Mesdames et messieurs les députés, je commencerai mon exposé liminaire en soulignant trois caractéristiques de l'industrie automobile française, qui expliquent peut-être le désordre apparent que vous avez noté.
Premièrement, l'industrie automobile intègre les progrès issus de beaucoup d'autres industries. Les voitures actuelles ne sont pas différentes dans leur base de la première voiture mise au point par Benz en 1886, il y a cent vingt-neuf ans : quatre roues, un châssis, un moteur, des sièges, un mécanisme de direction, un mécanisme de freinage. En revanche, je ne connais pas un progrès dans le domaine des process industriels ou des technologies qui ne se soit pas appliqué à l'automobile. L'automobile met en oeuvre un process de fabrication, issu du fordisme, qui est à la pointe des systèmes d'automatisation, d'intégration et de réduction des coûts. De ce fait, s'il y a quelques activités spécifiques à l'industrie automobile au sein du PIA, elle est d'abord prise en compte en tant que bénéficiaire directe ou indirecte de technologies d'autres industries.
Deuxièmement, le facteur essentiel dans l'industrie automobile est la réduction des coûts, alors que dans d'autres secteurs technologiques – l'aviation ou l'industrie militaire, par exemple –, cette contrainte est beaucoup moins pesante. Si toutes les nouvelles technologies sont intégrées par l'industrie automobile, elles ne le sont bien souvent qu'après que d'autres secteurs ont géré les coûts liés à leur développement. Les matériaux composites comme la fibre de carbone commencent à y être employés mais en décalage par rapport à l'aéronautique car ils sont beaucoup plus chers que les matériaux qu'elle emploie traditionnellement. Il en va de même pour l'aluminium : il constitue un facteur de progrès puisqu'il contribue à alléger le poids des véhicules, mais comme il reste plus cher que l'acier, il est utilisé avec un décalage temporel. Comme les actions du CGI concernent le développement de nouvelles techniques ou de nouveaux matériaux, elles interviennent en amont, avant que l'industrie de l'automobile ne commence à les intégrer quand leur coût est devenu acceptable.
Troisièmement, en France, la coopération dans l'industrie automobile n'est pas facile à établir et à développer. Il existe deux grands constructeurs. Quand j'étais responsable de l'un d'eux, j'avais coutume de dire que l'autre était le plus proche de nos concurrents, autrement dit le concurrent que l'on avait envie de battre en premier. Dès lors qu'on approche d'une technique commerciale, chacun garde sa copie. Dans l'aéronautique, il existe dans notre pays un constructeur d'avions civils, un constructeur d'hélicoptères et les coopérations avec l'État sont plus faciles. En outre, derrière ces deux constructeurs automobiles, il y a les grands équipementiers, qui ont remarquablement réussi – beaucoup mieux qu'on ne l'imaginait, il y a quelques années : Valeo, Faurecia, Plastic Omnium, Michelin – mais il n'y a pas, comme en Allemagne, de coopération structurée tout au long de la filière. Je pense que c'est l'une des faiblesses de l'industrie automobile française. Les constructeurs français mettent beaucoup plus en concurrence leurs fournisseurs que ne le faisaient traditionnellement les constructeurs allemands – qui sont en train de changer d'orientation. La coopération entre les très grandes entreprises, les grandes entreprises, les entreprises moyennes et les petites entreprises de la filière est donc beaucoup plus faible.
Ces trois caractéristiques expliquent que l'intervention du programme des investissements d'avenir dans le domaine de l'industrie automobile est moins importante qu'on pourrait le croire ou qu'on aimerait à l'imaginer, eu égard au poids de celle-ci dans l'économie de notre pays.
Ce cadre général posé, j'en viens aux chiffres. Le premier programme des investissements d'avenir a été doté de 35 milliards d'euros, le deuxième programme, de 12 milliards d'euros et le Président de la République a annoncé que le Gouvernement présenterait au Parlement un troisième programme des investissements d'avenir doté de 10 milliards en 2016. Sur les deux premiers programmes, totalisant 47 milliards de crédits, 36 milliards ont été engagés, c'est-à-dire ont donné lieu à une décision d'affectation de principe du Premier ministre ; 31 milliards ont été contractualisés, c'est-à-dire ont donné lieu à un accord avec le bénéficiaire de l'aide sur un projet donné ; et 12,6 milliards ont été effectivement décaissés, le rythme de décaissement étant, à vrai dire, plus lent qu'on ne l'avait imaginé à l'origine.
Je ne suis pas capable de vous préciser quelles sommes sur ces montants sont destinées à l'industrie automobile, notamment en raison de la première caractéristique que j'ai rappelée, à savoir que cette industrie intégrant de nombreuses technologies d'autres industries, elle bénéficie en aval du fruit de recherches menées dans d'autres domaines.
Dans le cadre de ces programmes, nous avons créé des institutions qui ont pour objet de faire coopérer recherche publique et recherche privée : les instituts pour la transition énergétique (ITE), les instituts de recherche technologique (IRT). Certains concernent directement ou indirectement l'industrie automobile.
L'ITE qui la concerne le plus directement est VeDeCOM, Institut du véhicule décarboné et communicant et de sa mobilité, qui a pour objet de développer les innovations dans le domaine des véhicules électrifiés, des véhicules autonomes et connectés et des infrastructures de service et de mobilité qui y sont liés. Sont membres fondateurs de cet institut, qui associe partenaires privés et publics, les deux constructeurs français et de grands équipementiers. Le PIA lui a attribué une dotation de 119 millions d'euros et le secteur privé a apporté la même somme.
Autre institut lié à l'industrie automobile, l'IRT Jules Verne. Situé à Nantes, il se consacre aux technologies avancées de production de composites métalliques et de structures hybrides et se situe donc dans une logique de progrès des technologies de fabrication des véhicules et de matériaux. Grands constructeurs et équipementiers participent à son financement et nous lui avons apporté un équivalent-subvention de 115 millions d'euros.
Citons encore l'IRT SystemX, en région parisienne, qui travaille sur l'ingénierie numérique des systèmes, les infrastructures numériques, les territoires intelligents et le transport autonome. PSA, Renault et Valeo en sont partenaires et le PIA lui a apporté 130 millions d'euros. L'industrie automobile ne représente qu'une petite part de ses activités.
J'en viens, enfin, à l'IRT M2P, en Lorraine, dont les recherches concernent les matériaux. Nous lui avons apporté une aide totale qui représente l'équivalent de 50 millions d'euros. Là encore, je ne saurais dire la part propre à l'automobile.
Il existe un second domaine où le PIA intervient pour l'industrie automobile : l'accompagnement de projets de recherche et de développement collaboratif qui lui permettent de progresser. Sur une enveloppe de 1,1 milliard d'euros consacrée à la thématique générale du transport, il existe une sous-enveloppe de 750 millions gérée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) consacrée aux véhicules du futur. Sur ce total, nous n'avons dépensé que 350 millions en net, en raison non d'une volonté de ne pas dépenser d'argent, mais d'un nombre insuffisant de projets de qualité. L'exigence à laquelle s'astreint le PIA ne lui fait retenir, vous le savez, que les projets réunissant les trois critères que sont l'excellence, l'innovation et la coopération, les décisions étant prises à la suite d'avis d'experts indépendants et d'une instruction ministérielle. À ces 350 millions, il faut ajouter 100 millions correspondant à des projets abandonnés en cours de route pour différentes raisons.
Nous avons retenu quarante-trois projets, dotés d'une aide du PIA se situant en moyenne aux alentours de 8 millions. Tous comportent une dimension d'efficience énergétique. Ils visent, par exemple, à améliorer les rendements des moteurs en développant des techniques plus pointues d'hybridation ou en allégeant le poids des véhicules. Ces projets sont assortis d'un cahier des charges et d'un échéancier précis, que nous suivons de près.
Toutes ces recherches s'intègrent dans l'objectif global de la mise au point d'un véhicule consommant deux litres aux 100 kilomètres à un prix abordable. La précision est importante car tout l'enjeu pour les constructeurs est de pouvoir produire des véhicules achetables, alliant prestations satisfaisantes et prix accessibles. Tous sont en mesure de mettre au point des véhicules consommant un litre par 100 kilomètres – il y a même des compétitions de sobriété énergétique en Chine où l'on descend à 0,20 litre aux 100. Il s'agit toutefois avant tout de démonstrateurs technologiques qui ont pour vocation de rassembler une série de techniques et non d'être disponibles chez les concessionnaires car leurs prix seraient hors de portée des consommateurs.
Par ailleurs, le PIA touche l'industrie automobile à travers les aides aux PME distribuées par Bpifrance et les aides relatives à la formation professionnelle.
Enfin, nous avons une coopération avec les pôles de compétitivité, dont certains concernent l'industrie automobile, mais qui ne donne pas lieu à une aide spécifique s'ajoutant à d'autres aides.
Vous avez fait référence, madame la présidente, aux propos que j'ai tenus devant les représentants de l'industrie automobile. Ma responsabilité de commissaire général est d'assurer un bon emploi des fonds que je dois allouer et j'ai effectivement déclaré que si l'industrie automobile ne nous soumettait pas de bons projets, nous affecterions nos aides à des projets autres que les siens. Cela me paraît être une règle de bon sens.