Intervention de Philippe Duron

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron, président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France :

La France dispose d'un réseau routier exceptionnel de 1,06 million de kilomètres, qui structure et dessert le territoire, et irrigue nos villes. Il permet d'assurer l'essentiel des déplacements et du transport de marchandises. La route constitue une richesse patrimoniale tout aussi exceptionnelle, estimée à 2 000 milliards d'euros. Il convient de l'entretenir pour assurer l'efficacité et la sécurité des transports, et éviter une coûteuse dégradation.

Depuis quelques années, il était devenu politiquement incorrect de parler de la route. En effet, dans une perspective de lutte contre le changement climatique et de protection de l'environnement, nous avions tous le souci du transfert modal, du développement de modes alternatifs à la route. Mais force est de constater que celui-ci est beaucoup plus difficile à réaliser qu'à envisager. Compte tenu des difficultés du fret ferroviaire et de la modestie du fret fluvial, lequel a pourtant connu une augmentation très sensible au cours des années 2000 et 2010, la route reste un moyen de transport structurant et fort.

Le transport routier de personnes comme de marchandises est, de très loin, le mode de transport le plus important dans l'Hexagone, sa part dépassant 85 % du total des flux. De fait, il reste irremplaçable à bien des égards, que ce soit pour l'acheminement des marchandises sur le dernier kilomètre, ainsi que l'a rappelé M. François Poupard, ou l'accès à des localités éloignées des grands centres urbains et faiblement peuplées.

Aussi, la volonté de développer des projets d'infrastructures alternatives ou, plutôt, complémentaires aux routes, entérinée par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) du 18 décembre 2003, confirmée et accentuée par la loi de programmation du Grenelle de l'environnement en 2009, n'exclut en rien les nécessaires investissements pour préserver et améliorer le réseau routier, voire le développer sur certains tronçons. Indispensables à l'activité économique et à la cohésion du territoire, les routes constituent aussi, rappelons-le, le premier patrimoine national.

L'AFITF a été créée à la fin de l'année 2004 pour apporter la part de l'État dans les dépenses d'investissement principalement pour des infrastructures de transport d'intérêt national, à partir de recettes affectées provenant exclusivement de l'exploitation des routes et des autoroutes – c'est un point très important. Elle s'inscrit dans le schéma suivant : développer des projets alternatifs aux routes dans une perspective de développement durable et respectueuse de l'environnement, tout en améliorant le réseau routier existant, voire en développant certains segments.

Après bientôt onze années d'activité, l'AFITF présente un bilan conforme à cet engagement initial : depuis 2005, ses dépenses d'investissement cumulées dans le domaine des routes s'élèvent à 11 milliards d'euros, soit plus d'un tiers de ses engagements, et ses paiements dans ce domaine s'établissent à 8,78 milliards, soit près de 42 % du total de ses paiements. Les routes tiennent donc une place importante dans les financements apportés par l'AFITF depuis sa création.

Ainsi, l'AFITF a à la fois financé les routes et joué son rôle d'instrument financier de l'État au service du report modal, à partir de recettes affectées provenant exclusivement des routes – les amendes issues des contrôles radar et, depuis 2015, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) – et des autoroutes – la redevance domaniale et la taxe d'aménagement du territoire perçues auprès des sociétés concessionnaires d'autoroutes, auxquelles s'ajoute la contribution volontaire exceptionnelle de 1 ou 1,2 milliard d'euros – je vous laisserai éclaircir ce point, monsieur le directeur général – qu'elles se sont engagées à verser jusqu'à l'expiration des concessions.

La différence de neuf points entre la part des routes dans le total des engagements – 33 % – et la part des routes dans le total des paiements – 42 % – tient principalement à trois raisons.

Premièrement, dans le cadre de l'accélération du volet routier des CPER 2000-2006, des paiements massifs sont intervenus entre 2006 et 2009 : plus de 3,8 milliards d'euros au total, soit plus de 950 millions en moyenne annuelle. Il s'est agi d'un rattrapage.

Deuxièmement, la majorité des contrats de partenariat public-privé (CPP) financés par l'AFITF, qui impliquent des engagements immédiats mais dont le paiement ne commence qu'à la mise en service des ouvrages, portent sur le domaine ferroviaire, ce qui entraîne pour l'instant un taux de paiement moins élevé pour les modes alternatifs aux routes. Cependant, cette situation devrait commencer à changer avec le versement des premiers loyers de deux CPP – la ligne à grande vitesse Bretagne-Pays de la Loire et la deuxième phase de la ligne à grande vitesse Est – à partir de la fin du premier semestre ou du début du second semestre 2017.

Troisièmement, la très grande majorité des interventions de l'AFITF dans le domaine des routes se fait par la voie de fonds de concours selon des échéanciers administrés, qui peuvent, certes, être revus par la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) par rapport à la prévision initiale inscrite dans les conventions, mais qui, dans l'ensemble, conduisent à des taux de consommation des dotations budgétaires plus élevés qu'en cas de paiements directs. En d'autres termes, les paiements sont bien plus rapides et complets dans le cadre des fonds de concours apportés à des projets sous maîtrise publique de l'État que dans le cadre d'une contractualisation, qu'il s'agisse des CPER ou des PDMI pour la période de 2007 à 2013.

Les 11 milliards de dépenses d'intervention de l'AFITF dans le domaine des routes se décomposent comme suit : 6 milliards d'euros, soit plus de 54 %, pour les opérations contractualisées avec les régions dans le cadre des CPER et des PDMI ; 2,25 milliards, soit 23 %, pour des interventions sur le réseau routier national existant, en particulier des travaux de régénération et de mise en sécurité des tunnels routiers, que M. François Poupard a mentionnés ; 490 millions, soit 4,4 % du total, pour des opérations particulières sur ce même réseau, par exemple la RCEA, route transversale pour laquelle des choix de financement différents ont été faits selon les départements traversés – l'Allier a opté pour la concession, tandis que la Saône-et-Loire a souhaité une maîtrise d'ouvrage publique de l'État ; enfin, plus de 2 milliards, soit 18,1 %, pour des infrastructures nouvelles telles que le pont sur l'Oyapock en Guyane, la rocade L2 à Marseille et la nouvelle route littorale à La Réunion, qui sont des projets lourds et coûteux, mais essentiels pour ces territoires.

Le taux d'exécution moyen des opérations routières est supérieur à celui de l'ensemble des opérations financées par l'AFITF. Ainsi, à ce jour, les restes à payer s'élèvent à 20,3 % pour les opérations routières contre 37 % pour les opérations sur les modes de transport alternatifs à la route. L'AFITF a donc soldé 79,7 % de ses engagements dans le domaine des routes.

Citons quelques exemples. Plusieurs opérations de grande envergure sur les infrastructures anciennes, notamment les travaux sur l'A75 et sur la RN7, sont aujourd'hui achevées. Les opérations relevant des CPER et assimilés, qui représentent, je l'ai dit, près de 6 milliards d'euros, sont payées à hauteur de 86 % – je ne parle pas, bien évidemment, des nouveaux CPER pour la période de 2015 à 2020. Les opérations sur les tunnels routiers sont payées à plus de 87 %. Les dépenses de régénération du réseau routier national sont payées à 93 %.

Seules quatre opérations ont été payées à moins de 80 % : la RCEA, pour laquelle 78,6 % des 257 millions d'euros engagés ont été payés à ce jour ; les équipements d'exploitation dynamiques, qui ont été payés à 62 % ; la route littorale de La Réunion, qui a été payée à environ 15 % ; la rocade L2 à Marseille, pour laquelle l'AFITF a engagé 812 millions d'euros qu'elle ne commencera cependant à payer qu'au moment de sa mise en service vers 2017 ou 2018, dans la mesure où il s'agit d'un contrat de partenariat.

En règle générale, ces interventions dans le domaine des routes prennent la forme de fonds de concours que l'AFITF apporte à l'État et qui sont ensuite rattachés au programme 203 « Infrastructures et services de transport ». Cela correspond à trois cas : soit les opérations dont l'État assure directement la maîtrise d'ouvrage, telles que les travaux de régénération sur le réseau routier national ; soit les opérations contractualisées par l'État avec les régions ; soit les contrats de partenariat directement signés par l'État.

En dehors de ces cas, où l'AFITF a versé directement une subvention au maître d'ouvrage concessionnaire, il n'existe que le cas de la nouvelle route littorale de La Réunion, dont la région est le maître d'ouvrage. En tant que telle, celle-ci a été l'attributaire de la subvention apportée par l'AFITF au titre de la première tranche de l'aide décidée dans le cadre du protocole de Matignon de 2010. Il reste 203,9 millions d'euros à payer en application de la convention du 29 mars 2012 relative au financement des études et des travaux de ladite route littorale. Cette convention devrait être suivie d'une deuxième convention pour engager la deuxième phase.

Ce mode de financement par fonds de concours ne nuit pas à la visibilité globale des financements de l'État dans le domaine des routes et prend tout son sens dès lors que le budget de l'AFITF repose exclusivement sur des recettes affectées.

Pour appréhender l'ensemble des actions financées sur fonds publics dans le domaine des routes, il convient de totaliser les actions financées directement par l'État sur les crédits du programme 203 sans concours de l'AFITF – c'est le cas des dépenses d'entretien –, les actions cofinancées à partir du programme 203 par des crédits budgétaires de l'État et par des fonds de concours de l'AFITF – cas des dépenses de régénération –, les actions financées sur le programme 203 exclusivement par des fonds de concours de l'AFITF et de collectivités territoriales – cas des dépenses de développement, c'est-à-dire des routes nouvelles – et les dépenses financées directement auprès des maîtres d'ouvrage par l'AFITF en dehors du programme 203 – cas de l'aide apportée à la région de La Réunion pour la construction de la nouvelle route littorale.

Cette consolidation des financements de l'État et de l'AFITF dans le domaine des infrastructures de transport est possible du point de vue budgétaire et comptable. Elle se justifie par le fait que l'AFITF dispose, en vertu des lois de finances, de ressources affectées provenant des routes et des autoroutes, qui sont destinées à financer des infrastructures de transport – c'est sa raison d'être. Sans parler de « sanctuarisation », il n'est pas du tout certain que ces recettes serviraient aux mêmes fins si elles devaient être réintégrées dans le budget général de l'État.

En outre, dès lors que l'AFITF ne perçoit plus de subvention d'équilibre de l'État et que l'ensemble de son budget est couvert par des ressources affectées financées non pas par les contribuables, mais par les usagers, soit directement – cas des amendes issues des contrôles radar et de la TICPE – soit indirectement via les péages – sur lesquels sont répercutées la redevance domaniale et la taxe d'aménagement du territoire –, il est pleinement cohérent, d'une part, de recourir à des fonds de concours pour les financements que l'AFITF apporte au programme 203 et, d'autre part, de prendre en compte les concours qu'elle apporte au financement des infrastructures de transport pour avoir une vision complète des concours publics.

Enfin, la mise en place de péages routiers ou de surpéages autoroutiers sur certaines parties du réseau, telle que la suggèrent nos collègues Michel Bouvard et Michel Destot pour le financement de la nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin ou telle qu'elle pourrait être envisagée pour contribuer au financement du canal Seine-Nord Europe, irait dans le même sens : l'attribution à un opérateur de recettes affectées collectées spécifiquement pour financer un projet précis, à savoir de recettes fléchées, en quelque sorte.

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