Intervention de Alain Chrétien

Réunion du 5 novembre 2013 à 11h00
Commission élargie : finances - affaires économiques - affaires étrangères - développement durable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Chrétien :

Dans le prolongement des propos du président de la commission des finances, je vais évoquer moi aussi le problème des intérêts.

Dans le cadre du PLF pour 2014, le Gouvernement a eu beau jeu de vanter les économies qui seront réalisées à compter de l'année prochaine. Il convient néanmoins de s'interroger sur les raisons pour lesquelles il a attendu dix-huit mois avant d'entreprendre de vraies économies. Sans doute s'est-il rendu compte que l'accroissement de la fiscalité de près de 33 milliards n'avait pas produit les effets escomptés et que les prélèvements obligatoires entraient dans une zone de rendement décroissant.

En outre, et c'est l'objet principal de ce qui nous réunit aujourd'hui, ces dix-huit derniers mois n'ont pas permis de réduire notablement le poids de la charge de la dette, celle-ci atteignant encore 46,7 milliards d'euros pour 2014. Bien au contraire, la dette publique ne cesse de croître, malgré une pression fiscale record, et la charge de la dette devient difficilement soutenable. Elle continue de représenter, comme on l'a rappelé, le premier poste budgétaire de l'État, devant l'éducation nationale, les retraites et la défense nationale.

La mission « Engagements financiers de l'État » regroupe un ensemble de crédits ayant pour objet de permettre à l'État d'honorer ses engagements financiers. Or, pour honorer les échéances de sa dette et financer son déficit, le Gouvernement prévoit d'emprunter 177 milliards d'euros en 2014, soit entre 3 et 4 milliards de plus que prévu il y a un an, dont 46,7 milliards iront directement au remboursement des intérêts. Ce besoin de financement fait de la France le premier emprunteur de la zone euro. Fin 2012, selon l'évaluation du même rapporteur spécial, les crédits du programme « Charge de la dette publique » devaient atteindre 55,2 milliards d'euros en 2013. Finalement, la charge de la dette n'a atteint que 46,9 milliards d'euros, grâce à des taux d'intérêts plus faibles que prévu. Vous aviez donc été soit pessimiste, soit volontairement alarmiste six mois après le changement de législature.

Nous saisissons ainsi combien les projections en matière de taux d'intérêts revêtent une importance capitale. Les taux historiquement bas dont la France a bénéficié en 2013 sont dus à une politique monétaire favorable et surtout à la crédibilité des engagements budgétaires de la précédente majorité, laquelle a permis à la France d'obtenir la confiance des investisseurs. Or depuis dix-huit mois l'effort de consolidation des comptes publics a été relâché, contrairement à ce que nous disait l'année dernière Jérôme Cahuzac lorsqu'il insistait sur « la vertu de l'actuel pilotage des finances publiques ». Les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 2012, 4,8 % de déficit, au lieu des 4,5 % annoncés ; en 2013, 4,1 % de déficit au lieu des 3 % annoncés, soit un déficit public consolidé supérieur aux prévisions de 22 milliards d'euros ; en 2014, la nouvelle majorité vient à nouveau de repousser ses objectifs, puisqu'il le déficit public est prévu à 3,6 % de PIB, contre 2,9 % initialement prévus. La Commission européenne a par ailleurs confirmé ce matin que le dérapage se poursuivrait en 2015.

Je rappelle que, dans son engagement de campagne n° 9, l'actuel chef de l'État nous annonçait 3 % de déficit en 2013 et avait pris l'engagement devant nos partenaires européens d'un retour à l'équilibre en 2016. Cette dernière échéance a déjà été décalée à 2017. L'insincérité budgétaire ne peut que conduire à une défiance des prêteurs. Il en résulte que les taux à l'émission de la dette souveraine française enregistrés au cours des derniers mois ont été marqués par une importante remontée : les taux des OAT sur le marché secondaire sont passés de 1,65 % en mai 2013 à un peu plus de 2,26 % actuellement. Cette hausse devrait se confirmer, puisque les récentes prévisions s'agissant des taux d'intérêts pour 2014 de l'Agence France Trésor indiquent un taux moyen de 3,3 % en 2014, contre 2,3 % en moyenne pour 2013. Même une augmentation d'émission des BTF à court terme, des BTAN à moyen terme et des OAT à long terme ne suffirait pas à freiner cette hausse des taux. En d'autres termes, l'effet volume défavorable à l'augmentation de l'encours de dette à moyen et long terme ne sera plus suffisant pour compenser cette tendance.

En 2014, notre dette publique dépassera 95 % de notre PIB, pour atteindre près de 2 000 milliards d'euros, voire davantage. Si l'on procède à un rapide calcul, une hausse des taux de 1 % sur l'ensemble des différents titres de dette français émis représenterait, selon la Cour des comptes, près de 5 milliards d'euros supplémentaires en 2015 et 6 milliards en 2016. Plus ces taux d'intérêts seront élevés, plus la charge de la dette sera difficilement soutenable. La dégradation des conditions de marché sera d'autant plus forte que la France n'a pas réalisé les réformes nécessaires. En d'autres termes, et malgré la révolution fiscale permanente à laquelle nous assistons depuis dix-huit mois, la fuite en avant budgétaire se poursuit. De fait, les déficits des pays de l'OCDE ont diminué légèrement – sauf en France. L'on voit que l'Espagne, l'Italie et même la Grèce commencent à sortir de leurs difficultés, au prix de deux ans d'efforts, mais l'on a du mal à prévoir une sortie de crise pour la France dans les mois qui viennent.

Si l'on observe maintenant la répartition de la détention de la dette, que le président Carrez a évoquée, on constate que, sur les 800 millions d'euros que la France emprunte quotidiennement, 200 millions proviennent de prêteurs français, et les 600 millions restants de prêteurs étrangers. M. Dominique Lefebvre, rapporteur spécial, s'inquiétait déjà il y a deux ans, lorsqu'il était dans l'opposition, de la répartition des détenteurs de la dette française. Aujourd'hui, cette répartition n'a pas changé, mais il semble que cela ne soit plus une source d'inquiétude pour la nouvelle majorité, puisque rien n'est fait pour inciter l'épargne domestique à s'orienter vers le financement obligataire de la dette publique tant l'incertitude fiscale est grande.

Il est temps d'assumer vos responsabilités et d'aller plus loin dans la voie des économies. Aussi, monsieur le ministre, je vous pose deux questions. Le ratio de la dette augmente mécaniquement quand le PIB diminue. Quel est votre sentiment sur la fragilité de la dette au regard de la volatilité des taux d'intérêts et de l'absence de croissance ? Et qu'attendez-vous pour mener de vraies réformes, puisque, pour ce qui est des taux d'intérêts, vous avez mangé votre pain blanc ?

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