Intervention de Bruno Parent

Réunion du 24 novembre 2015 à 16h15
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Bruno Parent, directeur général des finances publiques :

Les droits recouvrés – les euros qui entrent effectivement dans les caisses de l'État – se sont élevés en 2014 à 10,4 milliards d'euros. Ce chiffre comprend l'activité du STDR.

La différence entre les droits notifiés et les droits recouvrés est due à plusieurs facteurs. Je citerai les principaux. Tout d'abord, les droits notifiés peuvent être contestés : quand ils présentent les garanties nécessaires, les contribuables n'acquittent les droits qu'une fois le contentieux purgé.

Ensuite, nous nous heurtons parfois à l'insolvabilité : la créance de l'État est certes privilégiée, mais il arrive, surtout par les temps qui courent, que les particuliers ou les entreprises ne puissent tout simplement pas payer. Vous savez d'ailleurs qu'il existe, en comptabilité publique, une série de dispositions qui permettent de constater, au bout d'un certain temps, que la dette, sans être complètement abandonnée, doit être passée en non-valeur : nous nous efforçons de recouvrer ce qu'il est possible de recouvrer, mais on ne tond pas les oeufs, si vous me permettez cette expression. En période de difficultés économiques, ces situations sont évidemment plus fréquentes.

Enfin, certains redressements sont faits à bon droit, en pleine application de la loi, mais leurs perspectives de recouvrement sont ab initio ténues : c'est le cas des carrousels, plusieurs fois cités. Lorsqu'un tel mécanisme est bien conçu, nous n'avons plus personne sous la main à la fin de la chaîne : tout s'est évaporé… Contre qui nous retourner ?

Il est donc constant, et c'est le cas dans tous les pays, qu'il existe un écart significatif entre les droits mis en recouvrement et ceux effectivement recouvrés.

Nous ne restons pas pour autant les deux pieds dans le même sabot. Nous détenons d'importantes prérogatives de puissance publique, et les moyens que nous donne la loi sont nombreux : avis à tiers détenteur, qui permettent d'aller saisir chez un débiteur ou un employeur par exemple, saisies immobilières… Notre arsenal est relativement puissant, mais il ne suffit pas toujours.

On nous demande quelquefois à quoi peut bien servir d'opérer des contrôles si nous savons déjà que nous n'allons recouvrer qu'une fraction des sommes mises en recouvrement. Tout d'abord, bien sûr, nous ne savons pas à l'avance quels contrôles vont donner quels résultats – pardon de cette lapalissade. Mais surtout, la loi doit être la même pour tous : nous ne décidons pas d'opérer un contrôle parce que les chances de recouvrement sont élevées… Nous programmons les contrôles suivant un certain nombre de critères, sur lesquels je reviendrai, mais celui-ci n'en fait pas partie. Une telle manière de fonctionner ne serait d'ailleurs pas conforme à la loi.

Sur le cadastre et l'IGN, il n'est pas question de fusion organique entre les deux institutions mais d'un travail technique extrêmement intéressant, consistant à rapprocher la cartographie du cadastre, à très grande échelle, et celle de l'IGN, caractérisée par de nombreuses « couches ». L'objectif est d'améliorer le service rendu, notamment aux collectivités territoriales, en faisant en sorte que les cartes respectivement gérées par l'un et par l'autre soient strictement superposables, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour des raisons techniques. Ce travail de rapprochement, qui implique des algorithmes de déformation automatique des parcelles et qui prendra plusieurs années, permettra ensuite de joindre les cartes les unes aux autres et d'avoir la capacité, par exemple, de reconnaître de manière fine sur une zone donnée les parcelles et leurs propriétaires. Il y aura donc rapprochement-fusion des cartes mais non pas des entités qui les gèrent. En tout état de cause, c'est le résultat qui compte pour l'usager : le produit sera unifié, ce qui constitue un grand progrès.

S'agissant des process, le contrôle fiscal mêle plusieurs éléments et comporte notamment une dimension humaine importante. À cet égard, dans le contexte de réduction des effectifs qui s'impose à nous comme à d'autres, nous avons tenté le plus possible de sauvegarder les moyens consacrés au contrôle fiscal. Certes, celui-ci relève aussi beaucoup – et peut-être demain davantage encore – de ce que vous appelez des process c'est-à-dire de l'aide à la décision. Mais – la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) y veille avec soin – il importe que ces process, aussi automatisés et sophistiqués soient-ils, ne déclenchent pas sans intervention humaine quoi que ce soit faisant grief au contribuable. Le contrôle repose donc sur un mélange d'humain, de savoir-faire, de connaissance du tissu fiscal et de respect des procédures ainsi que sur de puissants moyens informatiques.

Le data mining, qui consiste à manipuler un nombre considérable de données pour essayer d'en tirer des enseignements, nous a d'ores et déjà permis de croiser des fichiers – avec l'autorisation de la CNIL – et de déterminer des indices afin de faire une meilleure programmation du contrôle fiscal. Après avoir procédé à un test sur mille dossiers identifiés par le procédé data mining dans la sphère de la TVA, nous avons constaté qu'un certain nombre de ces dossiers avaient déjà été décelés par l'intelligence humaine locale comme étant susceptibles de nous intéresser mais que ce n'était pas le cas de la totalité d'entre eux. Il y a donc une vraie complémentarité entre l'oeil d'expert et cet outil très automatisé. Ce résultat nous a paru suffisamment intéressant pour qu'à l'intérieur même de nos process automatisés, certaines entreprises soient estampillées comme étant plus à risque que d'autres. Ainsi, en matière de remboursement de crédit de TVA, cela génère le basculement dans ce que nous appelons dans notre jargon la procédure longue c'est-à-dire un examen plus complet.

La Belgique est-elle mieux outillée que nous ? Une certaine entreprise a popularisé l'idée que la France avait fait un mauvais choix – il est vrai qu'elle n'était pas dénuée d'intérêts dans ce débat puisque l'administration belge avait eu recours à ses services pour monter son procédé de data mining. Je me suis rendu en Belgique il y a trois semaines pour rencontrer mes homologues et évoquer notamment ce sujet. La France, en effet, a fait le choix de monter avec ses statisticiens son propre système, qui inclut quelques bouts de progiciels de marché. Je le dis sans triomphalisme : au vu des résultats, il n'y a pas à rougir du choix qui a été fait. Tout cela a fait un peu de bruit parce qu'une entreprise a mené une action vigoureuse et, finalement, efficace. Elle a joué sa partition pour expliquer que nous étions particulièrement nuls puisque nous ne l'avions pas choisie. Ce sont des situations auxquelles nous sommes parfois confrontés. Pour autant, cela ne signifie pas que les Belges sont mal outillés – il ne s'agit pas non plus de renverser le raisonnement. Cela montre au contraire que, par des voies diverses, nous arrivons à peu près, méthodologiquement, aux mêmes conclusions. De même, en matière de logiciels permissifs, nous avons suivi des voies parallèles mais pour aboutir au même résultat, qui consiste à prendre le mal à la racine.

J'en viens aux ventes de véhicules, très vieux sujet de fraude intracommunautaire à la TVA. En ce domaine comme dans d'autres, il nous faut faire preuve d'humilité. Cela fait des années que nous luttons contre ce phénomène difficile à combattre, d'abord parce qu'il s'agit d'une myriade d'opérations ponctuelles et ensuite, parce que sur le fond, nous n'étions peut-être pas suffisamment outillés. Nous utilisons désormais un nouveau dispositif dans le cadre duquel le fameux quitus, qui permet d'immatriculer un véhicule sur le territoire national, doit, pour être délivré, obéir à des formalités beaucoup plus exigeantes que par le passé : en gros, il faut pouvoir attester que la TVA a été acquittée en amont. Nous sommes en train de mettre en oeuvre ce nouveau dispositif législatif et continuons à travailler avec les administrations soeurs, car la vente de véhicules dits d'occasion se fait dans tous les sens, si j'ose dire. Il s'agit souvent de flottes de véhicules relativement neufs vendus par des loueurs pour ensuite passer par des mécanismes compliqués via parfois deux ou trois États puis de nouveau la France.

Concernant la Suisse, j'avoue très humblement que j'ignorais complètement le chiffre de 83 milliards de francs suisses d'actifs. Je ne sais qui l'a cité à l'époque – ce ne pouvait être la France – et j'ai du mal à reconstituer intellectuellement devant vous la façon dont il a pu être « concocté ».

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