Intervention de Nicolas Dufourcq

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Nicolas Dufourcq, directeur général de BPIfrance :

Je suis heureux de venir pour la troisième année consécutive vous présenter les actions de BPIfrance. La banque continue de croître fortement, aussi bien en termes de volumes d'activité que de missions et de produits.

Quelques éléments sur les volumes d'abord. Au 31 décembre 2015, les encours de crédits de la banque auront crû de 50 % depuis sa création trois ans auparavant. Le plan stratégique pour les trois années qui viennent prévoit une nouvelle croissance de ces encours, de l'ordre de 40 %. Autrement dit, la croissance annuelle se situe entre 15 % et 17 % pour les encours et les flux de crédits.

Pour ce qui est des fonds propres, on observe pour la même période un doublement puisque nous sommes passés de 1 milliard d'euros à 2 milliards d'euros à travers les activités de nos différents métiers.

Ces métiers, je le rappelle, sont au nombre de six.

Il s'agit d'abord de la garantie. Cette activité auparavant assurée par la SOFARIS est assez stable : elle croît au rythme de la croissance du marché bancaire français, de 1 % à 2 % par an. Nous accordons la protection de l'État aux crédits consentis essentiellement aux très petites entreprises (TPE), dans une moindre mesure aux PME, les ETI étant exclues de ce mécanisme par la réglementation européenne. Nous garantissons ainsi environ 25 000 crédits aux TPE par an. Les banques n'ont même pas à solliciter notre avis pour les montants allant jusqu'à 200 000 euros : la procédure est automatique, via l'extranet de BPIfrance.

Deuxième métier : les crédits en fonds propres, en très fort développement, représentent environ 11 milliards d'euros par an, soit l'équivalent des crédits accordés aux PME et aux ETI par l'une des quatre premières banques françaises. Il s'agit de crédits à l'investissement – garantis ou pas – et de crédits de trésorerie – préfinancement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) ou mobilisation de créances classiques.

Les crédits sans garantie sont assis sur des fonds de garantie dotés par l'État, dont nous dépendons beaucoup – il faut sans cesse rappeler que nous sommes une banque publique. Chaque année, nous menons des discussions avec la direction du budget et le programme des investissements d'avenir (PIA) pour obtenir les capitaux qui nous permettent de les financer. Ces crédits, qui sont les plus importants pour l'économie française, connaissent le plus fort taux de croissance, de l'ordre de 40 %. Ils permettent à l'entrepreneur de financer les dépenses immatérielles, qui ne sont assises ni sur des murs, ni sur des machines, autrement dit tout ce qui participe au développement de l'entreprise : recrutement, recherche et développement, implantation à l'international, augmentation du budget consacré aux voyages dans la perspective d'un déploiement à l'export. Nous en accordons chaque année pour 2 milliards d'euros et nous comptons aller plus loin encore car la demande reste extrêmement forte. Ces crédits sont très appréciés de nos entrepreneurs : ils courent sur sept ans à des tarifs relativement bas et ne requièrent, par définition, aucune garantie sur le patrimoine personnel ou sur l'entreprise, aucune hypothèque – ce qui implique, pour nous, l'absence de toute sûreté.

Les crédits avec garantie sont, eux, tout à fait classiques : ce sont des crédits-bails, mobiliers et immobiliers, à long ou moyen terme avec des sûretés prises sur les installations. Nous les employons beaucoup pour le financement de la transition énergétique, notamment pour les fermes éoliennes ou les fermes d'énergie solaire. Leur croissance n'atteint au maximum que 7 % à 10 %.

J'insiste sur le fait que la BPIfrance est à nulle autre pareille dans le monde : elle a la spécificité de disposer d'un réseau alors que les autres banques de ce type, à l'exception de la Banque de développement du Canada, n'en ont pas. Comme elles ne disposent pas d'un accès direct aux entrepreneurs, elles sont totalement intermédiées et sont en quelque sorte des structures de pooling de l'intervention publique. Elles se contentent d'une activité de garantie des réseaux bancaires existants. La beauté du modèle de BPIfrance, qui s'inscrit dans la continuité de la Banque du développement des PME (BDPME) et de l'Agence nationale de valorisation de la recherche (ANVAR), qui ont toujours été territorialisées, tient à son implantation territoriale très puissante. Nous disposons de quarante-deux agences et nous en aurons bientôt cinquante grâce aux ouvertures prévues à Troyes-en-Champagne, à Rodez, à Bourg-en-Bresse, à Compiègne, à La Rochelle, à Avignon, à La Roche-sur-Yon, villes de plus petite taille où le potentiel entrepreneurial est fort. Lors des déjeuners que nous organisons, nous sommes toujours surpris de voir qu'autour de la table, les huit entrepreneurs présents peuvent totaliser un chiffre d'affaires de 1 milliard à 2 milliards d'euros. Il y a, par exemple, à Troyes-en-Champagne, non loin de la technopole, une très belle entreprise technologique, LDR Médical, qui est cotée à la bourse de New York à hauteur de 1,5 milliard d'euros. Et ce n'est pas un cas isolé. Grâce à ce réseau, nous pouvons entretenir un contact quotidien avec les entrepreneurs : banque de démarchage, banque nomade, nous sommes en mesure de leur donner le goût d'investir.

Notre troisième métier est le financement de l'innovation, activité en plein développement car l'État nous donne beaucoup de capitaux à distribuer. Pour 2015, la croissance a été de 20 % avec un total de subventions, d'avances remboursables, de prêts à taux zéro de 1,3 milliard d'euros. Les perspectives offrent du bon et du moins bon. Les gros programmes de subventions issus du PIA, eux, sont sanctuarisés. En revanche, la situation n'est pas aussi assurée pour les aides à l'innovation, qui forment le socle du financement de l'innovation en France : d'un montant de 100 000, 200 000, 300 000 euros, elles sont accordées par nos collaborateurs en réseau et sont déléguées à 97 % dans les directions régionales. Elles supposent un budget stable de la part de l'État ; or celui-ci est très attaqué dans la transition budgétaire actuelle. Nous livrons une grande bataille de conviction chaque année et force est pour nous de reconnaître que les arbitrages que nous avons réussi à obtenir ont abouti à des dotations du programme 192 du projet de loi de finances rectificative qui vous est soumis actuellement trop faibles à nos yeux. La première ébauche du projet sur les nouvelles opportunités économiques d'Emmanuel Macron comporte la création d'une fondation pour le financement de l'innovation, qui permettrait d'assurer un financement pérenne pour ces aides à l'innovation, socle du financement de l'innovation en France, j'insiste sur ce point. Rappelons que nous accordons 4 000 aides à l'innovation chaque année contre une centaine de grandes subventions se chiffrant en millions d'euros.

Le financement de l'innovation comporte beaucoup de nouveaux produits. Depuis ma dernière audition en janvier 2014, nous avons lancé deux types de prêts sans garantie : les prêts d'amorçage, pouvant aller jusqu'à 500 000 euros ; les prêts pour l'innovation, pouvant aller jusqu'à 5 millions d'euros. À la différence de tous nos autres prêts, ils peuvent être accordés sans être soumis à la règle d'airain du cofinancement par des banques privées. Destinés à des entreprises très innovantes en pertes opérationnelles, ils connaissent une croissance très importante. Ils sont très populaires car ils permettent d'éviter toute dilution de capital : les entrepreneurs préfèrent prendre de la dette plutôt que d'offrir du capital.

Nous avons également lancé, avec le soutien du PIA, plusieurs nouveaux fonds : un fonds d'injection de capitaux propres dans les incubateurs et les accélérateurs, French Tech Acceleration ; un fonds de co-investissement avec les business angels français, le fonds Ambition Angels Amorçage ; un fonds pour les villes de demain, pour la transition énergétique ; un fonds de financement des innovations dans le secteur de la santé, le fonds FABS ; un fonds destiné à injecter du capital dans les entreprises sélectionnées par la commission Lauvergeon sur les innovations de rupture, le fonds PSIM.

Notre quatrième métier est l'investissement en fonds propres des PME. Cette activité est stable, à haut niveau : nous investissons dans environ cent PME par an, ce qui porte à environ 550 le nombre de lignes que nous avons en gestion.

Notre cinquième métier est l'activité de gros tickets, menée auparavant par le fonds stratégique d'investissement (FSI). Nous investissons 500 millions à 600 millions chaque année dans une quinzaine d'entreprises.

Enfin, sixième métier, qui nous coûte très cher : le fonds de fonds. Nous injectons chaque année entre 500 millions et 800 millions d'euros dans des fonds privés, couvrant un large spectre d'activités : capital-risque, capital-investissement, capital régional, biotechnologies, internet, capital-développement.

J'en viens à l'impact de BPIfrance.

Depuis sa création, il s'est vraiment passé quelque chose dans le monde de l'innovation : il y a trois ans, la French Tech était inexistante ; elle est devenue omniprésente. BPIfrance a joué un rôle structurant dans cette évolution. Dans le domaine des technologies, un entrepreneur ayant un bon projet ne peut pas dire qu'il ne peut pas trouver de capitaux en France. M. Xavier Niel, dans son intervention liminaire lors de notre grand événement entrepreneurial en juin dernier, a abondé dans ce sens en soulignant que si un entrepreneur prétendait qu'il ne trouvait pas de capitaux, c'est que son projet n'était pas bon.

Dans le monde du capital-développement, nous nous situons sur une autre planète d'une certaine manière. Les entrepreneurs, dans les secteurs matures sans dimension technologique, ont tendance à ouvrir leur capital beaucoup plus tard que les entrepreneurs du domaine technologique qui, eux, l'ouvrent tout de suite. En toute honnêteté, les convaincre est une tâche difficile voire très difficile : il faut leur expliquer que ce n'est pas sauter dans la mare aux requins que d'ouvrir son capital mais que cela leur permet au contraire de rompre leur propre solitude en ayant plusieurs interlocuteurs avec qui échanger sur un plan opérationnel et stratégique. Nous nous fixons comme objectif annuel 50 % d'entreprises ouvrant pour leur première fois leur capital. Nous progressons mais il y aura toujours des résistances qui sont liées à la nature même du choix que font les individus de devenir entrepreneurs plutôt que salariés : ils veulent être totalement libres jusqu'à être parfois libertaires et n'avoir aucune contrainte.

Nous avons deux axes stratégiques pour l'avenir : l'international et l'accompagnement.

Premier axe : nous voulons accroître l'ouverture à l'international. Il faut absolument changer le rapport au monde des entrepreneurs français : une ETI sur deux et deux tiers des PME n'exportent pas. Une telle situation doit changer : la France est trop petite pour que perdure ce type de structure mentale. Nous faisons un très gros effort avec nos équipes pour convaincre nos clients de ne pas avoir peur d'aller à l'étranger, voire leur donner envie de vivre la mondialisation. Il faut pour cela leur expliquer qu'il est beaucoup moins risqué de vendre à l'étranger qu'en France, notamment du fait de la couverture assurée par COFACE. C'est un travail de longue haleine qui porte sur un problème qui ne date pas d'hier et qui n'est pas spécifique à la France. La semaine dernière, je me suis rendu au Royaume-Uni pour rendre visite à nos homologues de la British Business Bank et j'ai pu constater que le profil des entrepreneurs britanniques qu'ils avaient identifié était tout à fait analogue à celui des entrepreneurs français : très indépendants, réticents à l'ouverture du capital, dotés d'ambitions un peu trop limitées par rapport au potentiel réel de leurs produits et de leurs entreprises et peu ouverts à l'international, alors même que la langue n'est pas un obstacle pour eux. Ces traits sont en fait spécifiques au monde des PME en général. À partir du mois de septembre 2016, nous allons intégrer nos collègues du compte public de COFACE, ce qui renforcera notre crédibilité, notre boîte à outils et notre puissance de feu.

Deuxième axe : nous voulons rompre la solitude des entrepreneurs et donc renforcer l'accompagnement. Les entrepreneurs sont un peu comme des sportifs qui s'entraîneraient tout seuls. Pour les intégrer à ce qui s'apparenterait à des académies de sportifs, nous avons créé trois accélérateurs : un pour les start-up, un deuxième pour les PME, un troisième pour les ETI. Dans ces structures qui regroupent quatre cents entreprises, les entrepreneurs peuvent se confronter aux autres et s'apercevoir parfois qu'ils ne courent pas aussi vite qu'ils l'imaginaient. Cette dynamique d'intelligence collective, très classique, est plébiscitée par nos clients.

Par ailleurs, nous leur proposons de bénéficier de petites missions de conseil effectuées par des partenaires privés de BPIfrance, en règle général des indépendants, des freelancers comme on les appelle : ce sont des actions « Flash » de dix jours, d'un coût de 10 000 euros, supporté à parts égales par BPIfrance et les entrepreneurs. Elles permettent d'établir toutes sortes de diagnostic : diagnostic à 360 degrés ; diagnostic de plan stratégique – certaines belles entreprises n'en ayant pas établi depuis plusieurs années ; diagnostic de performance opérationnelle lorsqu'il y a des usines ; diagnostic de lean management ; diagnostic de design, pour les produits très grand public ; diagnostic de stratégie export ; diagnostic de ventes aux grands comptes pour les sous-traitants des grandes entreprises françaises. En 2015, 200 missions de ce type ont été effectuées et nous visons un objectif de 450 en 2016.

Il faut savoir que la Banque de développement du Canada, avec laquelle nous pouvons facilement nous comparer puisque son fonctionnement est similaire du point de vue des garanties, des fonds propres, du crédit, de la nature des produits et du réseau, a deux ou trois ans d'avance sur nous en matière d'accompagnement. Son activité de conseil est beaucoup plus importante. Elle accepte même de perdre chaque année 40 000 dollars canadiens en prestations de conseil, qu'elle offre à ses clients. Là où nous faisons mieux qu'elle, c'est en matière de construction de réseau social d'entrepreneurs : nous organisons beaucoup d'événements en région, des meetings d'entrepreneurs, nous animons le club BPIfrance Excellence qui se réunit presque toutes les semaines dans l'une ou l'autre des régions françaises, nous accueillons une plateforme digitale où les entrepreneurs échangent et se donnent des coups de main.

Cette activité de conseil est appelée à croître. Nous l'effectuons avec des sociétés privées de conseil et avec les conseils régionaux, auprès desquels nous mettons à disposition la totalité de notre boîte à outils pour qu'ils puissent eux-mêmes développer ces méthodes avec les clients de leurs agences de développement économique.

Je termine par le budget pour 2016, qui sera examiné par le conseil d'administration en décembre. Il s'agit encore d'un budget en croissance, mais dans une moindre proportion qu'en 2015 car les banques sont revenues sur le marché. Tant que l'investissement ne sera pas reparti en France, tant qu'il n'atteindra pas les niveaux observés en Espagne, où sa croissance est de 10 % contre 0,8 % chez nous, nous mettrons toute notre énergie pour aller voir les entrepreneurs et les tirer par la manche jusqu'à ce qu'ils s'y mettent tous.

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