Intervention de Erwann Binet

Réunion du 2 décembre 2015 à 10h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaErwann Binet, rapporteur :

Notre commission s'apprête à examiner dans des conditions assez inhabituelles le projet de loi relatif à l'information de l'administration par l'institution judiciaire et à la protection des mineurs. Les délais procéduraux sont très courts, puisque le Conseil des ministres a examiné ce texte le 25 novembre, que nous l'examinons en commission aujourd'hui et qu'il est inscrit à l'ordre du jour de la séance publique du mardi 8 décembre.

Cela étant, les quatre articles qu'il comprend, si j'écarte celui relatif à l'application dans les territoires ultramarins, sont connus depuis bien longtemps.

Au printemps dernier, deux affaires particulièrement sordides sont survenues dans des établissements scolaires, à Villefontaine dans l'Isère et à Orgères en Ille-et-Vilaine. Au-delà de l'indignation que suscite toujours légitimement ces actes, toute la France a été choquée d'apprendre, au mois d'avril dernier, que des protagonistes, condamnés précédemment pour détention d'images pédopornographiques et pour recel de biens provenant de la diffusion d'images pédopornographiques, avaient pu continuer à travailler dans un environnement scolaire, au contact de mineurs, sans qu'aucune mesure de prévention ne soit prise pour les en empêcher.

Nous pouvons être satisfaits de constater que tout a été mis en oeuvre, et assez rapidement, pour que ce genre de dysfonctionnement ne se reproduise pas. Tout le monde s'est mobilisé, à tous les niveaux, pour corriger les failles de notre système dans l'objectif de sécuriser autant que possible l'environnement dans lequel évoluent nos enfants.

Tout le monde, ce sont d'abord les acteurs de terrain, c'est-à-dire les magistrats du ministère de la Justice et les personnels du ministère de L'Éducation nationale. Je précise que Najat Vallaud-Belkacem et Christiane Taubira seront toutes deux présentes en séance, mardi prochain, lors de l'examen du projet de loi. Une inspection conjointe aux deux ministères a été diligentée après la révélation des affaires de Villefontaine et d'Orgères. Elle a rendu deux rapports en quelques mois, l'un sur les faits précis et les manquements spécifiques à ces deux cas, l'autre sur la base d'une mission plus générale, sur les liens entre Justice et Éducation nationale. Ces deux rapports ont pointé des lacunes dans l'organisation des services ainsi que des imprécisions dans notre législation. Une circulaire conjointe a été adressée le 16 septembre 2015 aux juridictions et aux rectorats. Il y a désormais, auprès de chaque procureur et de chaque recteur, des référents désignés pour échanger sur les condamnations judiciaires prononcées à l'encontre des membres de l'Éducation nationale.

Les rapports avaient également pointé des insuffisances dans la législation. Les parlementaires ont donc, à leur tour, pris leurs responsabilités, indépendamment de toute obédience partisane. L'Assemblée nationale a tenté d'aller au plus vite en adoptant un dispositif complet, par voie d'amendement, dans le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne. Mais, comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a censuré l'article 33 de ce texte, considérant qu'il s'agissait d'un cavalier législatif.

Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui n'est donc pas, comme je l'indiquais au début de mon intervention, un inconnu. L'Assemblée nationale avait adopté ses quatre articles en séance publique le 24 juin dernier, trois sur la base d'amendements gouvernementaux et un quatrième sur la proposition de nos collègues Claude de Ganay et Guy Geoffroy, quatrième dispositif qui a d'ailleurs fait l'objet d'une proposition de loi adoptée à l'unanimité la semaine dernière par notre Commission et qui sera examinée en séance publique jeudi matin. En tant que rapporteur, Dominique Raimbourg avait apporté de nombreuses améliorations à ces articles, et je tiens à l'en remercier.

Par conséquent, le projet de loi que nous examinons aujourd'hui n'appelle que peu de commentaires de ma part et, comme vous le constaterez, je n'ai pas souhaité lui apporter de modifications majeures. Les mécanismes insérés dans le code de procédure pénale, le code du sport, le code de l'éducation et le code de l'action sociale et des familles sont, je pense, de nature à susciter le consensus.

Je souhaiterais simplement vous rappeler nos questionnements, l'été dernier, au moment de la première discussion de ces articles, et principalement de l'article 1er. Beaucoup, sur tous les bancs, avaient appelé à la nécessaire conciliation de la protection de la société en général, et des mineurs en particulier, avec la préservation de la présomption d'innocence. C'est un débat absolument fondamental.

Bien sûr, quand un individu est condamné pour des actes odieux, il faut que l'administration en soit informée pour prendre toutes les dispositions propres à éviter une récidive. Mais de nombreuses questions faisaient légitimement débat. Que faire, par exemple, quand la condamnation n'est pas prononcée, ou quand elle n'est pas définitive ? Fallait-il une automaticité de la sanction disciplinaire à l'issue de la procédure pénale ? Était-il juste d'instituer une communication avec l'administration pour surveiller les fonctionnaires alors que les employés du secteur privé pouvaient échapper à toute surveillance ? Nous disposons aujourd'hui de l'avis du Conseil d'État – ce n'était pas le cas cet été – qui permet de rassurer sur l'ensemble de ces points.

Je crois que la rédaction qui nous est proposée aujourd'hui répond à ces interrogations en proposant deux dispositifs distincts. L'un, général, permet aux procureurs de prendre l'initiative de prévenir une administration, une personne morale chargée d'un service public, ou un ordre professionnel, de l'existence de poursuites ou d'une condamnation contre un individu pour toute infraction sanctionnée d'un emprisonnement. L'autre, spécifiquement axée sur la protection des mineurs, rend cette communication obligatoire en cas de condamnation ou de contrôle judiciaire, et l'autorise même au stade de l'enquête en cas d'indices graves ou concordants laissant craindre la commission d'une des infractions limitativement énumérées. Une série de garanties est offerte à la personne concernée, qui est prévenue et bénéficie des droits classiques de la défense devant son administration. Par ailleurs, un retrait de l'information du dossier est prévu si la procédure ne débouche pas sur une condamnation.

Mes chers collègues, nous avons devant nous un texte attendu par les familles, l'administration et l'autorité judiciaire, qui devrait éviter que se reproduisent des drames comme ceux que nous avons vécus au printemps dernier, sans pour autant instaurer un régime de suspicion où la sanction administrative viendrait se substituer à l'action pénale. Nous avons aussi devant nous, je l'espère, un texte aussi consensuel que celui de la semaine dernière et qui saura recueillir l'unanimité de la commission des Lois.

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