Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 25 novembre 2015 à 9h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Concernant l'âge des équipements, nos ravitailleurs ont plus de cinquante ans, nos véhicules de l'avant blindés (VAB) trente ans en moyenne et certains de nos bateaux vingt-cinq à trente ans. Il est temps de les renouveler : c'est tout l'enjeu de la LPM et de son actualisation. Je souhaiterais bien sûr que cela aille plus vite, surtout compte tenu de la dureté de nos engagements. Mais les dernières décisions budgétaires que vous avez votées constituent un effort important : budgétisation de l'ensemble des ressources exceptionnelles ; non-déflation de 18 750 effectifs (à laquelle s'ajoute la récente décision du président de la République). Ce qui m'importe, plutôt qu'un débat stérile sur la demande de moyens supplémentaires, est d'avoir les moyens permettant d'accomplir les missions qui me sont confiées. La débrouillardise à la française a en effet atteint ses limites. Si on me donne une mission supplémentaire, je demande les moyens correspondants ou bien j'en annule une autre.

S'agissant des cibles en Syrie, nous avons bien nos propres moyens de renseignement, satellites et vols de reconnaissance ISR – Intelligence Surveillance and Reconnaissance. C'était en effet l'objectif de la décision du président de la République en septembre d'effectuer ces vols au-dessus de ce pays pour pouvoir préparer de manière autonome des dossiers d'objectifs, ce que nous avons fait au bon moment. Nous avons par ailleurs pu travailler de manière accélérée avec les Américains depuis le 13 novembre. Cette capacité autonome est fondamentale.

Quant à Sentinelle, elle donne lieu à une rupture stratégique. On peut discuter de l'emploi des armées sur le territoire national, mais non de ce qui constitue un postulat : les Français veulent être protégés, là où ils se trouvent, et il est de la mission des militaires d'y contribuer.

Par ailleurs, raisonner avec un dispositif ancien dans une situation nouvelle est une erreur. Sentinelle ne doit pas être conçue par rapport à Vigipirate, constitué en fonction d'un certain type de terrorisme. Nous avons ce débat interministériel depuis janvier ; le Président de la République a décidé le 29 avril de pérenniser les 7 000 personnels de Sentinelle sur le territoire national et demandé une réflexion doctrinale interministérielle pour passer de « Vigipirate-Sentinelle » à quelque chose d'autre, en complément du dispositif des forces de sécurité intérieure. La nécessité de ce débat est d'autant plus vive après les récents attentats et le passage à 10 000 hommes à nouveau déployés sur le territoire national. Je tiens une nouvelle fois à souligner la qualité du dialogue entre les préfets et les officiers généraux de zone de défense, notamment sur les effets recherchés – à partir desquels nous, experts militaires, déterminons les modes d'action et les moyens, en liaison avec les forces de police et de gendarmerie. Nous avons une expérience récente à grande échelle en la matière, grâce notamment au réseau Acropol. La synergie existe : il nous faut donc arbitrer une doctrine, sans oublier le volet juridique, puisque nous ne sommes pas dans le droit de la guerre, mais dans le cadre de la légitime défense sur le sol national. Je crois que nous sommes sur la bonne voie.

Ce que nous pouvons apporter, c'est de la mobilité, du contrôle et de la surveillance de zones, du renseignement par nos patrouilles habituées à observer des phénomènes anormaux, retransmis immédiatement par Acropol aux forces de sécurité intérieure. Nous pouvons apporter en outre nos moyens d'opérations nocturnes, nos équipements et, surtout, le fait que nous soyons régulièrement confrontés à des modes d'action de guerre, dont je crains qu'ils ne se renouvellent. La singularité de notre situation est que ceux qui nous attaquent sur notre propre sol sont ceux qui le font aussi à l'extérieur.

L'opération Barkhane est un succès car nous avons inversé l'effet de surprise. Avant, nous étions surpris en permanence depuis des années au Nord Mali par de petits groupes terroristes, très mobiles, qui nous attaquaient toujours là où on n'avait pas prévu. Mais, selon l'expression utilisée en rugby, « les mouches ont changé d'âne ». Pour gagner la guerre, il faut reprendre l'initiative tactique. Cela est aussi valable pour Sentinelle.

S'agissant de l'Irak, les choses ont bougé ces dernières semaines de façon très claire : Daech n'est pas vaincu, mais commence à reculer. Baïji, qui est le verrou vers Mossoul, a été repris, et Ramadi est en passe de l'être. Les Kurdes viennent de reprendre Sinjar et l'axe de ravitaillement fondamental pour Daech entre la « capitale » politique, Mossoul, et la capitale logistique et militaire, Raqqa, a été coupé. Notre stratégie est de bombarder Daech là où il se trouve, avec des objectifs ciblés ou des bombardements tactiques en appui de la progression au sol des forces locales irakiennes, réunissant si possible sunnites et chiites, et les forces kurdes, les Peshmergas.

Concernant la Syrie, la situation s'est également améliorée. Daech est sous pression. L'arrivée des Russes, il y a quelques semaines, a accru la capacité de bombardement. Je rappelle qu'en dehors de la Russie, il n'y a en ce moment que trois pays qui bombardent en Syrie : les États-Unis, la France et la Turquie. Daech n'a plus d'initiative tactique : dès que ses combattants sortent du bois, ils sont immédiatement frappés. Cela explique d'ailleurs peut-être la rafale d'attentats de cette organisation dans le monde entier, avec ses frappes hier encore en Égypte et en Tunisie. Quand Daech va commencer à reculer, il y a un risque de reflux de ses combattants et d'être frappés par ceux-ci dans les régions où ils sont. Nous sommes entrés depuis quelques jours dans la deuxième phase de la stratégie de la coalition, qui est celle du démantèlement.

Au sujet de l'Europe, j'espère que l'appel de la France relatif à l'article 42-7 du Traité sur l'Union européenne sera entendu de deux manières : d'une part, au travers d'une prise de conscience de la gravité de la situation au plan stratégique et de l'accroissement des budgets de défense des pays européens ou, en tout cas, de l'arrêt de leur décroissance ; d'autre part, grâce à l'aide des pays européens, que ce soit sous forme de chasseurs supplémentaires, d'une assistance au profit de l'armée irakienne ou de l'opposition syrienne libre en formations ou en moyens, de flottes stratégiques ou tactiques, d'ISR, de drones, d'avions, de meilleur échange du renseignement au plan européen ou encore de financement. J'espère aussi l'exonération, dans le calcul des déficits publics, des dépenses d'investissement de défense, considérant qu'au travers de la défense de l'avant, nous contribuons grandement à la sécurité de l'Europe. J'ai cru comprendre que les lignes commençaient à bouger sur ce point, ce dont je me réjouis. Car j'ai sincèrement le sentiment que les armées françaises portent une partie de la sécurité de l'Europe.

S'agissant des réserves, vous savez combien j'y suis attaché. Nous n'avons pas fait la réforme structurelle nécessaire lorsque nous avons professionnalisé nos armées en 1996. L'objectif du projet Réserves 2019 est de porter le nombre de réservistes opérationnels de 30 000 à 40 000, d'accroître leur réactivité – en réduisant le délai entre le moment où ils sont convoqués et celui auquel ils arrivent – ainsi que notre organisation et leur emploi dans des missions attractives, sans oublier la territorialisation et la connaissance du territoire : remailler la France dans ses points sensibles, en particulier grâce à l'apport de ces personnels. Ce projet doit être conçu en complément des forces d'active. Par ailleurs, cela ne supprime pas les réservistes citoyens. Le projet est inscrit dans la LPM actualisée : il faut le mettre en oeuvre avec ce volet un peu particulier de la défense du territoire.

Pour ce qui est de l'engagement au sol en Syrie, on ne gagnera la guerre que par une action au sol appuyée par des bombardements aériens. Mais envoyer des soldats français ou occidentaux serait une fausse bonne idée. Ce travail doit être mené par les forces locales ou régionales, ne serait-ce qu'en raison de la complexité du pays. Pour l'illustrer : on compte 1 500 katibats, avec des alliances, des ruptures et des recompositions continuelles.

Enfin, mon compte Twitter, qui a été ouvert par un très heureux hasard le premier jour des frappes du porte-avions, est justifié par l'idée que la bataille des perceptions est fondamentale, ce que Daech a, pour sa part, parfaitement compris. Cette bataille est très importante à l'égard des jeunes. J'ai d'ailleurs dit l'autre jour, à la réunion des chefs d'état-major à Madrid, que la coalition pourrait communiquer encore plus pour ne pas perdre le combat du « contre narratif ».

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