Je ne reviendrai pas sur les questions relatives à l'organisation, dont je ne suis pas spécialiste.
En revanche, je veux réagir à l'affirmation selon laquelle il faudrait choisir entre protéger l'environnement et créer des emplois. Cette façon de penser à court terme est complètement dépassée : aujourd'hui, il est évident que les deux préoccupations vont de pair. Deux ans avant sa mort, Claude Lévi-Strauss disait son étonnement de voir que les humains, qui ne cessent de croître en nombre, diminuent continuellement par leur activité ces biens essentiels que sont l'air non pollué, l'eau pure et l'espace libre. De ce point de vue, les mentalités doivent vraiment évoluer. Que devons-nous proposer à nos concitoyens aujourd'hui, si ce n'est un monde où il fera bien meilleur vivre ?
Il est évidemment impensable de mettre en place une structure dédiée à la biodiversité sans y associer le monde agricole dans toutes ses composantes – l'agroécologie, par exemple, est très intéressante – ainsi que le secteur de la pêche – actuellement confronté à plusieurs problématiques, notamment celles de la pêche profonde, et de l'application de lois européennes aux sociétés de pêche artisanale, qui leur pose des difficultés. Les chasseurs ont évidemment leur mot à dire en matière de biodiversité, mais je rappelle que si l'agriculture est vitale, la chasse est un loisir. Notre rôle va consister à trouver le moyen de mettre toutes les personnes concernées autour d'une table, afin d'améliorer le système au bénéfice de tous.
Je ne suis pas contre le principe d'une fiscalité pour l'écologie, mais il ne me paraît pas souhaitable de créer de nouvelles taxes avant d'en avoir supprimé d'autres. Cela dit, il faut savoir relativiser : les 200 millions d'euros que nous estimons nécessaires pour faire fonctionner l'Agence française pour la biodiversité correspondent environ au coût de construction de trois échangeurs routiers.
Pour que les citoyens ne se sentent pas exclus de l'AFB face aux experts, il faut organiser des séances participatives, et c'est ce que nous faisons. Lorsque j'étais président du Muséum national d'histoire naturelle, je n'interdisais pas aux quelque mille scientifiques qui en font partie de jouer ponctuellement un rôle d'expert, dans le cadre d'un événement précis, avant de revenir faire de la recherche dans leur laboratoire. Le Muséum propose depuis longtemps aux citoyens de contribuer aux sciences participatives : en plus de ses 2 000 personnels, il fait appel à 20 000 participatifs qui travaillent tous les jours à leurs côtés. Parallèlement à cela, nous organisons également des événements dans le cadre de la bioinspiration.
Je viens de participer à deux réunions extrêmement intéressantes. J'ai d'abord rencontré les élus regroupés au sein de l'Association nationale des élus du littoral (ANEL). Nous avons vécu des moments exceptionnels et très fructueux au cours de cette réunion qui a été l'occasion pour les maires – il y a environ mille communes littorales en France – de faire part de leurs préoccupations face au dérèglement climatique, par exemple la montée du niveau de la mer.
L'entreprise est elle aussi fondamentale, et pour ma part, je travaille beaucoup avec les entrepreneurs. J'ai rencontré la semaine dernière les 150 meilleurs chefs d'entreprise français dans le cadre d'un séminaire de quatre jours, afin de réfléchir aux conséquences du changement climatique sur le monde de l'entreprise. Les chefs d'entreprise ont compris que, si la société ne se tourne pas globalement vers un modèle de développement durable, leurs entreprises en pâtiront.
Il va rester des conseils scientifiques de parc, au Mercantour et aux Calanques comme ailleurs, et je m'en félicite. Tout le problème va consister à faire en sorte qu'ils communiquent entre eux, mais aussi avec les autres conseils scientifiques, de l'ONEMA ou de l'ATEN par exemple. En tout état de cause, il paraît évident que chaque conseil scientifique doit garder des attributions qui lui sont propres, et dépendent notamment de son implantation locale. En fait, il faut faire du « glocal », c'est-à-dire prendre en compte des problématiques se posant au niveau local – c'est pratiquement toujours le cas en matière de biodiversité – mais subissant l'influence de facteurs globaux. Au sein de la réserve naturelle nationale de la forêt de la Massane, dans les Pyrénées-Orientales, dont je suis président, on a répertorié 7 000 espèces vivantes sur 336 hectares – ce qui est unique en Europe. Cette forêt que les hommes protègent soigneusement depuis 150 ans semble aujourd'hui condamnée en raison du changement climatique et des 15 000 poids lourds qui franchissent chaque jour le col du Perthus, déversant ainsi d'énormes quantités d'ozone sur la forêt. Comme vous le voyez, travailler localement ne suffit pas, car un lieu est également touché par des phénomènes globaux.
J'espère que l'Agence française pour la biodiversité sera capable de prendre en compte ce double aspect, à la fois local et global, mais j'ai conscience de la difficulté et de l'immensité de la tâche qui est la nôtre. Je rappelle que nous ne sommes pas les inventeurs de l'agence, et que nous n'y tenons qu'un rôle parmi d'autres, tant il est évident que la défense et la promotion de la biodiversité relèvent de la responsabilité de chacun – notamment de la vôtre, politiques. À mes yeux, la chose la plus importante à faire comprendre est qu'au sein d'une démocratie, l'intérêt de la communauté doit primer par rapport aux intérêts particuliers, et c'est ce principe qui doit guider l'action de notre agence.