Il n'a pas été possible de rattraper ce décrochage malgré la décision prise cette année de consacrer 80 millions d'euros à la régénération routière, grâce à l'accord avec les sociétés concessionnaires d'autoroutes.
En 2015, l'État consacrera, hors frais de personnel, 693 millions d'euros à l'entretien et à la maintenance du réseau routier national, lequel représente un patrimoine de 143 milliards d'euros. Un rapide calcul montre que le délai de renouvellement du patrimoine est très long, bien supérieur à la durabilité de ce patrimoine. Ces 693 millions d'euros se décomposent comme suit : 315 millions pour l'entretien au sens strict, les dépenses immobilières et la maintenance des équipements dynamiques – cette somme est directement issue du programme 203 « Infrastructures et service de transport », voté en loi de finances ; 243 millions pour la régénération des chaussées, des ouvrages d'art et des équipements de la route ; 71 millions pour la mise en sécurité des tunnels – volet très important depuis l'accident du tunnel du Mont-Blanc ; 64 millions pour les opérations de sécurité, l'équipement en régulation dynamique et la création d'aires pour poids lourds.
En dépit des efforts d'économie drastiques réalisés au cours des dernières années, la note « image qualité du réseau », qui constitue le critère d'évaluation de la qualité du patrimoine, est malheureusement passée en quelques années du niveau « acceptable » au niveau « médiocre ». Si cette tendance se poursuit, la question de la pérennité du réseau routier national se posera. À l'instar d'autres grands pays occidentaux – nous ne sommes pas les seuls confrontés à cette situation –, la France risque de devoir à court terme, d'une part, prendre des mesures de limitation ou d'interdiction de la circulation des poids lourds sur certaines routes nationales et, parallèlement, investir des sommes très importantes pour la remise en état des réseaux. Car, notamment en cas d'hiver très rigoureux, les chaussées risquent d'être affectées par des désordres structurels.
Le réseau routier de l'État est le plus sollicité de France, en moyenne vingt-trois fois plus que celui des collectivités. Il est géré par les DIR, services spécialisés qui se consacrent uniquement à l'exploitation et à l'entretien du patrimoine routier, ainsi qu'à l'ingénierie pour les opérations nouvelles. Les DIR sont issues de la décentralisation : lorsqu'un certain nombre de routes nationales ont été transférées aux conseils généraux, les services routiers de l'État se sont reconfigurés en services interdépartementaux. Cette réforme a été une véritable réussite : depuis leur création il y a six ans, ces services se sont professionnalisés ; ils ont développé une culture très pointue dans le domaine industriel, ils se sont dotés de chaînes hiérarchiques courtes et fonctionnent vraiment à l'économie en termes de frais de structures – je le dis d'autant plus volontiers que je n'occupais pas ces fonctions à l'époque.
Les effectifs des DIR sont consacrés pour l'essentiel aux missions d'exploitation afin d'assurer en permanence la viabilité du réseau, y compris l'hiver. Les missions les plus fondamentales et les plus consommatrices de moyens sont, d'une part, les interventions sur accident ou incident et, d'autre part, les interventions au titre de la viabilité hivernale. Ce sont les deux critères qui déterminent le dimensionnement des services. Aujourd'hui, les services sont dimensionnés pour porter assistance aux usagers en difficulté et assurer la circulation lors des crises neigeuses. Les interventions sur incident sont extrêmement fréquentes : une toutes les demi-heures pour la DIR Ouest ; une tous les quarts d'heure en Île-de-France, de jour comme de nuit. Elles nécessitent la présence permanente de patrouilleurs sur le réseau. Compte tenu de l'importance et de l'intensité du trafic, la qualité du service est même supérieure à celle qui existe sur les autoroutes concédées. Pour assurer ce niveau de service vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les jours de l'année, nous disposons d'équipes d'astreinte en deux-huit, voire en trois-huit lorsque le trafic est important. De même, nous disposons d'équipes mobilisables en trois-huit lors des crises neigeuses.
Comme tous les services de l'État, les DIR doivent contribuer à la réduction des dépenses publiques. Compte tenu des contraintes budgétaires qui leur sont imposées, elles réduisent les effectifs opérationnels en deux-huit ou en trois-huit, ce qui nous amènera fatalement, un jour ou l'autre, à nous poser la question du niveau de service soutenable. Il y a encore probablement des marges d'optimisation de ces services. Nous nous sommes attelés à cette tâche, qui relève de la gageure. Mais, comme je le dis souvent, il est difficile de sortir la saleuse du garage sans conducteur de saleuse !
J'en viens au deuxième point sur lequel je souhaite appeler votre attention : au-delà de l'exploitation et de la viabilité du réseau routier, il est nécessaire de réaliser des investissements pour répondre aux besoins économiques et sociaux de mobilité. Les infrastructures, en particulier le réseau routier national concédé et non concédé, qui est très densément maillé, font partie des atouts compétitifs de la France. À tel point que nos voisins britanniques ont fixé pour objectif à leur nouvelle agence routière d'atteindre un niveau de performance équivalent au nôtre. Notre réseau routier reste donc un axe d'excellence dont nous pouvons nous réjouir. Cependant, il est récemment passé de la quatrième à la septième place mondiale dans les analyses de compétitivité. Cela reste très positif, mais il convient de surveiller cette évolution.
En tout cas, les besoins d'aménagement pour la sécurité, l'insertion environnementale des routes, la gestion de la congestion ou encore l'aménagement du territoire ne peuvent pas être satisfaits sans moyens d'investissement supplémentaires. Dans ce domaine, les attentes sont très importantes. Les projets relativement mûrs et attendus représentent au total plus de 7 milliards d'euros pour l'ensemble de la France. Cependant, il faut mettre ces projets en regard du réseau existant, qui est fortement sollicité et soumis à une forte pression budgétaire, et auquel il est nécessaire d'accorder la priorité. Il convient également de rappeler que les ressources annuelles effectivement disponibles sont, elles aussi, sous forte tension budgétaire pour ce qui concerne le budget de l'État – M. Philippe Duron évoquera ensuite celui de l'AFITF. Tous financeurs confondus, les moyens d'engagement pour l'ensemble de la France devraient être inférieurs à 400 millions d'euros, soit en moyenne 4 millions par an et par département.
Dans ce contexte, on peut se poser la question de financer ces projets en sollicitant les usagers, c'est-à-dire en augmentant les tarifs de péage. Cependant, cela soulève le problème de l'acceptabilité du péage, alors même que, depuis la Révolution française, la loi a posé le principe général de la gratuité, en permettant toutefois une exception pour les autoroutes, les tunnels et les viaducs. Même lorsque les dispositions législatives et réglementaires le permettent, nous avons les plus grandes difficultés à faire accepter par les usagers la mise en place de péages ou leur augmentation sur des routes existantes.
Vous vous souvenez de la polémique, l'année derrière, sur les concessions et sur les tarifs de péage sur les autoroutes concédées. Il est vrai que la santé financière du système autoroutier concédé est apparue comme « anormale », ce qui a été relevé par plusieurs autorités indépendantes, en particulier l'Autorité de la concurrence. Le Gouvernement a alors mis en place un important groupe de travail, auquel ont participé quinze députés et sénateurs.
Ce processus a abouti à la signature d'un protocole entre l'État et les sociétés concessionnaires d'autoroutes portant sur plusieurs points : le rééquilibrage des contrats avec l'insertion de clauses de partage des profits – au-delà d'un certain niveau, ceux-ci sont rétrocédés à l'usager sous forme soit de gel de tarifs, soit de réduction de la durée de concession ; la mise en oeuvre d'un plan de relance autoroutier permettant, sans hausse des péages ni dette nouvelle, la réalisation de travaux d'amélioration du réseau autoroutier concédé à hauteur de 3,27 milliards d'euros – ces travaux sont nécessaires pour soutenir tant l'économie des territoires que le secteur des travaux publics ; la mobilisation du secteur autoroutier pour financer les infrastructures à hauteur de 1 milliard d'euros – à ce titre, l'AFITF recevra 100 millions d'euros par an dans les trois années qui viennent, et un fonds d'investissement de 200 millions d'euros destiné aux infrastructures de transport sera constitué, les discussions étant en cours à ce sujet entre les sociétés concessionnaires et la Caisse des dépôts et consignations ; le développement de mesures commerciales en faveur des jeunes, du covoiturage et des nouvelles formes de mobilité ; la fin des contentieux engagés par les sociétés concessionnaires au printemps dernier lors des débats sur le gel des tarifs et sur les concessions autoroutières.
Ce protocole a été mis en oeuvre par des avenants aux contrats, approuvés par décret. Ceux-ci ont inséré les clauses que j'ai décrites, qui ne l'avaient pas été au moment de la privatisation des sociétés concessionnaires. Les concessions historiques ont ainsi été transformées en concessions modernes, ce qui constitue le résultat le plus significatif de la négociation.
Actuellement, six projets de concession sont envisagés : l'A45 entre Saint-Étienne et Lyon, à propos de laquelle des discussions sont en cours entre l'État et les collectivités concernées ; le grand contournement ouest de Strasbourg, pour lequel la procédure d'attribution du contrat arrivera prochainement à terme ; la liaison entre Toulouse et Castres ; l'achèvement de l'A154 entre Nonancourt-Dreux, Chartres et Orléans ; le contournement est de Rouen ; l'achèvement de la mise à deux fois deux voies de la route Centre-Europe Atlantique (RCEA) dans l'Allier. Les quatre derniers de ces projets ont fait l'objet d'un débat public. L'objectif est de les soumettre à enquête publique dans les prochains mois.
Les autres projets d'aménagement figurent dans les volets routiers des contrats de plan État-région (CPER). Ils ont fait l'objet de discussions entre l'État et les collectivités territoriales concernées. Il s'agit d'aménagements locaux de tout type qui répondent aux objectifs fixés par la commission « Mobilité 21 ». Ils représentent un investissement total de 3,6 milliards d'euros. Toutefois, leur mise en oeuvre dépendra des capacités financières de l'AFITF. Pour mémoire, les programmes de modernisation des itinéraires routiers (PDMI) n'ont été exécutés que partiellement, et ce dispositif a finalement été réincorporé dans les CPER. Du fait d'un certain « surbooking », les CPER précédents et les PDMI n'ont pas tous été réalisés intégralement. Il y a un « taux de chute » : certains projets sont abandonnés en cours de route, font l'objet de contentieux ou connaissent diverses avanies.
Les investissements ne se limitent pas à ces opérations « classiques ». D'une part, à la suite du drame du tunnel du Mont-Blanc, il a été nécessaire de lancer un grand programme national de mise à niveau et de rénovation des tunnels routiers. Il s'agit de mettre en place des dispositifs de surveillance – fixes ou dynamiques –, de protection au feu et d'évacuation des usagers. Plus de 2 milliards d'euros auront été nécessaires, dont l'essentiel a été concentré sur le réseau non concédé d'Île-de-France, qui compte, vous le savez, de nombreux tunnels routiers où le trafic de poids lourds est très dense. Ce programme devrait être pratiquement achevé en 2018.
D'autre part, dans une logique d'optimisation du réseau existant, des programmes de gestion du trafic et de recours aux nouveaux usages de la route ont été et sont développés. Par exemple, en Île-de-France, le travail mené conjointement par la région, le Syndicat des transports d'Île-de-France (STIF) et l'État a permis d'aboutir à un programme de réalisation de voies réservées aux bus et aux taxis, notamment sur des sections où l'utilisation de la bande d'arrêt d'urgence soit ne pose pas de problème de sécurité, soit soulève des difficultés qui peuvent être résolues par des dispositifs spécifiques. Cela permet de créer des capacités routières sans investissements trop importants. Un doublement du tronc commun A4-A86 ou un élargissement de l'A6 seraient des projets extrêmement coûteux et difficiles à mener en raison des riverains, tandis que ces projets d'optimisation des infrastructures existantes, qui nécessitent certes une excellente maîtrise de l'ingénierie de gestion du trafic, sont réversibles et permettent de réaliser en peu de temps un saut quantitatif et qualitatif dans l'offre de service aux usagers.
La route est à un tournant de son histoire. Elle a vocation à contribuer pleinement à un système de transport durable. Si, par le passé, on a opposé la route et les transports collectifs, avec l'avènement des nouvelles formes de mobilité et des nouvelles motorisations, le moment est venu, selon moi, de considérer la route avec un autre oeil. Le secteur routier offre de nombreuses potentialités. Les trois majors françaises des travaux publics occupent la première, la deuxième et la quatrième places mondiales dans l'industrie routière. Elles excellent en matière d'innovation et affrontent, bien souvent avec succès, la concurrence internationale. L'exemple de la « route solaire » développée par Colas nous montre que les routes et les rues pourraient se transformer en source de production d'électricité, sans consommer d'espace. Cette première mondiale illustre la capacité de notre industrie à s'adapter et à proposer des innovations de rupture.
Par ailleurs, nous assistons à un bouillonnement des mobilités utilisant le mode routier, avec des innovations sans précédent. Nous sommes vraisemblablement à l'aube d'une révolution. De nouveaux acteurs émergent ou investissent le secteur : Google, Apple, Orange, Uber, Blablacar et, même, la SNCF. La frontière entre véhicules légers individuels et transports collectifs s'estompe.
De plus, les progrès spectaculaires des véhicules vont nous amener à revoir la manière dont on utilise la route. Ainsi, le développement de nouvelles motorisations et l'avènement, dans un premier temps, de la conduite autonome, puis du véhicule autonome, constituent très vraisemblablement une source importante non seulement de réduction de l'accidentalité et de l'insécurité routières, mais aussi de gain pour la puissance publique, dans la mesure où ils permettront une gestion plus dynamique, plus fine et moins coûteuse des trafics, grâce à une connaissance plus précise des flux et à la possibilité d'adapter les vitesses au contexte. Nous inventerons peut-être, in fine, la « route intelligente ».
Enfin, de nouveaux usages de la route, qui concilient économie et respect de l'environnement, se développent : voies réservées aux transports collectifs, autopartage, gestion dynamique, etc.
Toutes ces évolutions vont redessiner le paysage routier, ainsi que les réponses aux besoins de mobilité. Ces éléments militent fortement pour que la France poursuive résolument ses efforts de soutien à l'innovation et à la recherche, afin qu'elle continue à disposer de l'un des réseaux les plus performants et les moins coûteux au monde.
Il faudra que ces développements concernent non seulement les infrastructures, mais aussi les véhicules. C'est l'un des enjeux majeurs. L'industrie automobile est le deuxième secteur pourvoyeur d'emplois en France, mais son développement a nécessité des alliances avec des groupes asiatiques. Le maintien d'un contrôle français sur ce secteur suppose une maîtrise technologique qu'il faudra soutenir dans tous ses aspects, pour l'avènement de la route de cinquième génération.