Sur quelques points, je demanderai à Jean-Luc Moullet, directeur du programme « Compétitivité, filières industrielles et transports » au Commissariat général à l'investissement, de vous donner des réponses, qui seront plus précises que les miennes. Deuxième remarque préalable : je ne suis plus actif dans l'industrie automobile depuis 2005, ce qui fait tout de même dix ans.
Parlons d'abord de l'affaire Volkswagen, qui appelle quelques développements techniques.
Tous les cinq ans en Europe comme aux États-Unis, il y a un durcissement des normes de dépollution et, depuis une période plus récente, la Commission européenne nous demande de réduire la consommation moyenne des véhicules, qui est mesurée par le nombre de grammes de CO2 émis au kilomètre. Ces deux objectifs sont partiellement en conflit. Je veux dire par là que la dépollution d'un véhicule est plus facile et moins chère à opérer pour un véhicule à essence : une fois un pot catalytique installé, les coûts ne sont pas très élevés. En revanche, la dépollution d'un véhicule diesel est beaucoup plus coûteuse. Les constructeurs sont ainsi conduits à un arbitrage délicat dans leurs efforts entre réduction du CO2, que permettent les moteurs diesel, et réduction des polluants – oxydes d'azote, particules fines, hydrocarbures à brûler.
À mesure que les normes de dépollution deviennent plus sévères, l'écart de prix entre un véhicule diesel et un véhicule à essence augmente et engendre un surcoût pour le diesel. Ma vision, à l'époque où j'étais dans l'industrie automobile, était qu'à terme, les normes de dépollution du diesel et de l'essence devaient converger, autrement dit qu'on devait arriver à un moment où le diesel, sans doute irremplaçable pour les transports lourds, ne polluerait pas plus que l'essence, tout en continuant à consommer moins.
Il est difficile de dépolluer les véhicules diesel, qu'il s'agisse de camions ou des automobiles. Et cette contrainte a abouti à une affaire analogue à l'affaire Volkswagen, aux États-Unis en 1998, pour ce qui concerne les camions. Afin de réduire des émissions d'oxydes d'azote, plusieurs technologies peuvent être utilisées. Il y a d'abord la recirculation des gaz d'échappement, système de dépollution efficace jusqu'à un certain point. Il apparaît suffisant au regard des normes européennes actuelles mais atteignait déjà ses limites compte tenu du seuil applicable en 1996 aux États-Unis. Il y a une autre technologie : l'addition d'urée, plus chère et plus contraignante pour l'usager car elle nécessite l'installation d'un deuxième réservoir à remplir régulièrement. Les constructeurs de camions aux États-Unis s'étaient, dans les années quatre-vingt-dix, interrogés sur la meilleure technologie à employer : devait-on tirer jusqu'à son terme la technologie de la recirculation des gaz d'échappement ou bien sauter le pas et passer à l'injection d'urée ? Presque tous les constructeurs ont choisi de faire ce saut. Un seul constructeur de moteurs – il faut préciser qu'aux États-Unis, les constructeurs de moteurs se distinguent des constructeurs de véhicules – a fait le pari de continuer à utiliser la recirculation. Il a vite dû constater que ses moteurs ne permettaient pas d'être en conformité avec le nouveau seuil et a eu recours au même procédé que Volkswagen en installant un petit programme capable de réduire la puissance du moteur en situation de test de façon à répondre aux normes. La supercherie a été découverte et le constructeur a dû payer 1 milliard de dollars d'amende.
Pour les automobiles aussi, les normes applicables au diesel sont plus sévères aux États-Unis qu'en France ou en Europe. Les constructeurs automobiles se sont retrouvés confrontés aux mêmes problèmes que les constructeurs de camions quinze ans plus tôt et le même scénario s'est reproduit : deux constructeurs ont choisi la technologie de l'urée – Mercedes et BMW –, un autre a choisi la recirculation et a triché de la même manière –Volkswagen. L'incitation à utiliser la vieille technologie était cependant encore plus forte que pour les camions car remplir un second réservoir est plus contraignant pour les automobilistes. Les professionnels routiers acceptent plus volontiers de s'arrêter tous les x kilomètres que les conducteurs particuliers, qui ont perdu l'habitude de s'astreindre à ce genre de choses. Aujourd'hui, plus personne n'accepterait de faire une vidange tous les 1 500 kilomètres.
Pourquoi ai-je dit n'avoir pas été surpris que cette tricherie ait eu lieu chez Volkswagen et pas chez un autre constructeur ? Cette entreprise, que je connaissais bien, a connu une grande réussite industrielle : il y a dix ans, elle valait moins que Renault en bourse ; aujourd'hui, elle est le premier constructeur mondial. Trois traits principaux marquaient sa culture : premièrement, elle était animée d'une telle volonté de réussite entrepreneuriale que tout obstacle était considéré comme illégitime – dès lors, tricher n'apparaissait pas comme un vrai péché ; deuxièmement, personne ne pouvait contredire les ordres donnés par le chef ; troisièmement, il était impossible d'avouer que l'on n'avait pas réussi à exécuter lesdits ordres. Dans ces conditions, vous pouvez aisément imaginer que si le chef a dit qu'il ne fallait pas contraindre le conducteur avec un réservoir supplémentaire, qui risquait de dégrader la performance et d'accroître les coûts, les salariés ont répondu qu'ils y arriveraient car c'était à la limite du possible. Je ne sais pas du tout qui a décidé de tricher, il y a une enquête en cours. Toutefois, il est clair que le mécanisme de la tricherie peut être enclenché dès lors que personne ne discute les ordres du chef et n'ose avouer qu'ils n'ont pas pu être mis en oeuvre.
Venons-en aux tests et aux normes en France en Europe. Par rapport aux tests américains, ils sont doublement plus faciles : premièrement, ils sont plus éloignés des conditions réelles de circulation ; deuxièmement, les valeurs de pollution qu'ils autorisent sont plus tolérantes pour le diesel, comme je l'ai dit. Pourquoi ? Ce n'est pas parce que nous aimons davantage la pollution en Europe mais parce que la baisse de la consommation est un non-sujet aux États-Unis où le carburant est trois à quatre fois moins cher qu'en Europe. Les constructeurs européens, eux, doivent en permanence faire un arbitrage entre consommation et pollution. La Commission elle-même recherche un équilibre entre ces deux variables dans les négociations. Il me paraît évident qu'après ce qui s'est passé aux États-Unis, il faut rendre les tests plus représentatifs, ce qui revient à les rendre plus sévères même si la quantité d'oxydes d'azote prise en compte ne change pas. Cela implique qu'il faudra construire de nouveaux moteurs, ce qui prendra deux à trois ans, et éliminer ceux qui ne peuvent être améliorés.
Je pense toujours que l'objectif à long terme est la convergence des normes de pollution applicables aux moteurs diesel et aux moteurs à essence. Cela se traduira par une plus grande difficulté à réduire les émissions de CO2 et la consommation au kilomètre des voitures, à puissance constante.
Après, on peut discuter sur le point de savoir si on a besoin d'avoir des voitures de 500 chevaux pour faire du 130 kilomètres l'heure. En réalité, le fait qu'il existe en Allemagne un millier de kilomètres d'autoroutes sans limitation de vitesse définit le standard automobile pour l'Europe et même pour le monde. Lorsque j'étais patron de Renault, j'étais le seul constructeur automobile à faire du lobbying contre cette exception à la limite générale de vitesse. Et cet isolement réduisait à néant mes chances de gagner, d'autant que les constructeurs allemands étaient en étroite liaison avec leur gouvernement.
Parlons maintenant de la filière industrielle. La Plateforme de la filière automobile constitue un progrès. Elle a un objet un peu différent du Conseil national de l'industrie, structure publique tout à fait utile mais qui est davantage un lieu de concertation entre l'État et les entreprises qu'un lieu de travail entre les entreprises elles-mêmes. Cependant, elle a des limites qui tiennent à ce trait français que j'ai souligné dans mon exposé liminaire : les constructeurs dans notre pays remettent en concurrence les fournisseurs au lieu d'entretenir une relation durable avec l'un d'eux en particulier. Ils vont, par exemple, mettre en concurrence Delphi, Nippon Denso et Bosch sur un système d'injection. La coopération est moins naturelle qu'en Allemagne où historiquement, les constructeurs se fournissaient chez Bosch et Siemens, ce qui faisait que toute la filière était industriellement intégrée : le dialogue était tout naturel entre des entreprises qui travaillaient continument ensemble.
Y a-t-il des redondances dans les structures ? Je ne le pense pas. Il y a d'un côté, une organisation qui rassemble les entreprises, la Plateforme de la filière automobile ; il y a de l'autre, le CNI. Le nombre de réunions n'est pas tel que les constructeurs y gaspillent leur temps. Plus ils se voient, mieux c'est. Nous n'avons pas d'inquiétudes à avoir sur un excès de dialogue. Dans mes nouvelles fonctions, j'ai essayé de les encourager à travailler encore plus ensemble. Il y a cependant des limites à cela, pour des raisons que j'ai exposées au début de notre réunion.
Abordons les questions liées au programme des investissements d'avenir lui-même. D'abord, madame la rapporteure, merci de vos compliments sur les améliorations que vous avez constatées. Nous essayons effectivement de simplifier et d'accélérer nos procédures. D'énormes progrès ont été enregistrés, notamment avec l'ADEME. Nous avons supprimé toutes les doubles instructions, nous avons allégé certaines procédures, en réduisant par exemple le nombre de pages que doivent comporter les dossiers des petits projets. Nous ne disposerons qu'au début de l'année prochaine d'un système de suivi automatique des délais entre dépôt du dossier et contractualisation de l'aide. Mon ambition est de parvenir à un délai de trois mois pour les projets simples. Aujourd'hui, ce délai n'est que rarement atteint et il vaut plutôt pour la durée qui sépare le dépôt du projet de la décision du Premier ministre ou du commissaire général d'accorder l'aide. Toutefois, depuis trois ou quatre ans, nos sondages ont montré que les délais avaient été divisés par trois ou quatre. C'est un progrès important car de trop longs délais présentent de multiples inconvénients : ils risquent de nuire à l'innovation, les projets se périmant vite dans un monde concurrentiel ; ils ne peuvent être supportés par les PME, qui, nous le savons, ont des problèmes de trésorerie ; enfin, ils risquent de décourager certains. Nous poursuivons nos efforts, mais il reste du chemin à parcourir.
Pourquoi avons-nous insisté sur l'année 2016 pour le PIA 3 ? Les crédits relatifs aux subventions et aux avances remboursables, qui entrent dans le déficit budgétaire au sens de Maastricht, et qui sont ceux qui suscitent le plus de compétition, auront été totalement engagés à la mi-2017. Si le PIA 3 était voté en 2017, il y aurait six mois de vide car il faut au moins six mois pour répartir les crédits, contractualiser avec les organismes, définir les procédures, lancer des appels à projets. Or l'on sait que lorsque l'on interrompt un processus, il y a un coût au redémarrage et une perte d'efficacité, comme dans les systèmes industriels. Un vote en 2016 éviterait une telle coupure.
Quant au rôle limité du PIA à l'égard de l'industrie automobile, j'en ai exposé les raisons aussi bien que je le pouvais dans mon propos introductif. L'automobile est souvent en second rang pour l'absorption de l'innovation, du fait de la contrainte des coûts. La structure compétitive entre Renault et PSA ainsi qu'entre les grands équipementiers rend plus difficile le travail coopératif, qui est la base du PIA. En d'autres temps, j'avais voulu que les deux grands constructeurs français explorent ensemble la possibilité de construire des moteurs hybrides diesel, mais comme l'un des deux pensait être plus avancé que l'autre, il n'avait pas envie de coopérer. L'esprit coopératif n'est pas encore suffisamment établi parmi les industriels pour qu'ils entrent volontiers dans un système de recherche collaborative.
Enfin, sur le manque de qualité des projets et les projets abandonnés, je vais laisser le soin à M. Jean-Luc Moullet de vous en dire plus. Par définition, ne me sont soumis que les projets de qualité : je ne vois pas passer les mauvais projets. Quant aux projets abandonnés, je n'en connais pas la liste.