Je vous remercie de nous auditionner comme nous l'avons souhaité, estimant être en mesure d'apporter une contribution au débat portant sur l'avenir des transports propres en France. L'AFHYPAC est une association regroupant de nombreux membres de la filière industrielle et de la recherche en France, et représentant toute la chaîne de valeur de l'hydrogène énergie ; on y trouve de grands groupes tels qu'Air Liquide ou Michelin, ENGIE, GRTgaz, Siemens, mais aussi des PME comme Symbio, McPhy, HASKEL, Hydrogène de France, et de grands laboratoires de recherche tels que le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) ou le CNRS. Elle a récemment été rejointe par le Conseil national des professions de l'automobile (CNPA), ce qui montre l'intérêt de la filière automobile française pour le développement de l'hydrogène énergie.
Si votre mission s'intéresse spécifiquement à la problématique du transport, la technologie de l'hydrogène représente une solution globale et même incontournable pour la décarbonisation du transport, mais aussi de l'énergie : elle répond aux deux grands enjeux de la transition énergétique que sont le transport propre et l'intégration des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Il faut donc bien avoir à l'esprit que le développement des marchés de masse tel celui de la mobilité propre va également permettre, à terme, d'engendrer une rentabilité économique effective de l'intégration des renouvelables, puisque l'hydrogène est l'un des moyens les plus efficaces de stocker l'énergie renouvelable en grande quantité et sur la durée.
Il ne me paraît pas inutile de rappeler brièvement comment nous produisons l'hydrogène-énergie. Aujourd'hui, l'hydrogène est produit à 95 % par un procédé de reformage du gaz naturel, consistant à casser la molécule CH4 – le méthane – pour obtenir de l'hydrogène d'une part, du CO2 de l'autre. Il s'agit d'une production industrielle de masse, pratiquée essentiellement par les raffineurs, qui désulfurent le gaz de synthèse obtenu afin de réduire la pollution engendrée par les gaz carburants. L'inconvénient de ce procédé est qu'il produit du CO2 : l'utilisation de l'hydrogène carboné dans les véhicules électriques à hydrogène – le bilan CO2 « du puits à la roue » – se traduit par une réduction globale des émissions de CO2 de 20 % à 30 %, ce qui demeure insatisfaisant. Pour décarboner la molécule d'hydrogène, il faut soit utiliser du biométhane à la place du gaz naturel, ce qui ne pose pas de problèmes sur le plan technologique, soit casser des molécules d'eau par un procédé d'électrolyse de l'eau pour obtenir des molécules H2 d'une part, O2 de l'autre ; à condition d'utiliser de l'électricité renouvelable – obtenue non pas à partir d'énergies fossiles, mais du vent ou du soleil, par exemple – pour effectuer l'électrolyse, on produit un hydrogène parfaitement propre.
Pour ce qui est du véhicule à hydrogène, c'est un véhicule électrique ayant exactement les mêmes propriétés qu'un véhicule à batteries. Sa seule particularité étant de disposer d'une réserve d'énergie embarquée sous la forme d'un stockage d'hydrogène, destiné à alimenter une pile à combustible. En combinant l'hydrogène à l'oxygène, on provoque une réaction d'oxydation de l'hydrogène, et une production d'électricité qui va servir à alimenter le moteur du véhicule. Dans la mesure où l'on effectue une opération exactement inverse à celle de l'électrolyse de l'eau, le seul résidu obtenu est de la vapeur d'eau : on ne produit aucun oxyde d'azote (NOx), aucun polluant, aucune particule fine. L'autonomie est aujourd'hui de l'ordre de 500 à 600 kilomètres – ce sera demain 700 à 800 kilomètres –, et l'utilisateur peut faire le plein d'hydrogène aussi simplement qu'il fait son plein d'essence aujourd'hui, en trois à cinq minutes. Le véhicule à hydrogène combine donc le meilleur des deux mondes en étant aussi simple à utiliser qu'un véhicule à moteur thermique, et beaucoup plus écologique.
Aujourd'hui, il n'y a plus aucune raison de se demander si cette technologie est mature ou non : elle l'est incontestablement. J'en veux pour preuve que de grands constructeurs tels que Toyota, Hyundai et Honda ont mis sur le marché des véhicules basés sur cette technologie, et que ces véhicules roulent sans problème. J'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas de prototypes, mais de véhicules de série – certes, nous parlons ici de petites séries, ce qui explique le coût encore relativement élevé de ces véhicules : il faut compter environ 60 000 euros pour un SUV.
L'un des freins au développement de cette technologie est la problématique de l'approvisionnement en hydrogène des véhicules, qui suppose la mise en place d'une infrastructure adaptée. Un certain nombre de pays ont réglé cette question de manière volontariste. Ainsi, l'Allemagne a lancé un grand plan de déploiement des infrastructures grâce à un partenariat public-privé : un fort soutien public a été accordé en contrepartie d'un engagement des industriels de mettre de l'argent sur la table. Le gouvernement japonais a également fait preuve de sa volonté de déployer l'infrastructure d'approvisionnement. Le Department of Energy (DOE) américain a soutenu très fortement le lancement de la technologie hydrogène sur le marché. La Californie a ainsi mis en place un programme aux termes duquel les constructeurs doivent s'engager à mettre sur le marché un certain quota de véhicules propres – c'est-à-dire de véhicules électriques à batteries ou à hydrogène. Le Danemark s'est doté d'un réseau de cinq stations couvrant tout son territoire – ce qui est plus facile puisqu'il s'agit d'un relativement petit pays – et produisant l'hydrogène sur place, à partir de l'électrolyse de l'eau, ce qui permet à une petite flotte de véhicules de circuler au Danemark.
Pour ce qui est de la rentabilité économique, on peut penser que si les constructeurs automobiles ont investi des millions dans le développement de cette technologie, c'est qu'ils espèrent bien en tirer profit. Toyota a récemment annoncé son intention de passer sa production à 20 000 ou 30 000 véhicules dans les trois prochaines années.
La rentabilité de l'infrastructure constitue une problématique certaine. Air Liquide a décidé d'investir en partant du principe selon lequel la rentabilité dépend du taux de charge de la station : à partir du moment où des véhicules roulent à l'hydrogène, il existe un marché et le modèle devient rentable, ce qui justifie que nous fassions tant d'efforts pour développer cette technologie. Nous avons investi dans le consortium allemand, mais aussi en France, au Japon, au Danemark et aux États-Unis, c'est-à-dire dans tous les pays où le déploiement des technologies basées sur l'hydrogène énergie bénéficie d'un soutien public.
Au bout du tunnel, la rentabilité économique du modèle est au rendez-vous, mais avant d'en arriver là, il faudra franchir ce que nous appelons la « Vallée de la Mort » : à l'horizon 2020 ou 2025, les choses sont très compliquées puisque l'hydrogène n'est encore qu'une énergie de substitution. Cela dit, si la volonté politique de décarboner la société, notamment les transports, à l'horizon 2050, se confirme, elle nécessitera une électrification générale des transports par le recours à deux solutions non pas opposées, mais complémentaires, à savoir la batterie pour les transports urbains et l'hydrogène pour les trajets sur une plus longue distance.