Il me faut sans doute commencer par vous présenter des excuses au nom de l'INA, car le rapporteur aura travaillé deux fois, le processus d'examen du contrat d'objectifs et de moyens par les commissions parlementaires ayant été suspendu au printemps. Vous faisiez référence, monsieur le président, au délai de six semaines dont vous disposez pour rendre un avis : c'est à peu de chose près celui dont j'ai disposé pour réécrire ce COM, entre mon arrivée à l'INA, à la fin du mois de mai, et le milieu du mois de juillet, où nous avons commencé à échanger avec notre actionnaire.
Ce nouveau contrat d'objectifs et de moyens s'articule autour de quelques invariants, déjà déclinés dans le premier projet qui vous avait été fourni. Ces grandes masses financières, si elles ne résument pas la stratégie financière de l'établissement, constituent néanmoins de solides points de repère et peuvent être considérées comme la colonne vertébrale de ce COM.
Il s'agit en premier lieu de la ressource publique, c'est-à-dire de la part de la contribution à l'audiovisuel public – ou redevance – affectée à l'INA, qui est stabilisée à hauteur de 89 millions d'euros par an sur toute la durée du contrat, jusqu'en 2019. Dans le contexte contraint des finances publiques, cela représente de la part de l'État un engagement très fort, qui oblige l'INA à accomplir sa part de l'effort et à interrompre la lente mais réelle décroissance de ses ressources propres, lesquelles sont passées, en quatre ou cinq ans, de 41 millions à 37 millions d'euros. Si nous avons, pour cette année, réussi à absorber cette baisse grâce à la maîtrise des charges, il n'en reste pas moins que cela est contraire au signal que souhaite envoyer l'INA, au moment où l'État s'engage à stabiliser la ressource publique qui lui est affectée.
En second lieu, nous avons pris l'engagement fort de stabiliser la masse salariale sur toute la durée du contrat, afin qu'elle n'excède pas 67,5 millions d'euros, ce qui est à peine supérieur à l'actuel étiage et suppose donc, compte tenu des évolutions salariales qu'implique l'accord portant sur le statut collectif des salariés de novembre 2012, une légère diminution des effectifs sur la durée du contrat, de l'ordre de vingt-cinq équivalents temps plein (ETP).
Enfin, le troisième élément, qui devrait constituer le fil rouge de mon mandat si, comme je le souhaite, je le mène à son terme, concerne la réalisation d'un projet immobilier, qui est tout le contraire d'un projet pharaonique et qui vise moins à valoriser un geste architectural qu'à consolider l'implantation de l'institut à Bry-sur-Marne, en réunissant des équipes – en l'occurrence les personnes travaillant sur le dépôt légal et celles s'occupant des archives professionnelles de la télévision et de la radio publique – qui étaient rapprochées dans l'organigramme mais éloignées physiquement. Cela permettra de donner enfin corps à cette grande direction des collections qui réunit les activités du dépôt légal et celles des archives professionnelles. Ce projet, dont le coût total est de 25 millions d'euros, est intégralement financé par l'entreprise sur la durée du COM, à la fois par un prélèvement à hauteur d'une vingtaine de millions d'euros sur sa trésorerie et par l'affectation chaque année d'une quote-part de la contribution à l'audiovisuel public, inscrite au budget d'investissement de l'établissement. Nous avons toutes les raisons de penser que les dépenses engagées seront circonscrites à l'enveloppe prévue, étant entendu que nous avons délégué la maîtrise d'ouvrage, par une convention qui vient d'être approuvée par le conseil d'administration, à l'opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture (OPPIC).
Ce projet de COM a été approuvé par le conseil d'administration de l'établissement le 1er octobre dernier, et nous espérons qu'après votre approbation et celle du Sénat, par lequel j'ai été auditionné la semaine dernière, nous pourrons procéder à sa signature avec la ministre de la culture et de la communication d'ici Noël.
En ce qui concerne le cadre dans lequel a été élaboré ce nouveau COM, il procède du document que j'ai trouvé lors de ma prise de fonctions, document qui offrait la synthèse entre la vision stratégique de ma prédécesseure et le travail mené depuis un an au sein de l'entreprise par l'équipe dirigeante. Outre que je ne disposais pas du temps nécessaire pour reprendre ce travail à zéro, c'eût été manquer de considération pour les collaborateurs de l'INA – qui pouvaient se prévaloir d'une plus grande ancienneté que la mienne – que de détricoter intégralement ce travail collaboratif visant à dessiner les grandes lignes d'avenir de l'INA.
Partant, j'ai travaillé dans l'idée que le plan de sauvegarde et de numérisation (PSN), c'est-à-dire la numérisation rapide et efficace de toutes les archives audiovisuelles et sonores détenues par l'INA, qui avait été au centre des trois précédents COM serait, avec un taux de réalisation supérieur à 90 %, quasiment achevé à la fin du quatrième COM et qu'il fallait d'ores et déjà songer à l'après-PSN, ce qui signifie se tourner plus résolument encore que l'INA ne l'a fait jusqu'à présent vers les usages numériques.
Si l'INA a compris plus vite que d'autres entreprises l'enjeu et la chance incroyable que représentait la révolution numérique pour son activité, il s'est avant tout saisi du numérique comme d'un outil permettant la transformation de données analogiques en données numériques, négligeant parfois d'explorer les pistes qu'il offrait pour révolutionner les usages pouvant être faits de ses collections et exploiter au mieux cette mémoire audiovisuelle qui constitue sa richesse.
Cette problématique ne se limite pas aux métiers de valorisation de l'image mais concerne également la formation qui est l'un des métiers historiques de l'institut et qui y conserve une place essentielle. Là encore, la révolution numérique doit permettre, par exemple, la mise en place de MOOC (Massive Open Online Courses), c'est-à-dire de formations en ligne ouvertes à tous. Enfin, c'est également dans le domaine de la recherche que nous devons nous efforcer d'exploiter au mieux toutes les possibilités de développement offertes par le numérique.
L'idée qu'il faut réinventer la place des archives et celle de tous les métiers de l'INA à l'heure du numérique et des médias sociaux est donc la première conviction forte qui sous-tend le projet de COM que j'ai l'honneur de soumettre à votre avis, sachant qu'en amont des usages la révolution numérique pose aussi la question de ce qui doit être considéré comme archive.
Au regard de la mission patrimoniale qui est celle de l'INA depuis l'origine, la question se pose en effet de la ligne de conduite à adopter face au volume considérable d'images et de sons qui circulent chaque jour, chacun pouvant être aujourd'hui producteur et diffuseur d'images, alors que dans le même temps, le flux d'images et de sons que nous recevons de l'audiovisuel public s'est considérablement réduit avec la privatisation d'une partie du paysage audiovisuel français et le développement de la production indépendante. Cela nous oblige à poursuivre une politique très volontariste en matière d'offre de notre savoir-faire dans le domaine de l'exploitation et de la conservation d'images, d'offre multimédia à partir des images dont nous disposons, notamment en direction des détenteurs de fonds qui n'ont pas d'obligation légale de nous les confier mais avec lesquels nous pouvons conclure des mandats d'exploitation pour enrichir nos propres archives.
Voici donc à grands traits la conviction qui sous-tend ce COM et recouvre plus particulièrement sa première partie consacrée à la réaffirmation de la mission patrimoniale de l'INA et sa troisième partie, centrée sur l'innovation.
La seconde conviction forte qui m'a animé dans l'élaboration de ce projet de contrat et qui irrigue la deuxième et la quatrième partie du document, c'est l'idée que nous devons mériter pleinement notre statut d'établissement public industriel et commercial (EPIC), qui est une chance extraordinaire. Sans doute le Parlement a-t-il été visionnaire lorsque, en 1975, il a attribué ce statut à l'institut dont les activités n'avaient alors d'industrielles et de commerciales que le nom puisqu'il fonctionnait surtout selon un système de commandes forcées – selon un certain quota d'heures – de la part des sociétés de l'ex-ORTF. Ce n'est en réalité qu'à la fin des années quatre-vingt et au début des années quatre-vingt-dix que l'intuition du législateur s'est concrétisée, lorsqu'il s'est avéré que les compétences et le savoir-faire développé par l'INA dans sa mission d'intérêt général de conservation, de sauvegarde, d'archivage, d'indexation, de valorisation, de formation et de recherche des données audiovisuelles et sonores avaient un prix, au sens commercial du terme, pour des clients extérieurs à l'audiovisuel. C'est à partir de là que les ressources propres de l'INA ont crû de façon significative et ont donné son plein sens à ce statut d'EPIC. Il y a une quinzaine d'années, la part des ressources propres de l'INA, qui représentent aujourd'hui un peu plus de 30 % de ses revenus globaux, a pu monter jusqu'à près de 60 % de son budget total. Certes le contexte est aujourd'hui différent et les modèles économiques ne sont plus les mêmes, mais je ne peux néanmoins me satisfaire de la lente décroissance de nos recettes commerciales et souhaite inverser la tendance.
Le statut d'EPIC nous offre pour cela toutes sortes de solutions, notamment dans le domaine international, qui demeure pour l'INA un gisement de revenus qui n'a pas été suffisamment exploité. Cela exige des moyens et le développement d'une organisation transversale en lieu et place du traditionnel fonctionnement en silo de l'entreprise. Dès lors, en effet, que l'INA n'a pas vocation à ouvrir des bureaux dans tous les pays du monde, un collaborateur, lorsqu'il se rend à l'étranger, doit être l'ambassadeur de toutes nos activités et pas uniquement de celle qui motive son déplacement.
À titre d'exemple, nous venons de signer une importante convention de formation avec l'Université royale pour les femmes du Barheïn et accueillons par roulement depuis la fin du mois d'octobre sur notre campus de Bry-sur-Marne des journalistes de la radio-télévision barheinie, qui viennent se former aux techniques des journaux télévisés. Il est à cet égard très impressionnant de constater à quel point la renommée de l'INA en matière de formation professionnelle dans les métiers de l'audiovisuel rayonne jusque dans les pays où elle affronte la concurrence des Britanniques, des Néerlandais ou des Italiens. J'ajoute que nous avons également un projet de contrat, dont la négociation est complexe, avec un grand pays du Maghreb qui consisterait en une formation de plus d'un an destinée à des journalistes de la radio-télévision nationale et qui se déroulerait à la fois ici et là-bas.
Il y a également beaucoup à faire en matière de valorisation de nos collections. Notre site Ina.fr a été ouvert en 2006 et propose aujourd'hui près de trois cent cinquante mille contenus, essentiellement sous forme d'extraits de journaux télévisés ou d'émissions et de moments cultes de la télévision. Cette mise en ligne a constitué une étape décisive dans la stratégie de restitution au grand public de sa mémoire audiovisuelle mais aujourd'hui, même si le site, qui s'ouvre sur une page d'accueil toujours en résonnance avec l'actualité, est remarquablement éditorialisé, nous devons prendre en compte les attentes d'un public qui est moins demandeur d'abondance que de pertinence, habitué qu'il est désormais à recevoir au bon moment le contenu pertinent sur ses écrans mobiles sans avoir à aller le chercher lui-même.
C'est dans cette optique que nous avons lancé à la fin du mois de septembre INA Premium, premier site de vidéo à la demande par abonnement (SVoD) du service public, que M. Laurent Ruquier a qualifié de « Netflix du culte ». Bien que la rentabilité et la maximisation du profit et des recettes commerciales n'aient pas été dans ce lancement notre préoccupation première, il s'agit bel et bien d'un relais de croissance dont nous permet de profiter notre statut d'EPIC.
Ce statut crée des droits mais aussi des devoirs, au premier rang desquels le devoir d'une gestion irréprochable, qu'il s'agisse de la gestion financière, immobilière ou de la gestion des ressources humaines. En termes de gestion financière, au-delà des péripéties qui ont émaillé la vie de l'institut ces derniers mois et de la question spécifique des dépenses des dirigeants qui ont fait l'objet d'une instruction particulière de la ministre de la culture et de la communication diffusée en juin dernier à tous les établissements publics culturels, l'INA dispose de marges de manoeuvre importantes en matière d'amélioration de la gestion et de contrôle de la dépense. En d'autres termes, l'établissement a de gros progrès à faire. La suppression de l'agence comptable en 2007 aurait dû s'accompagner de la mise en place d'autres moyens permettant de programmer et de surveiller la dépense. Je me suis donc résolument engagé dans ce vaste chantier de réforme de la gestion, car il y va de la crédibilité de l'établissement vis-à-vis de son actionnaire, de ses tutelles, du Parlement et, plus largement, de l'ensemble des citoyens.
Ce chantier inclut également la réforme de la gestion de l'achat public, domaine dans lequel il existait jusqu'à une période récente, du fait d'une jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne un peu fluctuante, un certain flou juridique sur la façon dont un EPIC était ou non soumis aux règles de l'achat public fixées par l'ordonnance du 6 juin 2005, selon l'évolution de la part de ses ressources propres. L'application de cette ordonnance et l'instruction de la ministre de la culture et de la communication de juin 2015 sur la maîtrise et la transparence des dépenses de dirigeants ont clarifié les choses et confirmé que l'INA devait se conformer aux règles de l'achat public. Il y trouvera d'ailleurs des avantages puisque cela lui permettra de mieux dépenser, de réaliser des économies et de dégager des marges de manoeuvre financières, grâce auxquelles il sera possible de financer, au-delà du COM, des investissements additionnels.