Intervention de Michel Sapin

Réunion du 29 octobre 2015 à 22h15
Commission élargie : finances

Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics :

Votre commission examine aujourd'hui un ensemble extrêmement vaste constitué de crédits du budget général et de plusieurs comptes spéciaux, aux problématiques extrêmement variées et aux enjeux financiers considérables, étroitement liés à la trajectoire de redressement des finances publiques. Je m'arrêterai sur quatre sujets : la charge de la dette ; les emprunts toxiques ; les participations financières de l'État ; les remboursements et dégrèvements d'impôts. Cela devrait me permettre d'aborder tous les sujets évoqués par Mme et MM. les rapporteurs spéciaux.

La charge budgétaire de la dette reste contenue, malgré l'augmentation de l'encours de dette. En 2012, la charge de la dette atteignait 46,3 milliards d'euros, puis elle a diminué à 44,9 milliards en 2013 et à 43,2 milliards en 2014. En 2015, la baisse se poursuit et la charge de la dette devrait s'établir à 42,4 milliards, soit 2 milliards de moins que la prévision inscrite en loi de finances initiale. Pour 2016, avec une prévision de 44,5 milliards d'euros, elle resterait inférieure de près de 2 milliards d'euros au niveau atteint en 2012.

Nous engrangeons donc aujourd'hui des niveaux de taux très faibles, qui nous aideront durablement à contenir la charge d'intérêt pour les années à venir. Je rappelle que la maturité moyenne des titres émis par l'État est de sept ans. C'est donc en moyenne pendant sept ans que ces taux bas viendront minorer la charge de la dette assumée par le budget de l'État. Je rappelle aussi que si nos besoins d'émission de dettes sont élevés en ce moment, c'est parce que nous devons refinancer les tombées de dette émise sous le quinquennat précédent.

Les faibles taux dont nous bénéficions – le taux à dix ans s'établit à 0,84 % – résultent à la fois du crédit dont l'État jouit auprès de ses créanciers et de la politique menée par la Banque centrale européenne. Le crédit de la France auprès des investisseurs est bon, comme le montre l'écart de taux avec l'Allemagne, extrêmement faible et parfaitement stable. En d'autres temps, avant 2012, cet écart était de plus d'un point – cent points de base en jargon. Il n'est plus aujourd'hui que d'un quart de point, ou vingt-cinq points de base, ce qui montre la crédibilité de notre politique économique. C'est aussi le résultat d'une confiance retrouvée dans la solidité de la zone euro, à laquelle nous avons très largement contribué, et du travail de l'Agence France Trésor, qui explique efficacement tout cela aux investisseurs intéressés.

Enfin, je souhaite y insister, notre prévision pour 2016 est extrêmement prudente. Nous partons de l'hypothèse d'une hausse marquée des taux à dix ans, qui les feraient passer d'environ 0,8 % aujourd'hui à 1,4 % à la fin de l'année, soit un quasi-doublement assez improbable, puis à 2,4 % à la fin de l'année 2016. Nous avons donc budgété le risque d'une hausse des taux et sommes prêts à en supporter les conséquences financières s'il devait se réaliser. Observant à la fois un principe de prudence constant et les anticipations des investisseurs, nous anticipons une remontée des taux d'intérêt pour éviter toute mauvaise surprise en cours de gestion. Cette prudence se traduit dans l'ensemble de nos prévisions.

En matière de dette publique, nos hypothèses pour l'an prochain s'établissent, pour la croissance du PIB, à 1,5 %, pour le déficit, à 3,3 % du PIB, et, pour le désendettement, à 2 milliards d'euros de produits de cession d'actifs. Sous ces hypothèses parfaitement réalistes, la dette publique, qui comprend la dette de l'État mais également celle des administrations de la sécurité sociale et des collectivités locales, devrait atteindre 96,5 % du PIB en 2016 et demeurer proche de ce niveau en 2017. Nous sommes donc bel et bien en passe de réussir à stabiliser la dette publique après huit ans de hausse continue. De même, pour la première fois, la dette de la sécurité sociale baissera en valeur en 2015, certes modestement, mais cette baisse s'amplifiera en 2016.

Comme M. Lurel l'a lui-même souligné, une réforme de la CSPE interviendra dans le cadre du projet de loi de finances rectificative qui sera présenté dans une quinzaine de jours. D'une part, le prélèvement sera sécurisé sur le plan juridique par une transformation en taxe intérieure sur la consommation d'électricité. D'autre part, le circuit de financement sera réformé pour être intégré au budget de l'État et ainsi permettre un meilleur contrôle par le Parlement et également par le Gouvernement. L'impact sur nos finances publiques sera inchangé, puisque la CSPE est déjà intégrée aux prélèvements obligatoires et aux dépenses publiques. Enfin, le dispositif de péréquation en faveur des zones non interconnectées, notamment outre-mer, est évidemment préservé, comme l'ensemble des dispositifs financés par la CSPE, tels que le soutien à la production d'énergie renouvelable et les tarifs sociaux.

Vous m'avez également demandé quel était le montant de la dette de la CSPE. Auprès d'EDF, il est d'environ 6 milliards d'euros à la fin de l'année 2015. Un premier remboursement de quelques centaines millions d'euros devra être constaté en 2015.

Les avis sont très partagés sur le soutien qu'il convient ou non d'apporter aux collectivités ayant contracté des emprunts toxiques. Certains élus, dont des députés, et non des moindres, considèrent que les collectivités se sont montrées irresponsables et ne doivent pas être aidées ; d'autres estiment qu'elles ont été trompées par les banques ; d'autres encore considèrent que l'État aurait failli à son rôle de régulation. Le Gouvernement, pour sa part, a toujours considéré que la responsabilité était partagée entre les banques, l'État, les collectivités territoriales, position d'ailleurs conforme aux conclusions de la commission d'enquête de votre assemblée sur ce sujet. En outre, personne ne peut nier qu'il faille résoudre le problème auquel nous faisons désormais face. Le risque pour les finances publiques est trop élevé, ne laissons pas la situation s'envenimer sans agir.

Le Gouvernement a fait preuve de réactivité face à la très forte appréciation du franc suisse en début d'année, qui a renchéri le coût de tous les emprunts indexés sur cette devise. Alors que la doctrine d'emploi du fonds de soutien était prête, il a fallu à la fois en doubler le montant – il sera porté à 3 milliards d'euros par le projet de loi de finances rectificative de fin d'année – et réécrire intégralement les modalités d'emploi de ses ressources. La taxe de risque systémique des banques, finançant la moitié du fonds, sera donc également doublée par l'article 9 du projet de loi de finances pour 2016. Après le vote du PLF 2016 et compte tenu des reports de crédits des années antérieures, le fonds disposera d'un montant total de 278 millions d'euros de crédits de paiement, disponible pour les décaissements des années 2015 et 2016, ce qui est largement suffisant.

En effet, une fois les notifications faites, une collectivité a trois mois pour accepter l'aide, puis le fonds dispose d'un à deux mois pour verser le montant attribué. Nous prévoyons donc des versements d'une cinquantaine de millions d'euros en 2015, puis, en 2016, une année pleine de versements, dont le montant sera proche de 200 millions d'euros dans l'éventualité où toutes les collectivités accepteraient les offres du fonds. Plus de 700 collectivités et établissements ont déposé un dossier auprès du service de compétence nationale qui assure la gestion du fonds, ce qui traduit le succès, si j'ose dire, du dispositif. Ce service procède désormais, depuis le mois dernier, aux premières notifications officielles d'aide, et les premiers versements interviendront avant la fin de l'année. Le dossier est compliqué mais je crois que nous pouvons considérer que nous sommes sur le point d'entrevoir le bout du tunnel.

En ce qui concerne le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », l'élaboration en 2014 d'une stratégie de l'État actionnaire, puis la publication de l'ordonnance relative à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique ont marqué une étape extrêmement importante. L'ordonnance a été ratifiée et complétée lors de l'adoption cette année de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. L'État actionnaire doit défendre une vision de long terme. Il doit donc être actif et faire entendre sa voix pour garantir le développement de nos entreprises, de leur activité, de leur emploi, pour défendre, aussi, nos intérêts stratégiques, tout particulièrement dans le champ de la défense nationale, de l'énergie, sans oublier le secteur automobile.

Le patrimoine de l'État, c'est évidemment celui de tous. Je suis donc personnellement particulièrement attentif à le faire fructifier et à en recueillir les fruits, mais je suis également attaché à l'exemplarité de nos entreprises. Nous devons faire preuve d'une vigilance toute particulière, par exemple quant aux rémunérations des dirigeants, afin de promouvoir des principes de modération. De même, j'ai appelé l'attention des dirigeants des entreprises à participation publique sur l'enjeu de l'optimisation fiscale. Nous avons demandé aux administrateurs de l'État qu'ils s'expriment en conseil d'administration, et ils l'ont fait, afin que la liste des implantations à l'étranger de ces entreprises soit rendue publique et que le conseil d'administration soit régulièrement informé des évolutions à envisager en la matière.

C'est pour être entendu et influent sur ces différents aspects que l'État a veillé à bénéficier, comme les autres investisseurs de long terme, de la mise en place, dans l'ensemble des entreprises, des droits de vote double ; ceux-ci seront effectifs au mois d'avril 2016, en application de la loi dite « Florange ». En 2015, notre montée au capital de Renault et d'Air France nous aura permis de nous assurer que ces droits de vote double seront bien mis en oeuvre dans ces entreprises, ce qui n'était pas évident.

Nous avons mené en 2015 une gestion active du portefeuille des participations. Les opérations de cessions réalisées, concernant notamment Safran, l'aéroport de Toulouse et ENGIE, nous ont permis de dégager les ressources nécessaires à des investissements utiles – je pense, encore une fois, à Renault et Air France, mais aussi à l'Agence française de développement. Cependant, les cessions doivent également nous permettre de réduire notre endettement. Aussi 1,5 milliard d'euros a-t-il été affecté en 2014 au désendettement et, pour la première fois depuis 2007, nous avions inscrit l'objectif ambitieux de 4 milliards d'euros de désendettement en 2015. Étant donné la dégradation des conditions de marché au cours de ces derniers mois, nous avons revu à la baisse nos cessions en 2015 ; il s'agit de ne pas brader des actifs qui appartiennent à la collectivité. Par conséquent, l'objectif de désendettement pour 2015 a été ramené de 4 milliards d'euros à 2 milliards d'euros. Ce sont les conditions de marché qui nous permettront ou non de l'atteindre.

Le projet de loi de finances pour 2016 ne marquera pas de rupture, avec un volume de prévision de recettes inchangé de 5 milliards d'euros, dont 3 milliards d'euros sur le programme 731, consacré à l'investissement, et 2 milliards d'euros sur le programme 732, celui du désendettement, compte tenu des besoins qui ont pu être identifiés jusqu'à présent. Cette orientation témoigne de l'importance donnée par le Gouvernement à la fois à la maîtrise de la dette et à la poursuite d'opérations actives de réinvestissement stratégique – des besoins se feront sentir en matière de logement intermédiaire, pour AREVA et autres.

Mme Sas a appelé notre attention, à juste titre, sur les contentieux fiscaux. Le contentieux OPCVM affecte fortement le budget de l'État depuis plusieurs années. Pour 2015, nous anticipons prudemment un coût de 1,75 milliard d'euros. Au vu des décaissements à fin septembre, il est possible que ce coût soit finalement revu à la baisse. Le contentieux dit « précompte mobilier » est aujourd'hui suspendu à un possible nouveau rebondissement, une nouvelle saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, dans une procédure qui dure depuis dix ans ou un peu plus. Nous estimons que cette saisine, dont l'objet serait de remettre en cause un arrêt du Conseil d'État, n'est pas justifiée. Nous anticipons donc que la Cour de justice ne sera pas saisie en 2016 et que le contentieux sera entièrement apuré. Si la Cour était saisie, l'apurement du contentieux serait repoussé au-delà de 2016. Je précise que c'est bien le Conseil d'État qui a rendu, en toute indépendance, un arrêt favorable à l'intérêt de l'État ; nulle décision du Gouvernement n'est en cause. Attendons donc de voir si la Commission européenne décide de saisir la Cour de justice.

Ces contentieux fiscaux sont un enjeu majeur pour les finances publiques ; vous avez raison d'en souligner l'importance, madame la rapporteure spéciale. Mes services sont, bien entendu, à votre entière disposition, et votre rapport constitue d'ailleurs une source d'information précieuse pour la représentation nationale. Le champ de l'article 104 de la loi de finances initiale pour 2014, que vous mentionnez, excède les seuls contentieux fiscaux. Je vous invite à vous rapprocher du secrétariat général aux affaires européennes, qui suit l'ensemble des procédures au niveau communautaire et qui saura vous donner tous les détails sur ces questions. Je suis prêt à vous accompagner personnellement jusqu'audit secrétariat général pour que l'ensemble des informations nécessaires vous soit données.

J'appelle votre attention sur le fait que la LOLF nous contraint fortement en ce qui concerne le traitement des dégrèvements d'impôts locaux. Son article 10 prévoit, en effet, que ces crédits sont évaluatifs et doivent être isolés sur des programmes spécifiques. Ce caractère évaluatif est d'ailleurs protecteur pour les collectivités territoriales : il leur garantit que les remboursements qui leur sont dus leur seront effectivement versés. Vous êtes, bien entendu, dans votre rôle en proposant des évolutions de la nomenclature budgétaire, mais, même si l'on rattachait les dégrèvements d'impôts locaux à la mission « Relations avec les collectivités territoriales », on ne pourrait pas avoir de vue globale et unique des concours aux collectivités dès lors que l'essentiel de ces concours passe par le prélèvement sur recettes et non par les missions du budget général.

Enfin, concernant les remboursements de TICPE aux routiers, aux taxis, aux agriculteurs, je reconnais dans votre proposition, madame la rapporteure spéciale, votre souci de renforcer la fiscalité écologique. Le Gouvernement le partage, puisqu'a été inscrite en première partie du PLF une accélération, dès 2016, de la convergence des tarifs entre le gazole et l'essence. Toutefois, ce que vous proposez conduirait de fait à réduire les remboursements de TICPE accordés à des secteurs par ailleurs confrontés à des conditions économiques difficiles. Je ne crois donc pas que la fiscalité écologique doive progresser à leur détriment, et je répète qu'une partie de vos revendications est satisfaite par la première partie de la loi de finances.

Je n'ai pas répondu à M. Lurel sur les dépenses fiscales rattachées au programme « Épargne ». Les trois mesures inscrites dans la loi Macron – le régime des impatriés, qui a été assoupli, les conditions d'attribution des bons de souscription des parts de créateurs d'entreprises, les modalités d'imposition des actions gratuites – ont un impact sur les finances publiques de 100 millions d'euros.

Je reviens enfin, un instant, à l'affaire de Ruyter. Elle n'est pas liée à une disposition de la loi de finances rectificative de 2012, mais à une disposition prise au début des années 2000, et nous réglons ce point en PLFSS par une modification de l'affectation des prélèvements sociaux sur les revenus du capital, sans renoncer pour autant aux recettes.

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