Intervention de Valérie Boyer

Réunion du 25 novembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Boyer, rapporteure :

J'ai déposé la présente proposition de loi sur le bureau de l'Assemblée nationale, avec plusieurs de mes collègues, il y a maintenant plus d'un an, en octobre 2014.

Contrairement à ce que certains pourraient prétendre à tort, il ne s'agit en rien d'une « loi mémorielle » : elle n'est pas une simple loi déclarative, comme le sont généralement les lois mémorielles, et ne fait référence à aucun événement historique en particulier. D'ailleurs, nous nous gardons bien dans ce texte de porter un quelconque regard sur tel ou tel événement historique.

Cette proposition de loi revêt une incontestable portée normative : elle vise à réprimer la négation des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité, afin de mettre fin au déni de justice dont souffrent actuellement les victimes de ces crimes et leurs familles, en particulier leurs descendants. Il ne s'agit nullement de mettre en concurrence les victimes de ces crimes, mais de leur offrir à toutes une protection universelle et intemporelle contre le négationnisme.

Actuellement, en l'absence d'incrimination générale du délit de négationnisme dans notre législation – hors les cas prévus par la « loi Gayssot » du 13 juillet 1990, dont le champ est circonscrit aux seuls crimes contre l'humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale –, les auteurs de propos négationnistes ne peuvent être poursuivis que pour diffamation ou injure raciale, provocation à la haine raciale ou apologie de crimes contre l'humanité. En d'autres termes, si les propos négationnistes tenus échappent à l'une de ces infractions et ne s'inscrivent pas non plus dans le champ d'application de la loi Gayssot précitée, les auteurs de ces propos ne peuvent aujourd'hui faire l'objet d'aucune poursuite pénale, au mépris du respect dû à la mémoire des victimes des crimes de génocide et des crimes contre l'humanité.

Cette proposition de loi est le fruit d'un long parcours législatif, qui a été entamé il y a plus de dix ans et reste semé d'embûches. Comme vous le savez tous, le projet de loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi, adopté définitivement le 23 janvier 2012 par le Parlement, n'a pu entrer en vigueur en raison de sa censure par le Conseil constitutionnel dans une décision du 28 février 2012.

Je n'ignore rien de ces difficultés juridiques et – peut-être plus que tout autre ici – je suis particulièrement attachée à la liberté d'expression et aux libertés, constitutionnellement garanties, de la recherche et de l'enseignement supérieur, dont bénéficient et doivent continuer à bénéficier les historiens et, plus largement, les universitaires et les enseignants-chercheurs. Selon Serge Klarsfeld, depuis l'adoption de la loi Gayssot, rien n'a empêché les historiens de travailler ni de publier sur ces sujets.

C'est au nom de l'exigence de protection de ces libertés fondamentales et sacrées que je vous proposerai, au cours de la discussion des articles, de récrire le dispositif proposé, en vue d'en garantir la pleine et entière sécurité juridique. En effet, j'ai mené ces dernières semaines de nombreuses auditions, afin de recueillir l'avis de plusieurs éminents juristes et historiens de notre pays. Lors de ces travaux préparatoires, j'ai acquis la conviction que, en améliorant le présent texte, nous pouvons franchir tous ensemble, dès à présent, une nouvelle étape dans le respect des exigences constitutionnelles et conventionnelles. Plutôt que de vous présenter le texte initial de la proposition de loi, je détaillerai donc la portée de l'amendement à l'article 1er que j'envisage de soumettre à votre examen. Cette réécriture ne vise qu'un seul et même objectif : assurer la conformité du délit de négationnisme à la Constitution et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH).

Au regard de l'exigence de conformité à la Constitution et dans le respect de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 février 2012, je vous proposerai ainsi deux modifications par rapport au texte initial. La première consistera à introduire des éléments d'extériorité, afin que la reconnaissance d'un crime de génocide ou d'un crime contre l'humanité dépende non pas du seul législateur – comme c'était le cas en 2012, ce qui nous a d'ailleurs été reproché –, mais soit d'un traité ou d'un accord international auquel la France est partie, soit d'une décision de justice rendue par une juridiction nationale ou par une juridiction internationale établie par un traité ou un accord international régulièrement ratifié ou approuvé par la France.

La seconde de ces modifications reviendra à prévoir de nouveaux garde-fous destinés à garantir la liberté d'expression : l'incrimination sera définie plus précisément, les éléments les plus difficiles à qualifier pénalement, tels que la « banalisation » ou la « minimisation grossière », étant supprimés au profit d'éléments plus aisés à caractériser juridiquement, à savoir la « négation par principe », la « contestation systématique » ou la « tentative de justification » des crimes de génocide ou des crimes contre l'humanité.

Compte tenu de la jurisprudence de la CEDH, notamment de l'arrêt Perinçek contre Suisse du 15 octobre 2015, mon amendement tend à mieux protéger la liberté d'expression, en subordonnant la peine encourue pour négationnisme à une liste de conditions cumulatives strictement énumérées. Premièrement, les faits incriminés devront constituer une incitation directe ou indirecte à la violence ou à la haine à l'égard des victimes, de leurs ascendants ou de leurs descendants, ou bien porter atteinte à la dignité de ces mêmes personnes. Deuxièmement, ils devront être commis au moyen de preuves ou de témoignages ayant été délibérément omis, altérés ou détruits.

Enfin, dans un souci constant de respecter le principe d'égalité devant la loi pénale, j'apporterai, par mon amendement, deux innovations indispensables.

En premier lieu, la loi visera non pas les seuls crimes de génocide ou crimes contre l'humanité commis au XXe siècle, mais bien l'ensemble de ces crimes, à la condition qu'ils aient été reconnus par un instrument juridique international ou bien par une juridiction nationale ou internationale.

En second lieu, si nous inscrivions le nouveau délit de négationnisme dans le code pénal, ainsi que le prévoit le texte initial, nous créerions un régime procédural plus favorable que pour les faits relevant d'une loi spéciale, tels que, paradoxalement, la négation du génocide juif, qui figure dans la loi sur la liberté de la presse. En effet, les infractions de presse sont soumises à des dispositions plus contraignantes : prescription d'un an au lieu de trois, interdiction d'utiliser la comparution immédiate et la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, limitation des saisies et perquisitions. Dans un souci d'égalité, je vous proposerai d'inscrire le nouveau délit de négationnisme dans la loi sur la liberté de la presse, afin qu'il obéisse au même régime procédural que la négation des crimes contre l'humanité définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire international de Nuremberg.

Compte tenu de ces différents éléments, vous pouvez constater, mes chers collègues, qu'il s'agit non pas d'un texte de circonstance, mais, bien au contraire, d'un texte qui se veut universel et intemporel, en offrant à toutes les victimes de ces crimes une même protection contre le négationnisme.

Dans notre société, la perte de repères aboutit parfois à des dérives absolument dramatiques. Dans la période particulièrement troublée et difficile que nous vivons, le respect de la dignité humaine doit être au coeur de nos préoccupations. J'espère que nous parviendrons à trouver ensemble un chemin afin de la préserver.

C'est pourquoi je vous invite humblement, mes chers collègues, à adopter cette proposition de loi, que le groupe Les Républicains a choisi d'inscrire – dans une approche consensuelle et au-delà de tout clivage partisan ou politique – à l'ordre du jour du jeudi 3 décembre 2015, journée qui lui est réservée en application de l'article 48 de la Constitution.

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