Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, la situation malienne, aussi urgente soit-elle, n'est pas un fait nouveau. Depuis un an maintenant, l'avancée des sécessionnistes de l'Azawad et l'instabilité liée au coup d'État menacent l'intégrité du pays.
J'ai une pensée forte pour le peuple malien, ce peuple ami, otage de la terreur imposée depuis des mois par les fondamentalistes islamistes.
Les ressortissants maliens, nombreux en France, sont inquiets et réclament une intervention internationale pour rétablir la paix et la démocratie. Nous sommes à leurs côtés.
J'ai également une pensée très forte pour nos soldats, engagés sur un terrain périlleux. Je pense à la douleur et à l'angoisse des familles des otages.
Que devait faire la France face à l'offensive des troupes djihadistes lancée jeudi dernier ?
La position des députés du Front de gauche, communistes et républicains est claire : abandonner le peuple malien à la barbarie des fanatiques serait une erreur politique et une faute morale. La non-intervention serait la pire des lâchetés.
Une action militaire internationale était nécessaire pour éviter l'installation d'un État terroriste. Les djihadistes du Nord-Mali et leurs affidés d'Al-Qaïda n'ont qu'un but : imposer à l'échelle de la planète des régimes despotiques, sanguinaires et moyenâgeux.
Leur fondamentalisme constitue une forme nouvelle de fascisme. Ils n'ont qu'une méthode : instrumentaliser l'islam, religion de paix pour l'immense majorité des musulmans, afin de justifier leurs combats contre la démocratie et les droits des femmes. Ils masquent ainsi le caractère mafieux de leurs organisations, basées sur le trafic d'armes et de drogues, comme au Sahel.
Les démocraties ne peuvent baisser les bras. Elles doivent soutenir les efforts des progressistes qui en expriment le souhait, comme aujourd'hui au Mali.
Pour autant, nous émettons des réserves sur l'opération militaire déclenchée, sur sa forme, ses conditions et ses objectifs.
Soyons lucides : cette intervention n'apportera pas à l'État malien la stabilité, pas plus que la démocratie, elle n'en est qu'un préalable. La guerre est toujours la pire des solutions, la plus incertaine. Rien ne nous assure que cette intervention ne se termine pas par un échec, de lourdes pertes humaines et des déflagrations en cascade dans l'ensemble du monde musulman. Ne nous laissons pas bercer d'illusions par un consensus rassurant, et par l'enthousiasme des va-t-en-guerre !
Je parlais de réserves sur la forme.
Notre Parlement n'a pas été consulté au préalable, nous le déplorons. L'urgence existait, certes, mais le scénario d'une offensive vers le sud malien était prévisible. Comment croire que cette colonne armée se soit constituée en seulement quarante-huit heures ?
Nous avons également des interrogations sur nos objectifs.
Monsieur le Premier ministre, il est impératif de clarifier les buts de cette guerre pour éviter un enlisement, comme peut le laisser présager l'engagement de nos troupes au sol. Ces objectifs sont, pour l'heure, confus. Assurer la sécurité de nos ressortissants ? Lutter contre le terrorisme ? Assurer l'intégrité du Mali ?
Le Président de la République a déclaré que l'intervention durerait « le temps nécessaire », avant de concéder qu'elle serait limitée dans le temps.
Quand considérera-t-on que la mission de la France est terminée ?
Gardons à l'esprit les enseignements de la guerre contre le terrorisme, lancée après les attentats terrifiants du 11 septembre. Nos troupes reviennent à peine d'Afghanistan, tirant les leçons de cette impasse. La lutte sans faille des nations libres contre le terrorisme est vitale. Mais si cette lutte devient une guerre armée, où et quand s'arrêtera-t-elle ? Saurons-nous y mettre un terme avant qu'elle ne devienne contre-productive, en nourrissant l'idée funeste du choc des civilisations et en renforçant les ferments d'union de groupes très divers sous la bannière d'Al-Qaïda ? Saurons-nous prendre le dessus sur les troupes djihadistes sans provoquer leur repli au Niger, en Mauritanie, en Algérie, avec une potentielle déstabilisation de ces pays ?
L'acheminement de troupes françaises au sol et de blindés ces derniers jours modifie en profondeur notre engagement. Au risque d'utilisation de boucliers humains sous les frappes aériennes, s'ajoute la crainte de nouveaux déplacements de populations sur un territoire démesuré. Tout doit être mis en oeuvre pour éviter une catastrophe humanitaire et protéger les civils.
Si nous partageons, dans son esprit, l'orientation de notre diplomatie, nous nous interrogeons sur quelques incohérences.
La France a soutenu les printemps arabes, bien que tardivement, et apporté son concours à l'épanouissement des droits et des libertés, notamment pour les femmes. Dans le même temps, notre pays entretient des relations troublantes avec certaines composantes du monde arabe.
Faut-il montrer tant d'indulgence envers les pétromonarchies du Moyen-Orient, au premier rang desquelles le Qatar ? Ce pays, adversaire des droits de l'homme, joue un double jeu infernal, en attisant les divisions du monde islamique. Il n'hésite pas à déstabiliser des régions entières pour appuyer des régimes obscurantistes.
Oui, il faut rétablir la liberté en Syrie. Mais faut-il pour cela livrer des armes aux mouvances fanatiques de ce pays ? L'Occident a trop souvent joué aux apprentis sorciers dans ce domaine.
J'en viens aux réserves sur les conditions de déclenchement de l'opération et à la position de la communauté internationale.
L'option militaire n'avait rien d'inéluctable : elle n'est due qu'aux faiblesses et aux lenteurs de la communauté internationale et du pouvoir malien lui-même. « En aucun cas, la France n'interviendra elle-même au Mali », affirmait en novembre le Président de la République.
Il y a deux semaines encore, la voie diplomatique de la négociation était privilégiée. La résolution 2085 du 22 décembre, selon la lecture même de notre ambassadeur à l'ONU, «n'était pas une déclaration de guerre ». Elle posait de nombreux préalables avant tout recours à la force. D'une part, un effort du pouvoir malien pour répondre à la question touarègue et organiser de nouvelles élections ; d'autre part, une préparation militaire conséquente de l'armée malienne et des partenaires africains.
Malheureusement, aucune de ces conditions n'est réunie. Nous sommes donc en guerre dans la plus mauvaise des configurations, dans l'impréparation, avec les immenses périls que cela comporte.
La résolution onusienne autorisait le déploiement d'une «mission internationale sous conduite africaine ». Or l'opération Serval s'avère être d'abord une opération franco-française. Cette intervention doit retrouver au plus vite le cadre onusien. Les troupes des pays africains doivent prendre le relais.
Notre pays a pris ses responsabilités, mais le cavalier seul de la France est préoccupant. En effet, il nous isole sur la scène diplomatique, nous expose en termes de sécurité et nuit à la crédibilité même de l'intervention.
La communauté internationale, nos alliés, font assaut de déclarations pour saluer notre engagement, sans traduire leur solidarité en actes. Le soutien unanime masque une indifférence générale. C'est attristant et même consternant.
Où est l'Union européenne, monsieur le Premier ministre ? Son inertie illustre l'impasse actuelle de sa construction.
Notre intervention militaire dans une ancienne colonie française recueille le soutien de l'opinion africaine et de ses représentants. L'Algérie a ainsi ouvert son espace aérien et fermé ses frontières. Cette coopération relative n'était pas courue d'avance ; elle est à mettre au crédit du dégel de nos relations et de l'action qu'a menée récemment le Président de la République en Algérie.
Elle suscite néanmoins un certain malaise, probablement en raison du deuil inachevé de la Françafrique. Comment ne pas percevoir le poids de la colonisation dans le conflit actuel et l'héritage de frontières tracées artificiellement ? Au Mali comme sur l'ensemble du continent, les impérialismes ont déchiré des régions, aggloméré des peuples rivaux, afin de préserver leur influence sur leurs richesses.
Ce temps doit être véritablement révolu, en Centrafrique, au Gabon, au Niger, au Burkina Faso. Des engagements ont été pris, nous attendons des gestes forts au plus vite. L'Afrique est la chance de notre planète. Je dirais même qu'elle est son avenir. L'objectif de la communauté internationale doit être de parvenir rapidement à la paix. La solution au chaos et à la déstabilisation du continent africain n'est pas militaire mais politique, sociale et économique.
Les pays du Nord doivent enfin promouvoir un développement partagé de la planète. Les matières premières de l'Afrique doivent bénéficier avant tout à ses peuples et non être pillées ! Ses richesses humaines et intellectuelles doivent elles aussi être en mesure de rester dans leur pays et participer au progrès de ces sociétés et non être contraintes à l'exil dans les pays dits « riches ».
Il a beaucoup été question de 1'« homme africain ». Cet homme africain, ainsi que la femme africaine, sont pleinement dans l'Histoire de notre temps. Ils sont les acteurs du monde de demain. Respectons-les, marchons à leurs côtés ! Nos amis africains attendent de la France cette relation d'égal à égal, soucieuse de leur devenir et de leur dignité, sans ingérence ni domination ! (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)
Le 23/01/2013 à 08:54, chb17 a dit :
http://16.pcf.fr/21398 "Mali : Il faut mettre un terme à la Françafrique". Le soutien de l'opposition de gauche à l'intervention Serval ne va pas dans ce sens.
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