Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires économiques, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi de M. de Mazières porte sur un sujet très important aux yeux du Gouvernement. Je vous le dis très simplement : les conditions de vie et, plus particulièrement, de logement de nos gendarmes et de nos militaires doivent être dignes de l’engagement sans faille dont ils témoignent jour après jour, particulièrement en cette période si difficile pour notre pays. Je tiens à les saluer. À l’heure où la liberté est menacée, où la communauté nationale peut sembler fragilisée, il faut plus que jamais rappeler le travail formidable réalisé par nos forces de l’ordre et nos forces armées.
Si nous partageons donc l’ambition initiale et la philosophie de cette proposition de loi, qui consiste à soutenir la rénovation des casernes de gendarmes et de militaires dégradées, vous vous doutez bien que nous ne partageons pas la proposition d’utiliser l’Agence nationale pour la rénovation urbaine pour ce faire.
Je tiens à vous rappeler, monsieur le rapporteur, que l’ANRU n’a pas été créée pour répondre à cette problématique, mais pour traduire une ambition politique. Cette ambition, qui était initialement celle de Jean-Louis Borloo, que je tiens à saluer, n’a pas été remise en question ; au contraire, elle a été relancée de manière très ambitieuse par le Gouvernement, à travers le nouveau programme national de renouvellement urbain. Il s’agit d’opérer une transformation profonde des quartiers prioritaires de la politique de la ville concentrant les difficultés sociales et présentant les dysfonctionnements urbains les plus importants en matière d’enclavement, de dégradation du bâti et des espaces publics, de déficit d’offre commerciale et de services, de difficultés d’accès aux activités économiques. Nous connaissons le diagnostic, et je crois que nous le partageons sans difficulté sur tous les bancs de cette assemblée. L’intervention de l’ANRU est donc nécessairement géographiquement située et circonscrite.
Le financement attribué par l’ANRU à ces fins est essentiel pour poursuivre la transformation de ces quartiers. Je vous rappelle que nous parlons de 200 quartiers prioritaires d’intérêt national et de 250 quartiers d’intérêt régional. La convention tripartite signée le 2 octobre dernier entre l’État – votre serviteur –, Action Logement et l’ANRU permet de financer le NPNRU sur des bases consensuelles, même si elles ont été difficiles à négocier. Cette convention prévoit 5 milliards d’euros d’équivalent-subvention, avec des versements jusqu’en 2031. Cela représentera environ 20 milliards d’euros de travaux, ce qui est considérable. Les solutions de trésorerie sont désormais positionnées pour soutenir l’accélération rapide de la montée en charge du NPNRU, ce dont je me félicite.
Cette enveloppe de 5 milliards d’euros a déjà été intégralement répartie entre les projets de renouvellement urbain d’intérêt national et régional. Un prélèvement sur cette enveloppe pénaliserait donc les projets en cours. Il n’apparaît pas souhaitable d’imputer cela sur les programmes de rénovation urbaine qu’attendent légitimement des millions de nos concitoyens – les plus modestes – pour vivre mieux dans leur quartier.
Chacun sait bien que le financement du programme de rénovation urbaine repose quasi exclusivement, depuis 2009, sur Action Logement, dont la première mission est le logement des salariés des entreprises privées, notamment celles qui cotisent au fameux 1 % logement. Si l’ANRU devait intervenir pour financer la rénovation des casernes, il y a fort à craindre qu’Action Logement serait amenée à revoir ses conditions de financement de l’agence. Ce serait légitime, mais particulièrement préjudiciable. Nous risquons donc de susciter un véritable conflit avec nos amis d’Action Logement, qui serait difficilement surmontable.
Vous l’avez compris : le Gouvernement ne soutient pas l’utilisation de l’outil qu’est l’ANRU. Je veux néanmoins rappeler, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, ce que nous avons fait en faveur des logements des gendarmes et des militaires depuis 2012, sous l’autorité, notamment, de Jean-Yves Le Drian.
Un plan immobilier 2015-2020 relatif aux casernes domaniales a été programmé par le ministère de l’intérieur et prévoit de consacrer 70 millions d’euros par an, sur trois ans, à des travaux de réhabilitation lourde. Au total, 210 millions d’euros seront donc engagés.
Le ministère de la défense porte une action ambitieuse pour répondre à une situation qui s’est dégradée et dont il a parfaitement conscience. À la fin des années 1990, un plan global de réhabilitation des casernements de l’armée de terre, le plan Vivien, a été défini. Il a permis d’améliorer les conditions de vie de près de 10 000 sous-officiers et de 40 000 militaires du rang. Les investissements financiers qui y ont été consacrés se sont élevés à plus de 1,1 milliard d’euros.
En 2014, le ministre de la défense a décidé, après une visite dans la garnison de Montlhéry, dans l’Essonne, la mise en place d’un plan de rénovation des conditions de vie pour remettre à niveau les infrastructures qui avaient pâti de ressources contraintes lors des années précédentes. Ce plan vise à traiter près de 700 opérations, pour un montant total de 560 millions d’euros jusqu’à 2020, avec un flux annuel de l’ordre de 70 millions d’euros. Depuis sa mise en place, plus de 150 opérations ont été traitées et 185 sont en cours.
Enfin, même s’il ne correspond pas totalement à la catégorie de logements visée dans cette proposition de loi, on peut mentionner l’effort entrepris par le ministère pour rénover les logements de son parc domanial, dont la vétusté est avérée. Il se monte à 25 millions d’euros pour 2015 ; 20 millions d’euros sont prévus, en moyenne, pour les cinq prochaines années.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les députés : les ministères concernés au premier chef ont bien conscience de l’enjeu que représente la rénovation de leur patrimoine. Ils vont dans votre sens, monsieur le rapporteur.
Je précise en outre qu’en tant qu’établissement public, l’ANRU ne peut se substituer aux ministères ayant la tutelle des militaires pour le financement de leurs logements sociaux, qui dépendent du groupe Société nationale immobilière – SNI –, que vous connaissez bien et qui est un élément majeur de l’intervention de la Caisse des dépôts et consignations.
Cela dit, comme l’ont indiqué François Pupponi, le président de l’ANRU, et Daniel Goldberg lors de l’examen de cette proposition de loi en commission, le ministère de la ville et l’ANRU soutiennent, chaque fois qu’ils le peuvent, la réhabilitation de casernes dans ou à proximité des quartiers prioritaires de la politique de la ville. J’en veux pour preuve concrète que nous accompagnons, en ce moment même, la rénovation en cours de la caserne de Melun. Une vente de foncier est envisagée dans l’enceinte de la caserne pour permettre la réalisation de projets compatibles avec le programme de renouvellement urbain voisin et le financement des travaux de la caserne elle-même. En l’espèce, monsieur le rapporteur, nous n’avons pas eu besoin de passer par la loi.
L’exemple de Melun montre que des solutions peuvent être recherchées autour de la valorisation foncière. Lorsqu’une caserne se situe à l’intérieur d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, la mobilisation des fonciers disponibles permettrait de développer utilement des projets de diversification de l’habitat, des projets d’accession à la propriété, ou des projets économiques, par exemple. Les recettes générées par la vente de ces fonciers permettraient d’envisager la rénovation de bâtiments. Nous y sommes très intéressés.
Autre exemple : lorsque la caserne est située hors d’un quartier prioritaire de la politique de la ville, la mobilisation de foncier permettrait de reconstituer une partie des logements sociaux démolis dans le cadre de la rénovation urbaine, générant là aussi des recettes pour la rénovation des casernes. Je rappelle en effet que nous assumons la nécessité de reconstituer désormais, sauf dérogation spécifique, l’intégralité de l’offre de logements sociaux hors site, dans le cadre d’un programme d’habitat diversifié n’accueillant pas que du logement social.
En tout état de cause, il est nécessaire de procéder à une analyse fine, dossier par dossier, dans la subsidiarité, afin de définir au mieux les modalités d’interventions possibles et souhaitables. C’est la raison pour laquelle je souscris pleinement à la volonté du président de l’ANRU, François Pupponi, de convoquer rapidement une réunion sur ce sujet, pour déterminer la liste des casernes qui pourraient être concernées par ces programmes, afin de régler rapidement certaines situations particulièrement urgentes.
Je veux également vous dire, et c’est bien là la preuve de l’engagement du Gouvernement à traiter cette question, qu’une convention cadre de partenariat entre les ministères de l’intérieur, du logement et de la ville, relative au logement des militaires de la gendarmerie et de leurs familles est en préparation, dans le périmètre de mon action. Son objectif est de conforter l’action engagée par le ministère de l’intérieur dans le cadre du Plan d’urgence immobilière en favorisant l’émergence de projets d’amélioration des conditions d’habitat.
Pour conclure, je veux vous assurer, mesdames, messieurs les députés, de mon entière disponibilité et de celle de mes services pour approfondir à vos côtés cette réflexion au cas par cas. Mais vous comprendrez que je ne puisse pas donner d’avis favorable du Gouvernement à cette proposition qui met le doigt sur un sujet d’importance, mais n’apporte pas la solution opérationnelle adaptée.