Intervention de Philippe Duron

Réunion du 1er décembre 2015 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Duron, président de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France :

Je répondrai à vos questions en résumant mon propos en sept points.

Le premier sera un plaidoyer pour les recettes affectées. Si nous voulons financer les infrastructures, leur entretien, leur modernisation, dans la durée, nous avons besoin de recettes affectées. C'est ainsi qu'ont fait les pays qui se sont les premiers préoccupés de besoins de financement importants, notamment pour assurer un transfert modal : la Suisse, l'Allemagne, et quelques autres. Au moment où la Cour des comptes met une fois de plus en cause ce modèle, j'appelle votre attention sur la nécessité de protéger les recettes affectées, pour assurer la sécurité et la régularité des financements. Sans financements réguliers, les opérations – on le voit avec la RCEA ou encore la RN12 – traînent pendant des années, voire des décennies, ce qui provoque l'exaspération des populations mais aussi accentue les risques.

Les infrastructures génèrent des besoins de financements pluriannuels, soit que les projets soient lourds et importants, soient qu'ils soient financés par des concessions ou des contrats de partenariat. Sur les quatre LGV en construction, deux sont en concession, deux en PPP. Nous avons beaucoup de mal à financer les infrastructures concédées et nous connaissons des retards de paiement, de l'ordre de 630 à 650 millions d'euros, vis-à-vis de SNCF Réseau. En outre, dans un an et demi, vont tomber les premiers loyers pour les deux autres infrastructures importantes, de l'ordre de 120 à 150 millions d'euros par an pendant plus de vingt ou vingt-cinq ans. Nous avons besoin de financements prévisibles : c'est nécessaire pour nos partenaires, les collectivités territoriales qui contractent avec l'État, comme pour les entreprises de travaux publics.

Deuxième élément : l'AFITF a permis de faire progresser le financement des infrastructures. Dans les années quatre-vingt-dix, le sentiment qui prévalait au sein de ce qui s'appelait alors la commission de la production et des échanges de notre Assemblée était que la France arrivait au bout de l'effort en la matière. On se rend compte qu'il n'en est rien. Nous avons eu en 2005 la révélation de la dégradation du réseau ferroviaire, qui nous conduit à redoubler d'efforts pour le remettre à niveau. L'AFITF a permis d'engager 33 milliards d'euros d'investissement en onze ans, et d'en payer d'ores et déjà 21 milliards. Il reste 12 milliards à financer, ce qui correspond, pour une partie majoritaire, aux loyers des futurs PPP qui courront sur la très longue durée, qu'il s'agisse du ferroviaire ou du routier, à l'instar de la L2 à Marseille, dont le paiement s'achèvera en 2043.

Troisième remarque : l'AFITF a été fragilisée par l'instabilité de ses ressources, avec la fâcheuse privatisation des sociétés d'autoroute – qui a remis en cause le versement de dividendes, qui devaient aller croissant dans la mesure où les sociétés concessionnaires allaient dégager plus de profits avec l'achèvement de leurs amortissements –, l'abandon de l'écotaxe poids lourds ou encore, cette année, l'écrêtement de la recette de TICPE décidée l'an dernier.

Ma quatrième remarque porte sur les trois budgets 2016, 2017 et 2018. Pour 2016, M. François Poupard n'a pas tort de dire que le budget peut être traité à peu près convenablement. Nous aurions facilement absorbé la recette de TICPE à son niveau de 2015, ce qui aurait accéléré le désendettement, qui va être opéré en 2016, vis-à-vis de France Trésor. Nous pourrons au moins achever de rembourser à l'Agence France Trésor ce que l'AFITF lui doit, et éviter de nous endetter plus qu'aujourd'hui vis-à-vis de SNCF Réseau. On peut s'estimer – en partie – satisfait qu'il n'y ait pas cette année de coup de rabot supplémentaire sur le budget pluriannuel imaginé il y a deux ans.

Le ministre, en commission élargie il y a trois semaines, a laissé entendre qu'il faudrait augmenter la recette l'an prochain pour faire face au début de la montée en charge des financements sur Lyon-Turin et à l'arrivée des deux premiers loyers de PPP ferroviaires. Il serait raisonnable de laisser à l'AFITF les 2 centimes d'augmentation de la TICPE. Alors que nous sommes écrêtés cette année à 715 millions d'euros, il serait bon que nous recevions l'intégralité du montant de 1,3 milliard l'an prochain. Notre budget, pour faire face à tous les engagements, devrait s'élever à 2,3 ou 2,4 milliards en 2017, et c'est 2,8 milliards qui seront nécessaires en 2018. Si ce n'est pas prévu, nous donnerons raison à la Cour des comptes qui parle d'un mur de dette en train de se construire. Je crois que nous avons la possibilité de faire face. Pourquoi ne le faisons-nous pas cette année ? Parce que le Président de la République a pris des engagements sur la non-augmentation des prélèvements obligatoires et parce qu'il faut essayer de « déflater » la part des dépenses publiques dans le PIB.

Cinquième remarque : en examinant la question du niveau de financement des routes à l'occasion du rapport « Mobilité 21 », nous avons convenu que l'idéal, si la France était un pays riche et disposait d'une rente budgétaire importante, serait de disposer d'un budget de 1 milliard d'euros pour les routes. Ce serait très confortable. J'estime toutefois qu'un budget entre 500 et 600 millions éviterait la dégradation des infrastructures. Nous n'en sommes pas tout à fait là, mais j'observe que nous inscrivons davantage cette année sur l'entretien des routes nationales que la moyenne des dix dernières années : 300 millions contre 250 millions. C'est mieux, mais ce n'est pas encore suffisant.

Sixième point : l'engagement sur les CPER. Toutes les dépenses de mobilité ont été réintégrées dans les contrats de plan. La somme de tous les budgets votés dans ces contrats pour la mobilité est de 7,8 milliards d'euros, en augmentation par rapport à l'ancienne génération de CPER et aux PDMI. Des dépenses ont commencé à être inscrites dès cette année, en autorisations d'engagement (AE) et en crédits de paiement (CP) : pour le routier, 366 millions en AE et 277 millions en CP, pour le ferroviaire 190 millions en AE et 128 millions en CP, pour les ports 40 millions en AE et 28 millions en CP, pour les transports collectifs en site propre (TCSP) 160 millions en AE et 174 millions en CP, sur le fluvial 1 million en AE et en CP. Les CPER sont ainsi pris en compte dès le budget 2016, même si les projets sont d'ordinaire peu nombreux au début et que la montée en puissance n'intervient que progressivement au cours des deux ou trois années qui suivent. Du coup, il faut achever le financement des infrastructures prévues dans les précédents contrats dans la génération de contrats suivante… L'AFITF s'est ainsi retrouvée, au début de son existence, à mobiliser des crédits routiers très importants pour solder les contrats de plan 2000-2006.

S'agissant des ressources qui pourraient être apportées à l'AFITF, nous avons vu l'an dernier l'efficacité et le caractère relativement indolore de la TICPE dans un contexte de baisse des carburants. Cela permet en outre de rapprocher les prix du diesel et de l'essence. Ce n'est pas le choix qui a été fait cette année et, comme bon nombre d'entre vous, je le regrette. Il faudra peut-être y revenir. Il y a d'autre part la possibilité de la taxe carbone ou encore la tarification de la route. Cette dernière démarche avait été engagée avec l'écotaxe poids lourds ; il sera peut-être difficile d'y revenir rapidement, mais l'Union européenne est en tout cas plus favorable à une tarification qu'à une recette fiscale.

Enfin, s'agissant de l'équipement des routes en points de recharge pour les voitures électriques, l'État peut engager des travaux, et cela peut être prévu dans les contrats de plan, mais certains syndicats départementaux d'électrification ont eux aussi décidé d'engager des programmes. Dans mon département, le Calvados, le syndicat d'électrification a l'intention de mettre en place 200 bornes dans des délais très rapides, et les premières sont déjà installées. Tout cela est réalisé en partenariat entre le syndicat – c'est-à-dire le département, essentiellement – et les collectivités territoriales qui ont décidé de s'équiper.

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