai, dans quelques instants, un amendement qui propose que le nouveau NPNRU comprenne également la réhabilitation de logements affectés aux ministères de la défense et de l'intérieur lorsque ces logements sont situés dans les quartiers du NPNRU ou dans une bande de 500 mètres autour de ces quartiers.
La majorité des casernes ne se situe toutefois pas dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville visés par le NPNRU. Pour celles-ci, une hausse des crédits budgétaires des ministères de l'intérieur et de la défense serait la solution la plus simple et la plus efficace pour assurer leur réhabilitation.
L'analyse de la période récente nous montre que cet espoir est vain. En effet, les crédits des missions « Sécurités » et « Défense » consacrés à l'immobilier ne cessent de baisser. Ils sont régulièrement sacrifiés par les ministères, soumis à des objectifs de réduction de la dépense publique – mais aussi à des contraintes extrêmes depuis les événements dramatiques de ces derniers jours.
C'est la raison pour laquelle cette proposition de loi invite à diversifier les sources de financement tout en changeant de méthode. L'article 1er prévoit la création d'un programme national de réhabilitation des casernes dégradées dont l'ANRU serait l'un des opérateurs. Ce programme viserait en priorité les grands ensembles domaniaux nécessitant des opérations d'envergure. Les financements apportés par l'ANRU seraient complémentaires de ceux des ministères compétents et permettraient d'amplifier et d'accélérer les projets de réhabilitation envisagés par ces derniers.
La désignation de l'ANRU comme opérateur peut surprendre. Elle est toutefois pertinente pour trois raisons.
Tout d'abord, les ensembles immobiliers sur lesquels l'ANRU est intervenue au titre du programme national de rénovation urbaine ont des caractéristiques très similaires à celles des casernes domaniales de la gendarmerie nationale et des armées. La plupart des casernes dégradées ont été construites dans les années 1960 et 1970 et n'ont fait l'objet d'aucune rénovation depuis. L'ANRU pourrait donc apporter son expertise en la matière.
Ensuite, ce ne serait pas la première fois que l'ANRU interviendrait en dehors des quartiers de la politique de la ville. La critique la plus facile à l'encontre de cette proposition de loi est que cette nouvelle mission éloignerait l'ANRU de son coeur de métier, les quartiers prioritaires. Cette affirmation est fausse. Depuis 2003, date de sa création, l'ANRU s'est déjà vu confier de nombreuses missions qui n'ont qu'un lien indirect avec la rénovation des zones urbaines sensibles ou des quartiers prioritaires.
À titre d'exemple, l'ANRU gère trois programmes issus des programmes d'investissement d'avenir de première et deuxième générations (PIA 1 et 2) qui sont éloignés de la rénovation urbaine des quartiers populaires au sens strict. Il s'agit des internats de la réussite, pour lesquels l'ANRU s'est vu confier 490 millions d'euros de subventions de l'État ; du programme « Développement de la culture scientifique et technique », pour 100 millions d'euros ; et du programme « Projets innovants en faveur de la jeunesse », pour 84 millions d'euros.
Dans un rapport public de 2014, la Cour des comptes avait d'ailleurs exprimé sa surprise quant à ces désignations. Un programme de réhabilitation d'immeubles de logements dégradés des ministères de l'intérieur ou de la défense ne serait donc ni la première mission de l'ANRU qui se situerait en dehors du cadre de la politique de la ville, ni celle qui s'éloignerait le plus de son coeur de métier, la rénovation urbaine et la réhabilitation de bâti dégradé.
Ainsi, un programme de rénovation des casernes se rapprocherait du programme de rénovation des collèges dégradés, décidé en 2008, ou du programme national de requalification des quartiers anciens dégradés (PNRQAD), que l'ANRU gère depuis 2009.
Troisième raison pour laquelle l'ANRU est un opérateur pertinent : son accompagnement permettrait de sécuriser des fonds dédiés à la réhabilitation des casernes. Les crédits ministériels consacrés à la rénovation des casernes sont régulièrement sacrifiés en cours d'année pour financer des besoins imprévus – phénomène qui risque de s'accélérer malheureusement en raison des derniers événements. La désignation de l'ANRU comme financeur complémentaire donnerait donc la visibilité nécessaire à des projets pluriannuels, tout en assurant le bouclage d'opérations de grande ampleur. Dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2015, deux nouvelles actions sont proposées : « Innovation numérique pour l'excellence éducative », pour un montant de 168 millions d'euros, et « Fonds de fonds de retournement », pour 75 millions d'euros, grâce à des redéploiements de crédits du PIA. Je propose de la même manière que le financement du programme de réhabilitation des casernes se fasse par une réaffectation d'autres fonds du programme d'investissement d'avenir dont la pertinence, comme l'utilité, dans le moment présent, apparaissent moins prioritaires. L'intervention de l'ANRU pourrait, enfin, déclencher un effet de levier susceptible de mobiliser d'autres sources de financement.
Mes chers collègues, l'adoption de cette proposition de loi permettrait d'envoyer un signal fort de solidarité à nos forces de l'ordre et à leurs familles. Je ne prétends pas qu'elle est la solution miracle. Son adoption serait toutefois la preuve que tous les moyens disponibles sont mobilisés pour répondre à cette situation que nous ne pouvons plus tolérer. Je vous invite donc à l'adopter, modifiée par les deux amendements que je vous présenterai dans quelques instants.