Mes chers collègues, alors que la conférence des Nations Unies a débuté, il m'apparaît important que notre commission se réunisse pour débattre de la COP21 et de l'après COP21.
Je vous propose de valoriser les travaux que nous avons menés depuis deux ans sur le thème de la lutte contre le changement climatique. Je vous demanderai en fin de séance d'approuver la publication d'un rapport dont je vais vous présenter la première partie, et qui contiendra également les comptes rendus des auditions et des tables rondes que nous avons organisées. Nous avons entendu de nombreuses personnalités – dont Gilles Boeuf, ancien président du Museum national d'histoire naturelle, Hervé Le Treut, climatologue, Jean-Marc Jancovici, Pascal Canfin, Jean Jouzel, Stéphane Le Foll, etc. Nous tenons aujourd'hui notre vingt-quatrième réunion, depuis le mois d'octobre 2012, sur le changement climatique, ses conséquences et les moyens utilisés tant pour l'atténuer que pour nous y adapter.
Notre intérêt pour le sujet s'explique par l'aspect multiple de cette problématique, qui embrasse l'ensemble des champs d'intervention de notre commission. Et, en ce jour, nous devions, me semble-t-il, nous rassembler, alors même que se déroulent au Bourget les négociations pour la signature de l'accord de Paris. Par ailleurs, je rappelle que notre Assemblée a voté la semaine dernière une proposition de résolution « pour accéder, au-delà de la COP 21, à une société bas carbone », et que se tiendra salle Victor Hugo, vendredi 4 décembre, et dans l'hémicycle, samedi 5 prochain, le sommet des législateurs de Globe qui réunira des parlementaires de quarante-trois pays ainsi que des assemblées panafricaine, européenne et andine.
Ce matin, l'ensemble des groupes politiques que vous représentez va pouvoir s'exprimer tant sur les enjeux de la COP21 que sur l'action que pourrait mener la France, au-delà de la réunion de Paris, lors de son année de présidence qui démarre le 30 novembre.
Pour ma part, je voudrais présenter les grandes lignes du rapport d'information que nous ferons figurer dans le document, qui rassemblera, comme je viens de vous le dire, les comptes rendus de nos différentes réunions de travail sur le sujet.
Je commencerai par un rappel de l'historique des COP.
En 1988, deux institutions des Nations Unies, l'Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), créent le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC). Dix-huit mois après sa création, celui-ci publie son premier rapport d'évaluation, qui conduit l'Assemblée Générale des Nations unies à préparer une convention sur le climat. Le 14 juin 1992, le sommet de Rio marque la structuration du régime climatique sous la houlette onusienne. Le 21 mars 1994, la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique entre en vigueur après la signature de cinquante pays. La première Conférence annuelle des parties (COP) se tient en 1995 à Berlin, et la vingt et unième a donc lieu, en ce moment, à Paris.
Au fil des réunions, une nouvelle géopolitique du climat se met en oeuvre, qui se caractérise par la lente montée en puissance du thème de l'adaptation par rapport à celui de l'atténuation. En parallèle, se met en place le dispositif de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts dans les pays en développement (REDD), et de nouveaux pays deviennent incontournables, comme la Chine ou le Brésil. À la COP de Copenhague, en 2009, le problème climatique apparaît pour la première fois moins comme un problème environnemental que comme un problème de « décarbonisation » du capitalisme, mettant en jeu des intérêts économiques concurrentiels énormes et des enjeux énergétiques vitaux. Mais la gouvernance onusienne reste marquée par une gestion apolitique du problème, centrée sur la question de l'approvisionnement continu et bon marché en combustibles fossiles et par une gestion isolée, alors que le climat est inséparable de l'énergie, des modes de développement et de la mondialisation économique et financière. Enfin, elle est handicapée par l'illusion de pouvoir mener l'inévitable transformation industrielle et sociale de manière centralisée. Il devient donc urgent de désenclaver, de repolitiser et de reterritorialiser les négociations climatiques.
Il ressort ensuite de ce rapport d'information l'idée que le passage à un monde décarboné n'est plus négociable.
L'extraordinaire accélération des émissions de gaz à effet de serre provoque, via l'accumulation du gaz carbonique dans l'atmosphère, l'augmentation des températures, l'acidification des océans, la montée des eaux, les inondations, la multiplication des sécheresses et des incendies, la fonte des glaciers, la désertification et toutes sortes d'événements météorologiques extrêmes. Des migrants climatiques commencent à quitter par millions certaines régions devenues submersibles ou incultivables. Selon les experts du GIEC, seules des mesures prises à grande échelle pourraient contenir le réchauffement aux deux degrés au-delà desquels les êtres humains n'auront plus de prise sur un monde largement marqué par l'instabilité et la violence, affectant en premier lieu les régions les plus déshéritées et, au sein de celles-ci, les femmes. La COP21 constitue donc un rendez-vous essentiel pour décider de la survie, non pas de la planète, mais de l'espèce humaine qui la peuple.
À l'origine de ce désastre annoncé, se situe notre modèle de développement, marqué par un recours massif aux énergies fossiles depuis la révolution industrielle mais surtout depuis le milieu du XXe siècle et particulièrement dans les pays développés, dans la mesure où aujourd'hui 80 % de l'énergie est consommée par 20 % de la population. Demain, il deviendra vital, selon les mots de François Hollande, de « renoncer à utiliser 80 % des ressources d'énergies fossiles facilement accessibles, dont nous disposons encore ». En somme, la survie de l'espèce humaine impose de passer à une société bas-carbone. Cette obligation est d'autant moins contestable que les changements dans la composition chimique de l'atmosphère et l'effet de serre anthropique sont irréversibles à l'échelle humaine. En outre, au fil du changement climatique, apparaissent de nouveaux éléments, comme la fonte du permafrost, qui pourrait devenir une cause majeure de réchauffement, puisqu'il contient deux fois plus de carbone que toute l'atmosphère.
En parallèle, la biodiversité subit les effets du changement climatique, qui concourt à la disparition d'espèces animales et végétales et à la destruction d'écosystèmes. Au final, l'empreinte écologique de l'humanité sur la planète croît à une vitesse exponentielle, alors que la population mondiale, de plus de 7 milliards aujourd'hui, devrait atteindre 9,6 milliards en 2050. En 2015, l'Humanité avait, dès le 13 août, consommé toutes les ressources naturelles renouvelables que la planète peut produire en un an… Nous sommes aujourd'hui entrés dans l'ère de l'anthropocène, caractérisée par l'influence prédominante de l'homme sur la planète et par son aptitude à la transformer.
Ce constat d'échec oblige à raisonner autrement. Il ne s'agit pas d'adapter le modèle, mais d'en changer. Demain il ne suffira pas d'inventer de nouvelles régulations, de définir de nouveaux garde-fous ou d'espérer que le progrès technique nous sauve. Il nous faudra trouver d'autres façons de produire, de consommer, de travailler, de financer, d'habiter, de circuler et d'échanger, partir en reconnaissance des tentatives réussies de résilience, combattre l'inertie grâce à des minorités agissantes, entrer en résistance contre tous ceux qui s'obstinent à tirer pour eux les derniers profits du système actuel au détriment du plus grand nombre et, au final, inventer de nouvelles façons d'être au monde. Cette transition sera celle des citoyens, des territoires et des entreprises, dont les initiatives les plus robustes et les plus résilientes devront être repérées et diffusées. Mais elles devront être encouragées par une gouvernance internationale, garante de la réorientation des grands flux financiers.
Je terminerai ma présentation par une courte description des chemins de la transition à suivre vers un modèle plus soutenable.
La transformation du système énergétique est évidemment en première ligne. L'Agence française de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) affirme que la France pourrait obtenir 100 % de son électricité à partir d'énergies exclusivement renouvelables dès 2050, et que cela ne coûterait pas plus cher que le maintien du nucléaire à 50 % de la production électrique en 2025. Mais il faudra aussi encourager partout l'efficacité et la sobriété énergétique, et mettre en place un modèle décentralisé de l'énergie qui rapproche la production de sa consommation, créant ainsi une appropriation du service et une prise de conscience de sa valeur.
Il faut ensuite donner un prix au carbone, alors qu'aujourd'hui seulement quelque 17 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont couvertes par des systèmes de quotas, des taxes ou des normes d'émission. Mais les prix du carbone restent trop bas pour être efficaces. L'idée d'un « corridor de prix » encadrant des niveaux plafond et plancher, appliqué par une avant-garde de pays pourrait enclencher le processus avant que le mécanisme ne puisse s'appliquer à l'ensemble de la planète. À l'intérieur de chaque pays, l'impact de la taxe carbone sur les ménages les plus pauvres devrait être,par ailleurs, compensé via un crédit d'impôt.
Il faut en parallèle arrêter les subventions aux énergies fossiles : 200 milliards de dollars sont versés chaque année par quarante États, selon l'OCDE, 550 milliards de dollars pour le monde entier en comptabilisant les subventions transnationales, selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et 5 300 milliards de dollars, selon le Fonds monétaire international (FMI) qui ajoute les subventions camouflées, sous forme de non prise en compte des coûts liés à la pollution.
Il faut ensuite pousser les acteurs publics et privés à désinvestir dans les énergies fossiles. Le mouvement enclenché porte aujourd'hui sur quelque 2 600 milliards de dollars. Il témoigne de la prise de conscience de la part des gestionnaires d'actifs financiers du risque carbone, que les investisseurs sont en droit de voir pris en compte.
Il faut également remettre en cause fondamentalement le système financier tel qu'il s'est développé depuis une trentaine d'années, en interdisant les produits financiers indexés etou dérivés des énergies fossiles, en mettant en place la taxe sur les transactions financières au sein de la coopération renforcée européenne portant sur une large assiette, et en dotant la lutte contre le changement climatique de financements pérennes. C'est là qu'intervient la promesse du versement aux pays en développement de 100 milliards de dollars par an, dont une part majoritaire de dons, pour les aider à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à s'adapter aux conséquences du réchauffement climatique. Les fonds publics devront évidemment mobiliser de nouvelles ressources et ne pas provenir du transfert de budgets déjà existants et consacrés à d'autres enjeux de l'aide au développement, que l'on diminuerait d'autant.
Enfin, si l'énergie constitue à la fois le coeur de la crise climatique, le moteur de notre développement et donc la politique à réformer en première urgence, les villes, les usines, les campagnes sont autant d'espaces concrets où doivent s'inventer de nouvelles manières d'être au monde, dictées par une politique de sobriété en carbone. Un urbanisme résilient, de nouvelles formes d'économie circulaire, fonctionnelle, sociale et solidaire, une agriculture résiliente au changement climatique et favorable à la biodiversité, la restauration et la protection des puits de carbone que sont les terres, les océans et les forêts, constituent autant de chantiers à développer. Parallèlement, les montagnes et les outre-mer doivent être valorisés comme des réserves de patrimoine et des espaces prioritaires d'innovation en matière de lutte contre le changement climatique.
Enfin, ce combat passe évidemment par la prise en compte des actions des acteurs non étatiques que sont les villes, les territoires, les entreprises et les citoyens, que l'accord de Paris devrait rassembler sous le chapitre de l'Agenda des solutions.
Je conclurai mon propos en rappelant que l'accord de Paris, quel que soit son niveau de réussite, ne sera pas un point d'arrivée mais un point de départ pour la réalisation d'une nouvelle économie bas-carbone. Il convient donc que la France, qui présidera, durant une année, la COP après la réunion de Paris, s'engage à porter un nouveau modèle de développement à l'intérieur de ses propres frontières et au-delà, au sein de l'Union européenne bien sûr mais également avec le plus grand nombre de pays, afin de constituer une sorte d'avant-garde sur la voie de la transition.
Je vais maintenant passer la parole à tous ceux d'entre vous qui souhaiteront s'exprimer. Je précise qu'en raison de la solennité du moment, aucune limitation de parole ne vous sera imposée.