Intervention de Jean-Noël Carpentier

Réunion du 23 octobre 2014 à 21h00
Commission élargie : finances - affaires culturelles - affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Noël Carpentier, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles et de l'éducation pour la presse :

Les rapports qui se succèdent sur les aides à la presse portent des jugements sévères sur leur efficacité, et, ce qui est plus grave, sur leur caractère parfois contre-productif lorsqu'elles ont pour effet de retarder les adaptations du secteur, notamment vers le numérique.

Plusieurs rapports ont notamment constaté que le soutien massif à la distribution de la presse papier concerne des canaux de distribution qui se concurrencent au lieu de se compléter. Les ministres de l'économie et de la culture ont donc lancé en novembre 2013 une mission afin de proposer des solutions visant à accroître la complémentarité entre les différents modes de diffusion, et de réfléchir à l'avenir de l'aide postale après 2015. Cette mission a apparemment rendu ses conclusions. Madame la ministre, pouvez-vous nous en dire plus sur les perspectives des réseaux de distribution de la presse et des aides qui les accompagnent ? J'estime pour ma part que l'État devrait davantage conditionner ses aides à la mise en place de synergies dans ce domaine.

En ce qui concerne l'évolution des aides à la presse à plus long terme, j'observe que leur niveau est plus élevé en France que dans la plupart des pays de taille comparable. Pourtant ces aides n'ont pas enrayé une baisse continuelle de la diffusion papier – près de 25 % en dix ans – avec un nombre de numéros vendus annuellement qui est passé de cinq à moins de quatre milliards entre 2000 et 2010. De l'aveu même du syndicat des éditeurs de la presse quotidienne nationale, les aides ont été trop dirigées vers le papier au détriment du numérique. Même si des progrès récents ont été réalisés en matière de soutien à la presse en ligne, notamment grâce à l'application d'un taux super-réduit de TVA et au meilleur ciblage du fonds stratégique pour les services de presse en ligne, cette année encore les aides à la presse restent massivement dirigées vers le papier. Sur les 260 millions d'euros versés, moins de 10 % sont destinés à l'évolution du numérique.

Je m'interroge donc sur la pertinence d'un système d'aide qui reste très largement orienté vers un modèle dont la place est visiblement amenée à se réduire, puisque nos concitoyens s'informent par d'autres canaux, notamment sur internet. Ce soutien contribue aussi parfois à nourrir les interrogations sur l'indépendance politique de la presse, d'ailleurs amplifiées par l'évolution récente du profil des propriétaires de presse, qui accrédite l'idée qu'on n'achète pas forcément aujourd'hui un titre de presse pour sa rentabilité, mais plutôt pour l'influence politique qu'il procure.

Madame la ministre, ne pensez-vous pas qu'en soutenant aussi massivement un modèle papier qui n'est sûrement pas le modèle de l'avenir, nous risquons de créer des distorsions qui se révéleront à terme défavorables au secteur de la presse ?

De plus, force est de constater que la justification historique des aides à la presse, à savoir le soutien au pluralisme, ne se pose plus tout à fait dans les mêmes termes qu'auparavant avec la puissance de la diffusion d'internet. Il faut cependant rester particulièrement attentifs aux cas des journaux à faibles recettes publicitaires, qui perçoivent à ce titre des aides spécifiques.

Il est clair que le numérique fait tomber les barrières à l'entrée du secteur, et que l'on peut se réjouir de l'existence d'un nombre de plus en plus grand de titres en ligne à caractère d'information politique et générale, qui utilisent parfois, il faut le reconnaître, un ton nouveau, et peut-être un plus libre, sur certains sujets d'actualité. Une réflexion sur la notion de pluralisme s'impose donc dans un univers qui est passé de la rareté à l'hyperabondance de l'information. De la même façon, il faudra redéfinir le concept d'IPG. Avec le numérique un phénomène de convergences des contenus est également en marche. Madame la ministre, ne convient-il pas de repenser l'action publique en direction des médias d'information sans créer de frontières artificielles qui soumettent des contenus semblables à des politiques publiques différentes ?

Aujourd'hui, en matière de presse ou d'information, il est vain de vouloir opposer le papier et le numérique. Les citoyens ont tranché : si le support est important, ce sont d'abord la qualité et la fiabilité de l'information qui sont fondamentales. Cette exigence de qualité impose des moyens. La gratuité en ce domaine est une chimère.

Au vu de tous ces éléments, comment envisagez-vous l'évolution des aides à la presse papier, sachant qu'il faut aussi accompagner socialement un secteur qui emploie des milliers de personnes notamment dans l'imprimerie et la diffusion ?

Quid de votre politique en faveur d'une meilleure répartition de la valeur sur internet ? Avez-vous pris connaissance du protocole d'accord entre les éditeurs de presse et Google ? Si les éditeurs se déclarent globalement satisfaits de ce compromis avec Google, beaucoup relèvent qu'il ne peut s'agir d'une solution de long terme. Pour ma part, je m'interroge sur le fait que Google devienne une sorte de mécène de la presse française.

Plus généralement, madame la ministre, ne pensez-vous pas qu'il nous faudrait une politique plus claire en faveur d'une plus juste répartition de la valeur entre les différents acteurs du net ? Cela devrait se faire notamment au bénéfice des éditeurs de presse qui auraient intérêt à s'entendre au niveau européen. Certains proposent de créer une taxe sur les appareils connectés, y êtes-vous favorable ? N'avons-nous pas plutôt besoin de plus de régulation et de fermeté envers ces géants du net, les fameux « GAFA », acronyme de Google-Apple-Facebook-Amazon, qui utilisent des contenus qu'ils n'ont pas créés eux-mêmes pour en tirer à leur seul profit d'énormes bénéfices – bénéfices qui, entre nous, échappent bien trop souvent aux différentes administrations fiscales nationales.

Je conclus en émettant un avis favorable sur crédits du programme « Presse ».

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