C'est avec un sentiment d'urgence que nous vous présentons aujourd'hui ce rapport sur la situation en Libye.
D'abord en raison de l'importance stratégique de cette crise pour la France et l'Europe. La Libye, pas plus que la Syrie, ne sont des questions lointaines, bien au contraire. Le premier message de ce rapport est que l'instabilité de notre voisinage nous concerne au premier chef.
Parce que la détermination dont nous faisons preuve pour éradiquer la menace terroriste en Irak ou en Syrie, restera vaine tant que des États faillis leur offriront un repli stratégique. Nous l'avons vu avec Al-Qaida dont le centre de gravité a migré vers la péninsule arabique, la Corne de l'Afrique et le Sahel. Le scénario à l'oeuvre sous « l'ère Al-Qaida » se reproduit sous nos yeux en Libye. Dans ce pays, Daech contrôle désormais 200km de côtes autour de Syrte, l'ancien berceau du régime de Kadhafi, et pourrait s'étendre à la faveur du vide politique qui s'installe dans le pays.
Considérer la Libye comme un conflit secondaire revient par conséquent à commettre une erreur stratégique grave, que nous pourrions chèrement payer : si nous échouons à stabiliser la Libye, attendons-nous à ce que Syrte succède à Raqqa comme capitale de l'État islamique. A deux heures des côtes européennes, un pays surarmé pourrait être menacé d'implosion si le conflit persiste. Nos interlocuteurs ont même parlé de somalisation, d'irakisation de la Libye.
Le deuxième constat de ce rapport, c'est que seule une voie politique permettra aux libyens de sortir de ce que certains appellent la « deuxième guerre civile ». L'urgence c'est donc aussi et avant tout celle de la signature d'un accord.
Cet accord entre Tripoli et Tobrouk est possible, il a été paraphé, et un gouvernement d'union nationale annoncé en octobre dernier. Pourtant, les deux Parlements rivaux de Tobrouk et Tripoli l'ont rejeté. Nous sommes donc au point de bascule où l'accord est à portée de main mais où les plus extrêmes, qui ont intérêt au statu quo, prennent en otage les négociations. La Libye est aujourd'hui à un tournant de son histoire : elle a le choix entre « l'accord et la destruction ».
Soit un accord politique solide est atteint et le gouvernement d'union nationale parvient, avec le soutien de la communauté internationale, à asseoir sa légitimité et à stabiliser le pays.
Soit les forces centrifuges, qui ont un intérêt direct à la partition etou à la fragmentation du pays l'emportent. Dans cette hypothèse, c'est le pourrissement durable d'un conflit dans lequel aucune des parties n'est en mesure de l'emporter, qui est le plus à craindre, car il pourrait remettre l'existence même de la Libye en question, mais aussi la stabilité de l'ensemble de la région. Ce scenario catastrophe n'est évidemment pas à exclure.
Il n'y a pourtant pas d'inexorabilité au conflit et à la fragmentation. Il y a d'abord de réels facteurs d'unité en Libye – la population elle-même, pour commencer, qui est lasse de cette guerre et de ce qui retarde l'accord. Il y aussi des forces modérées et une société civile sur lesquelles il faut savoir s'appuyer. Ainsi, dans le Sud, dans l'Est, des accords de cessez-le-feu locaux ont été passés, qui doivent être intégrés au processus politique à haut niveau. Par ailleurs, la Libye est un pays riche, qui dispose de fortes réserves, de ressources hydrocarbures qui, hasard de la géographie, sont au centre du pays. Par ailleurs, rien plus qu'une menace extérieure ne fait l'unanimité chez les libyens, il y en a deux, qui sont corrélées : l'expansion de Daech qui est un facteur d'unité puissant au sein de la population et la menace d'une intervention militaire étrangère, qui tout à la fois heurte le patriotisme des Libyens et les incite à régler leur problème entre eux.
Il faut donc se donner enfin les moyens de gagner la paix.
Le premier point à souligner est que la mobilisation de la communauté internationale en faveur du règlement de ce conflit doit être à la hauteur des enjeux, elle ne l'est pas aujourd'hui. Il faudrait qu'un petit groupe de pays européens soient à l'avant-garde sur le sujet, je pense notamment à l'Italie, la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Allemagne et la France. Car la Libye est un test pour la crédibilité de l'Union européenne dans son voisinage Sud.
L'appui de l'Europe sera évidemment technique – nous attendons la reprise rapides des programmes de soutien financés par l'Union – mais il doit aussi être politique : les instruments multilatéraux comme la politique de voisinage de l'Union, mais aussi le dialogue en format 5+5 doivent être activés pour avoir ce dialogue politique avec les Libyens.
Le deuxième point sur lequel il faut je crois insister, c'est la dimension régionale de la crise. Pour les pays de la région, nous avons pu le constater lors de notre mission en Egypte, en Tunisie et en Algérie, la Libye est une menace existentielle. Nous partageons les inquiétudes du Caire, qui, déjà confronté au djihadisme au Sinai et frappé régulièrement par des attentats, craint pour sa propre stabilité, nous partageons aussi celle de Tunis, laboratoire des printemps arabes, qui accueille aujourd'hui 1,5 million de Libyens alors que la situation économique, sociale, politique et sécuritaire est déjà fragile et qui a été touchée par des attentats préparés en Libye. Nous partageons aussi les inquiétudes d'Alger, qui pointe l'attaque d'In Amenas au Mali comme l'un des premiers contre coups du chaos libyen, et craint que ce chaos n'emporte avec lui le Sahel. Nous partageons enfin celles du Tchad et du Niger, car les frontières dans cette région sont poreuses et difficile à contrôler. Notre conviction est que les voisins de la Libye ont un rôle crucial à jouer dans la stabilisation du pays.
Le rapport insiste sur la nécessité de changer le paradigme des négociations afin qu'elles aboutissent à la faveur de l'arrivée du nouvel envoyé spécial des Nations-Unies. Il insiste aussi, et je le répète, sur la nécessaire mobilisation quant à la situation sécuritaire et la lutte contre le terrorisme en Libye. Il me semble que quelques pays européens et les pays de la région doivent ensemble pousser leurs partenaires libyens à l'accord, et se préparer à jouer un rôle de premier plan dans le soutien à la transition libyenne. La France entretient des rapports étroits avec l'ensemble de ces pays, elle peut contribuer à forger un fort consensus au niveau régional, et international, pour sortir de l'impasse.