Intervention de Bruno Parent

Réunion du 24 novembre 2015 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Parent, directeur général des finances publiques :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le contrôle fiscal exige de l'équilibre, de l'adaptation, et une certaine distance.

Nous devons rechercher l'équilibre, car s'il faut pourchasser les vrais fraudeurs, les contrôles fiscaux servent aussi à rectifier des erreurs commises de bonne foi – la législation, vous le savez comme moi, est complexe et changeante, et tout le monde peut se tromper. Notre pugnacité vis-à-vis des fraudeurs patentés ne doit donc pas obérer notre relation avec les autres contribuables, personnes physiques ou entreprises : nous ne considérons pas chaque personne comme un fraudeur potentiel. C'est un travers qu'il est trop facile d'acquérir lorsque l'on traque les fraudes, mais ce n'est pas notre pratique. Il est donc pour nous essentiel de mener une politique d'anticipation, de prévention, de pédagogie, de sécurité juridique. Ainsi, nous développons les rescrits. Vous connaissez les engagements pris par le Gouvernement sur le comportement des agents lors de contrôles fiscaux ; vous savez que nous publions une liste des pratiques et montages abusifs. Encore une fois, la grande majorité des Français sont honnêtes.

Mais la fraude existe, et elle évolue : nous devons donc nous adapter. Le législateur nous a beaucoup aidés, par exemple en permettant la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale. En effet, si la fraude fiscale en bande organisée – si vous me permettez l'expression – était très rare il y a quinze ou vingt ans, elle fait maintenant partie de notre paysage : la police fiscale constitue à cet égard un progrès considérable. Nous devons nous montrer très réactifs, comme nous avons su le faire et comme nous le faisons encore pour contrer les logiciels permissifs. La vigilance est de mise, car le risque d'industrialisation de la fraude est réel.

Nous devons également développer la coopération entre les différents services, à l'intérieur de Bercy comme avec le reste de l'administration : la police, la justice, les douanes, Tracfin…

Nous devons encore nous adapter aux moyens et techniques du moment. Nous investissons notamment dans le data mining. Nous sommes très attentifs aux évolutions internationales, comme aux pratiques nouvelles de la société : le législateur nous a ainsi aidés face au problème de la vente à distance – nous mettons en oeuvre actuellement le droit de communication non nominatif, créé l'an dernier par le législateur. Demain, nous aurons les déclarations pays par pays, les rulings et l'échange automatique des renseignements en matière d'information bancaire.

J'ouvre une parenthèse pour souligner que le STDR, que vous avez évoqué, monsieur le président, s'insère dans ce mouvement d'ensemble : son histoire nous montre d'abord que le comportement des contribuables est fortement influencé par le consensus international qui se dessine sur la lutte contre la fraude fiscale ; elle nous montre aussi, si j'ose le dire sans immodestie, la capacité de l'administration à se mobiliser rapidement pour recouvrer des sommes très importantes – un peu plus de 1,6 milliard de droits, et presque 300 millions d'euros de pénalités, en 2014.

Nos dispositifs de recoupement ont également bénéficié fortement de ces progrès techniques. L'administration moderne, ce sont des moyens humains, du renseignement, de la recherche, de l'innovation, mais aussi une forme d'industrialisation, même si aucune opération de contrôle fiscal n'est jamais complètement automatique : il y a toujours une intervention humaine. Ainsi, au XXe siècle, pour contrôler que les contribuables qui ne payaient pas la contribution à l'audiovisuel public n'avaient pas la télévision, nous allions frapper à leur porte… Ces méthodes sont encore utilisées, mais aujourd'hui les recoupements automatisés à l'aide des fichiers que nous obtenons, grâce à la loi, des différents commerçants, y compris de services audiovisuels, sont infiniment plus efficaces.

Nous devons adapter notre organisation territoriale. En effet, la fraude ne connaît pas plus nos frontières internes que les frontières des États ; souvent, la structuration départementale, qui possède certaines vertus, ne convient plus. Nous avons un grand chantier en cours, qui nous permettra de disposer d'une vision plus large.

Il nous faut enfin conserver une certaine distance vis-à-vis des débats médiatiques – dont l'écho dans votre commission est heureusement atténué. Nous appliquons la loi, c'est notre devoir et notre honneur. Nous le faisons sans jugement moral, sans antipathie ni sympathie à l'égard de qui que ce soit – personne, profession, territoire… Je me permets aussi de rappeler que les dossiers individuels sont traités sous la pleine et entière responsabilité de l'administration, et d'elle seule.

Quelles que soient les histoires que nous lisons dans la presse à propos de telle ou telle personnalité – et ce qu'on lit est souvent erroné – nous ne répondons jamais : le secret fiscal est à notre sens l'une des valeurs essentielles de la République, et nous nous en faisons les gardiens scrupuleux. Nous ne dérogeons en aucun cas à cette règle. Notre administration restera muette en toutes circonstances.

Quant aux résultats du contrôle fiscal, monsieur le président, je me permettrai d'insister sur l'importance de raisonner sur des séries longues. Les évolutions de quelques centaines de millions d'euros d'une année sur l'autre ont peu de sens – il ne serait justifié ni s'en attrister ou ni de s'en glorifier.

Les chiffres le plus souvent suivis en matière de contrôle fiscal sont ceux des droits nets. C'est effectivement une variable intéressante, mais en période de difficultés économiques, une partie de notre activité consiste à réduire des déficits – que, par définition, les droits nets ne prennent pas en compte. C'est pourtant là quelque chose d'essentiel : les réductions de déficit, c'est l'impôt de demain – ou d'après-demain. Les chiffres sont importants : de 2013 à 2014, les réductions de déficit suite à contrôle ont ainsi augmenté de 2 milliards d'euros – qu'il faut comparer à près de vingt milliards de droits nets et pénalités obtenus en général.

De plus, les résultats obtenus sont très concentrés sur les entreprises ; et les grandes entreprises sont souvent à l'origine de la moitié des sommes recouvrées par l'ensemble du contrôle fiscal – nous disposons d'ailleurs d'une direction spécialisée, la direction des vérifications nationales et internationales (DVNI). D'une année sur l'autre, quelques affaires seulement peuvent faire varier sensiblement le volume total des droits nets mis en recouvrement.

Il faut donc se montrer très vigilant dans l'interprétation des résultats du contrôle fiscal.

Nous sommes en train de passer un cap méthodologique. Les bénéfices de cette évolution seront progressifs – il n'y a pas, en contrôle fiscal, d'opération automatique ou de résultats immédiats, ne serait-ce que parce que les procédures doivent protéger les droits de chacun. Mais la création de la police fiscale, la coopération internationale – les Suisses, désormais, répondent –, une meilleure coordination des services, la rénovation de nos outils juridiques – solidarité face aux carrousels, droit de communication non nominatif – et l'innovation technologique nous rendent confiants sur la capacité de l'administration à demeurer performante. C'est d'ailleurs, si j'ose le dire devant vous, le jugement international généralement porté sur nous. Certes, nous avons toujours des progrès à faire ; mais je rentre de Belgique et si j'y ai vu des choses très intéressantes, je suis aussi en mesure de vous affirmer que nous n'avons pas à rougir de notre action.

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