Intervention de Éric Alauzet

Réunion du 5 novembre 2013 à 11h00
Commission élargie : finances - affaires économiques - affaires étrangères - développement durable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Alauzet, suppléant Mme Eva Sas, rapporteure spéciale de la commission des finances, pour la mission « Remboursements et dégrèvements de l'état » :

Avec 101,9 milliards d'euros de crédits prévus pour l'exercice 2014, la mission « Remboursements et dégrèvements » est, en volume, la plus importante du budget général de l'État.

Je tiens en premier lieu à rappeler l'aspect très artificiel de cette mission. En effet, son architecture globale est très hétérogène et n'offre pas une information correcte aux parlementaires et aux citoyens. Certains des éléments présentés dans le cadre de cette mission devraient être au contraire rattachés aux produits correspondants en tant que moindres recettes. Ainsi, ces crédits ne seraient plus présentés comme des dépenses budgétaires mais comme des éléments constitutifs des recettes, venant les diminuer. De la sorte, le coût pour le budget de l'État des différentes politiques publiques auxquelles les remboursements et dégrèvements contribuent pourrait être mieux retracé et ces derniers pourraient être mieux analysés dans les projets et rapports annuels de performances auxquels ils seraient ainsi rattachés.

En outre, la présentation du programme 200, qui concerne les impôts d'État, diffère de celle du programme 201, qui concerne les impôts locaux. En effet, au sein du programme 201, les dépenses sont distinguées par impôts locaux et non par catégories de dépenses comme c'est le cas pour le programme 200. Il résulte de cette structuration une lisibilité moindre pour le programme 201.

Monsieur le ministre, un alignement de la nomenclature du programme 201 sur le programme 200 était à l'étude : pouvez-vous nous indiquer si cette refonte est en passe d'être réalisée ? Pourra-t-elle être mise en oeuvre pour le prochain budget ?

Cette mission étant, comme nous venons de le voir, particulièrement hétéroclite, je souhaiterais, plutôt que d'en présenter les crédits de manière exhaustive, mettre l'accent sur deux points particuliers.

Je voudrais tout d'abord évoquer les deux contentieux fiscaux dans lesquels l'État est actuellement partie prenante et qui pourraient lourdement peser sur les finances publiques, puisque leur coût global est présentement estimé à plus de 8 milliards d'euros.

Ces contentieux, toujours pendants devant les juridictions administratives, présentent des similitudes. Ils sont tous les deux la conséquence d'une violation du droit de l'Union européenne et portent l'un et l'autre sur des enjeux financiers significatifs. Néanmoins, les pilotages des deux contentieux diffèrent fondamentalement, comme le relevait la Cour des comptes dans son référé du 30 mai dernier.

Le contentieux « précompte mobilier », du nom du dispositif qui était prélevé jusqu'en 2004 lors de la redistribution par des sociétés résidentes de dividendes reçus de leurs filiales établies à l'étranger, est actuellement estimé à 4 milliards d'euros. Le pilotage de ce dossier semble avoir été satisfaisant, la défense de ce contentieux par l'État ayant été conduite de manière adaptée et les conséquences financières ayant été jusqu'à présent correctement anticipées.

Le second contentieux fiscal, dit « OPCVM », porte sur la retenue à la source qui s'appliquait jusqu'à sa suppression en juillet 2012 aux dividendes de source française perçus par des OPCVM non résidents. L'administration fiscale estime à ce stade son coût global à 4,9 milliards d'euros, intérêts moratoires compris. Cependant, en raison d'importantes incertitudes, ce montant pourrait finalement être dépassé. Il s'agit là pour la Cour des comptes du « contentieux de série le plus important auquel l'État ait été confronté ».

Le pilotage de ce contentieux semble plus hasardeux : certaines actions menées au milieu de l'année 2012 pour réformer le dispositif fiscal litigieux, dont l'inconventionnalité était avérée, auraient notamment pu être mises en oeuvre plus tôt, dès 2010. Cela aurait permis de circonscrire significativement les conséquences financières pour l'État. Une mauvaise communication entre les différents services du ministère de l'économie et des finances, et plus particulièrement des trois directions chargées respectivement de la comptabilité générale de l'État, de la programmation budgétaire et des prévisions des finances publiques, semble avoir pesé négativement sur le pilotage de ce dossier.

Monsieur le ministre, confirmez-vous ces différents dysfonctionnements ? D'autres éléments pourraient-ils selon vous expliquer les errements successifs dans ce dossier ? Des réorganisations sont-elles envisagées au sein du ministère afin de faire face aux contentieux fiscaux à fort enjeu de manière plus efficace dans l'avenir ?

Par ailleurs, il apparaît également primordial qu'une meilleure information de la représentation nationale sur les contentieux fiscaux à fort enjeu soit assurée dans les plus brefs délais. En effet, les éléments très succincts contenus dans la présentation du compte général de l'État concernant les provisions pour risques et charges ne sont pas, en l'état, suffisamment détaillés. L'Assemblée n'est donc pas réellement au fait des risques financiers liés à ces contentieux et ne peut légiférer en toute connaissance de cause.

J'en viens à la mission « Remboursements et dégrèvements », qui retrace notamment les restitutions de taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques, la TICPE. Je me suis particulièrement intéressé aux dépenses fiscales liées à la consommation d'énergies fossiles. En effet, divers dispositifs dérogatoires permettant un remboursement de TICPE existent pour certains secteurs d'activité comme le transport routier ou les chauffeurs de taxis. L'ensemble de ces dispositifs représenteraient une dépense supérieure à 767 millions d'euros.

Or, comme le montrait la Cour des comptes dans son référé de décembre 2012, la plupart de ces dispositifs, au lieu d'aider à changer les comportements et de favoriser la transition énergétique, ont essentiellement pour objectif de soutenir des intérêts économiques sectoriels qui se révèlent être particulièrement nocifs pour l'environnement. Au surplus, l'impact de ces dispositifs sur l'emploi a été estimé négligeable par le comité d'évaluation des dépenses fiscales en avril 2011 et l'inefficacité globale de ces dépenses fiscales a fait l'objet de plusieurs rapports restés à ce jour sans effets.

Le manque de pertinence de ces dispositifs aussi coûteux pour les finances publiques que pour la santé publique doit nous conduire à les réformer entièrement. À cet égard, il paraîtrait indispensable de disposer d'éléments tangibles et objectifs sur l'impact socio-économique de ces dépenses fiscales autres que ceux qui sont fournis par les opérateurs eux-mêmes.

Monsieur le ministre, êtes-vous en mesure de nous indiquer combien d'emplois sont préservés grâce à ces dispositifs de remboursement de TICPE pour chaque secteur d'activité bénéficiant de ce régime dérogatoire ? Je pense en particulier au transport routier, au BTP et à l'agriculture.

Par ailleurs, il paraît nécessaire d'étudier de manière approfondie l'impact financier mais également socio-économique de nombreux dispositifs soit liés à des exonérations de TICPE mais non considérés comme dépenses fiscales, comme la détaxation du kérosène, soit reposant sur des différences de taxation, comme pour le gazole et l'essence.

La détaxation du kérosène n'est plus à ce jour considérée comme une dépense fiscale, ce qui est contestable. Le droit de l'Union européenne prévoit la possibilité de limiter le champ d'application de cette exonération aux transports aériens internationaux et intracommunautaires. Plusieurs pays pratiquent d'ailleurs la taxation des vols intérieurs, qui pourrait permettre de favoriser la transition énergétique dans notre pays. Néanmoins, les autorités françaises se montrent réticentes car elles craignent que cette mesure ne pèse négativement sur le groupe Air France-KLM. Hélas, aucune véritable étude n'a été menée sur le sujet. Les chiffres qui nous ont été communiqués jusqu'à présent nous paraissent peu fiables ou semblent émaner de l'opérateur aérien lui-même.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser l'impact réel qu'aurait la taxation du kérosène en matière d'emploi et nous donner une estimation du surcoût qui découlerait d'une telle taxation pour les compagnies aériennes ?

En outre, un reclassement de la détaxation du kérosène comme dépense fiscale est-il envisagé ? Son retrait de la liste des dépenses fiscales ne semble pas pleinement justifié, comme le relevait la Cour des comptes dans son référé de décembre 2012. Par ailleurs, certains de nos partenaires, comme l'Allemagne, considèrent bien cette détaxation du kérosène comme une dépense fiscale.

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