Intervention de Jean Glavany

Réunion du 25 novembre 2015 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Glavany :

Vous avez le rapport, je ne vais donc pas le lire, mais me borner à quelques remarques.

La Libye est un pays peu peuplé, et riche, même si les revenus de la rente pétrolière sont en chute libre. Il y a en Libye quelques grandes zones d'influence : Tripoli au nord-est, Tobrouk au nord-est, entre les deux 200 km de côtes contrôlés par Daech, puis le sud, qui se partage entre Toubous, Touaregs et tribu arabes.

Dans les faits, c'est un pays complètement désorganisé au sens où il est dénué d'institutions étatiques solides ou d'une administration capable de relayer la politique d'un gouvernement. Le pouvoir est éclaté entre diverses légitimités. Les milices sont les maîtres du jeu au plan sécuritaire. Ce pays n'a jamais eu un appareil d'État en dehors du clan Kadhafi. Quand ce dernier a été éliminé, il n'est plus rienh resté.

Au plan politique, je reprendrai le mot d'une experte italienne Claudia Gazzini, rencontrée à Dakar : « la médiation des Nations-Unies, qui devait unir deux gouvernements rivaux, a finalement débouché trois gouvernements », car le gouvernement d'union nationale annoncé en octobre par Bernardino León a été rejeté par les autorités de Tobrouk et de Tripoli.

Les apparences sont toutefois trompeuses car ces gens se parlent. On peut voyager dans toute la Libye, même Bernard Henry Lévy a pu s'y rendre. On peut emprunter une ligne aérienne régulière pour aller de Tobrouk à Tripoli.

Nous avons d'ailleurs fait l'expérience, avec Jacques Myard, de ces apparences trompeuses en Libye. Il y a deux ans, lors d'un voyage, les représentants de la communauté française de Tripoli nous avaient demandé de faire lever les avertissements aux voyageurs sur le site du Quai d'Orsay au motif que la Libye n'était pas un pays dangereux. Le lendemain matin, un attentat touchait notre ambassade.

La Libye n'est pas encore plongée dans le « chaos ». Après ces six mois de travaux, une mission organisée en Egypte, nous ressortons avec une conviction profonde, Néanmoins, je porte ici une conviction profonde : le pourrissement de la situation, probable en l'absence d'accord solide, c'est un tapis rouge pour Daech, qui est bel et bien organisé. J'en veux pour preuve La Libye, comme l'expliquait Abou Bakr al-Baghdadi, est organisée en trois wilayas. Ce n'est donc pas une menace légère.

Les services de sécurité tunisiens, que nous avons rencontrés, nous ont dit leur certitude que l'ensemble des attentats récents en Tunisie ont été organisés et planifiés depuis la Libye. J'y ajoute l'inquiétude de nos services, et la conviction du ministre Jean-Yves Le Drian de l'éventuelle jonction entre Daech en Libye et les mouvements du Sahel. Il y a donc urgence. Sans réaction puissante des Libyens et de la communauté internationale, nous ne savons pas ce à quoi ce pourrissement peut mener.

Quelques mots sur l'intervention de 2011 : pour le rapport, nous avons souhaité trouver une rédaction consensuelle. La situation est telle, l'état d'urgence dans notre propre pays Nous avons, pour cette analyse lucide, reprise l'expression d'Hubert Védrine, « ni toute blanche ni toute noire ». L'intervention a permis d'éviter un massacre, ce qui doit être porté à son crédit. Cependant, il est exact que, d'une part, on nous a, a raison, reproché d'avoir tordu la résolution 1973 du Conseil de Sécurité ce qui nous est d'ailleurs régulièrement reproché par les Russes, et, d'autre part, nous n'avons pas su imposer l'accompagnement de la transition libyenne. Sur ce point, la responsabilité est aussi bien la nôtre que celle des Libyens.

Je terminerai sur les travaux de médiation de l'ONU, qui se trouvent aujourd'hui à un point de bascule. Bernardino León, à qui nous avons parlé longuement à Tunis, a accompli un travail considérable pour élaborer un compromis, pas à pas. Ce travail n'a hélas pas encore abouti. L'échec de sa mission s'explique peut-être par le fait qu'il a trop pratiqué le bilatéralisme là où il aurait fallu mettre les différents acteurs dans une pièce et leur imposer de trouver un compromis, en s'appuyant sur les voisins de la Libye notamment. La communauté internationale ne l'a par ailleurs pas suffisamment soutenu en imposant la pression qu'il aurait fallu, au nom de la vieille logique de la carotte et du bâton. Enfin, les révélations qui ont été faites par le Guardian sur les liens de Bernardino León et les Emirats arabes unis ont décrédibilisé le processus de négociation.

Un nouveau représentant vient de le remplacer, il y a donc urgence absolue à aider ce nouveau représentant à changer le paradigme des discussions. Il faut notamment à tout prix empêcher la prise en otage des négociations par les extrêmes, notamment les présidents des parlements rivaux, alors même que la majorité des parlementaires, modérés, sont favorables à l'accord.

Pour résumer, la communauté internationale doit donc forcer la porte de l'accord et se trouve dans l'obligation ardente d'accompagner la transition.

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