Intervention de Eva Sas

Réunion du 29 octobre 2015 à 22h15
Commission élargie : finances

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEva Sas, rapporteure spéciale, pour la mission « Remboursements et dégrèvements » :

Cette année encore, les crédits de la mission « Remboursements et dégrèvements » sont l'un des principaux angles morts de notre budget. Leur montant total dépasse les 100 milliards d'euros, ce qui en fait la mission la plus volumineuse du budget de l'État et dénote une tendance de fond à financer les politiques publiques par des dépenses fiscales plutôt que des crédits budgétaires classiques.

Mes réserves concernant le périmètre de la mission sont les mêmes que l'année dernière.

En premier lieu, des montants considérables retracés dans cette mission devraient être traités en atténuation de recettes directement en première partie de la loi de finances. Je pense en particulier aux 49 milliards d'euros liés aux restitutions de TVA. À l'inverse, il est difficile de chiffrer concrètement le montant des restitutions correspondant à certains crédits d'impôt comme le CICE. L'analyse du Parlement s'en trouve donc brouillée et compliquée.

Les remboursements d'impôts locaux, pour leur part, sont également traités en atténuation de recettes en première partie, alors qu'ils constituent une politique à part entière de l'État et que les crédits ne devraient pas être « évaluatifs » au sens de la LOLF – nos débats récents concernant le revenu fiscal de référence l'ont encore démontré. Les crédits correspondant doivent, à mon sens, être rapprochés de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », afin que l'ensemble des relations financières entre l'État et les collectivités locales puisse être traité de manière cohérente. Actuellement, il y a, d'un côté, les dégrèvements d'impôts locaux, « sanctuarisés », voire oubliés, et, de l'autre, les compensations d'exonérations d'impôts locaux, rabotées chaque année à proportion de l'augmentation de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

À l'heure où nous envisageons de réformer ladite dotation, est-il cohérent de laisser de côté la question des dégrèvements d'impôts locaux ? L'imputation de ces derniers sur la présente mission, et non sur celle relative aux collectivités locales, semble en effet faire obstacle à une réflexion d'ensemble.

J'en viens au sujet important de la mission cette année : les contentieux européens. Ceux-ci ont déjà pesé lourdement sur nos finances publiques entre 2007 et 2014 : 870 millions d'euros, dont 220 millions d'intérêts moratoires, pour le contentieux précompte, et 1,150 milliard d'euros, dont 200 millions d'euros d'intérêts moratoires, pour le contentieux OPCVM.

En raison de la montée en charge du contentieux OPCVM et de l'apparition de deux nouveaux contentieux, de Ruyter et Steria, ce coût s'alourdira encore au cours des deux prochaines années : il devrait atteindre 1,8 milliard d'euros en 2015 et 2,4 milliards en 2016. Le contentieux de Ruyter devrait nous coûter 500 millions d'euros, dont la moitié sera prise en charge par l'État. L'enjeu du contentieux Steria pourrait être, au total, de 1 milliard d'euros, mais le chiffre est encore à prendre avec précaution. La contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés pourrait, en outre, être l'objet d'un nouveau contentieux, dont l'enjeu total serait de 340 millions d'euros. Nous continuons donc d'adopter des dispositions fiscales contraires au droit européen : le contentieux de Ruyter vise l'assujettissement aux prélèvements sociaux des revenus immobiliers des non-résidents, qui avait été instauré par la loi de finances rectificative (LFR) d'août 2012, de même que la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés, que je viens d'évoquer.

Quels risques ces nouveaux contentieux et l'éventuelle reprise du précompte immobilier font-ils peser sur les finances publiques à compter de l'année 2017 ? Les décisions très favorables à l'État français prises au niveau national, exigeant du demandeur de démontrer que le dividende a déjà fait l'objet d'une taxation similaire à l'étranger, pourraient effectivement être remises en cause au niveau européen. Ne risque-t-on pas une nouvelle condamnation qui ne ferait que reporter dans le temps nos obligations de rembourser ?

Par ailleurs, l'article 104 de la loi de finances pour 2014 prévoit que la commission des finances doit être informée tous les semestres sur les risques de contentieux européens et leur incidence éventuelle, chiffrée, sur nos finances publiques. Or il ne me semble pas que nous ayons reçu un quelconque document à ce sujet. La loi est-elle bien respectée, monsieur le ministre ?

Il est nécessaire de veiller plus rigoureusement à la conformité aux traités européens des mesures fiscales prises en loi de finances. Deux dispositions de la loi de finances rectificative d'août 2012 se révèlent contraires aux traités européens ! Comment expliquer que nous adoptions encore des mesures sujettes à contentieux ? À terme, la solution ne serait-elle pas une harmonisation fiscale européenne, seule à même de garantir le respect de la liberté de circulation des capitaux et la liberté d'établissement des personnes à l'intérieur de l'Union ? C'est, en effet, au nom de ces libertés que la Cour de justice européenne nous condamne.

J'en viens aux remboursements de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE). Chaque fois que le tarif de la TICPE de droit commun augmente, l'écart avec le tarif fixe applicable aux transporteurs routiers, aux taxis et aux agriculteurs s'accroît d'autant. Ne vous semblerait-il pas opportun que les tarifs particuliers applicables à ces catégories suivent automatiquement le tarif de droit commun ? Il suffirait que la loi prévoie, non pas un tarif fixe pour ces catégories, mais un écart fixe avec le tarif de droit commun.

Cela étant, sous réserve d'une évolution des remboursements de TICPE pour permettre l'application de la contribution climat-énergie à toutes les catégories de professionnels comme aux ménages, je vous propose, chers collègues, d'adopter les crédits de la mission.

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